Le jour des élections, une assesseur portant le voile a été refusée dans un bureau de vote de Quenast, sur base d'une directive écrite par la gouverneure du Brabant wallon. En réalité, la lettre portait sur la neutralité des locaux, non des personnes s'y trouvant. La jeune femme aurait donc pu accomplir son rôle d'assesseur. Cependant, encore aurait-il fallu que la présidente du bureau de vote le lui permette. Explications.
Hayat, une jeune femme de 25 ans, habite depuis 23 ans à Quenast. Née à Bruxelles, elle a eu l'occasion, pour la première fois de sa vie, d'être convoquée comme assesseur aux élections précédentes. "Je me suis sentie honorée, a-t-elle indiqué à notre journaliste Justine Sow, j'étais très enthousiaste à l'idée de participer au processus électoral en tant que citoyenne impliquée".
"On m'a demandé de rentrer chez moi, en me présentant une directive"
Comme demandé, Hayat répond directement à la convocation. Aucune directive particulière ne s'y trouve concernant une éventuelle tenue à respecter. Le jour des élections, la jeune femme se rend au bureau de vote 112, à Quenast. Sur place, la présidente du bureau de vote lui refuse son rôle d'assesseur et la prie de rentrer chez elle: "Elle m'a présenté une directive, indiquant que la neutralité devait être respectée dans les bureaux de vote, et que pour cette raison, elle ne pouvait m'accepter avec mon voile", relate la jeune femme.
Déçue, Hayat quitte le bureau de vote. Elle reviendra par la suite voter, une fois le bureau installé, sans faire d'esclandre. "Pour moi, c'était un droit et un devoir de citoyen d'être assesseur, estime la jeune femme. Le fait de ne pas pouvoir y accéder, ... je ne comprends pas. Je ne comprends pas en quoi mon foulard puisse influencer les électeurs qui viennent voter".
La présidente du bureau de vote "très ennuyée"
La présidente s'est dit très ennuyée de cette situation. La veille des élections, en réunion d'information, elle avait justement demandé s'il y avait des instructions particulières à suivre concernant une personne qui se présenterait comme assesseur et qui porterait un voile, histoire d'éviter tout malentendu. "On m'a répondu oui, en me tendant une directive de la gouverneure du Brabant wallon, Marie-José Laloy, qui nous demande de faire respecter le principe de neutralité dans les bureaux de vote", a-t-elle indiqué.
Erreur d'interprétation: la directive parle des locaux, non des personnes s'y trouvant
Voici le texte de la directive: "Conformément aux valeurs de la laïcité qui fondent notre démocratie, je vous serais très reconnaissante de bien vouloir veiller au respect de la neutralité dans les locaux où seront installés les bureaux de vote en prenant soin que n'y soient pas présents, entre autres, des symboles et/ou signes religieux et/ou philosophiques". Problème? Il y a eu erreur d'interprétation, reconnait la gouverneure: "Cette directive ne concerne que les locaux et non pas les personnes qui sont à l'intérieur, a insisté Marie-Josée Laloy, par téléphone. Les présidents de bureau de vote doivent donc prendre soin de retirer, par exemple, d'éventuels crucifix ou autres signes religieux disposés dans des locaux, poursuit-elle. En effet, il arrive que, pour des raisons pratiques, les bureaux de vote soient installés dans des locaux qui en contiennent. Il faut donc veiller à les retirer".
Le bourgmestre se dit étonné du refus
Le bourgmestre socialiste de la ville de Rebecq, dont fait partie Quenast, a réagi avec étonnement. "Cela me surprend, car on ne vit pas ce genre de problématiques, ici, à Rebecq, a assuré Dimitri Legasse. C'est une commune très tranquille, une bourgade villageoise où le vivre ensemble se déroule très bien. J'ai essayé de comprendre de suite ce qui s'était passé".
Mais alors, que dit la loi? "Rien à propos de la tenue vestimentaire"
Selon le porte-parole de la cellule élections du ministère de l'Intérieur, Stéphan De Mul, la loi ne prévoit rien par rapport à la neutralité vestimentaire que devraient observer les assesseurs. C'est notamment pourquoi en Belgique, l'électeur pourra observer la présence de femmes voilées assesseurs dans certains bureaux de vote. Puisque la loi ne dit rien, l'appréciation est laissée au président de bureau de vote: "Le président peut accepter une femme voilée comme assesseur, confirme Luc Hennart, président du Tribunal de première instance de Bruxelles. Cependant, il peut aussi la refuser: il a le choix de déterminer qui formera son équipe d'assesseurs".
Notez que la Belgique est un état neutre et non laïc au contraire de la France. "La laïcité est considérée, depuis 1993, comme l’une des composantes idéologiques de la société et ce, au même titre que les différentes confessions", précise Corinne Torrekens politologue à l'ULB. Cela explique aussi en partie la présence potentielle de femmes voilées assesseurs chez nous.
En conclusion, même si Hayat a été refusée à la suite d'un malentendu, elle aurait simplement aussi pu l'être sur base d'un refus de la présidente du bureau de vote.
Selon Luc Hennart, "l'autorité, par définition, doit être neutre"
Le président du Tribunal de première instance de Bruxelles a également une très longue expérience en tant que président de bureau de vote. "Cela fait 30 ans que j'ai un rôle dans le processus électoral: d'abord en tant qu'assesseur, puis en tant que président de bureau de vote", indique-t-il. Il fait partie des présidents qui préfèrent la neutralité. Pour lui, dès l'instant où l'on exerce d'une manière ou d'une autre une fonction qui comporte un élément de gestion de la cité, il est cohérent qu'il y ait une neutralité: "On peut considérer que le temps que l'on exerce la fonction d'assesseur, on exerce une parcelle de l'autorité, argumente-t-il. Et l'autorité, par définition, doit être neutre. On a enlevé les crucifix dans les salles d'audience des tribunaux, ici, c'est le même principe. On doit veiller à cette neutralité".
"Le foulard, la kippa, le crucifix doivent être évités"
A ses yeux, un assesseur, tout comme un président de bureau de vote, doit avoir un comportement et une tenue vestimentaire qui est neutre. Selon lui, certains éléments ne respectent pas cette neutralité: "Ainsi, je pense que le port du foulard, de la kippa, du crucifix (de façon ostentatoire), doit à mon sens être évité, considère Luc Hennart. Si je dis 'évité' c'est parce qu'il y a un pouvoir d'appréciation de la part du président du bureau de vote. Certains se montrent moins stricts par rapport à l'application de cette règle de neutralité, d'autres très exigeants".
"Si une nonne se présentait en habit monastique, je lui dirais que c'est inadéquat"
Le cas peut sembler saugrenu, mais si une nonne se présentait en tenue monastique à un bureau de vote, munie de sa convocation en tant qu'assesseur, Luc Hennart ne ferait pas de distinction: "Si elle porte une grande cornette et un chapelet en bois, bien visible, j'aurais la même réaction: je lui dirais très gentiment que c'est une manière trop ostentatoire d'exprimer son opinion religieuse (aussi respectable soit-elle, la question ne se pose pas en ces termes-là). Si elle a une jupe plissée bleue et un chemisier blanc, avec un crucifix que l'on ne voit pas, cela ne poserait pas de problème".
Hayat, elle, ne partage pas ce point de vue
La jeune habitante de Quenast ne considère pas les choses de la même manière. Elle ne voit pas en quoi un signe religieux porté pourrait influencer le vote électoral. "Le voile n'est pas une couleur politique, estime-t-elle. Je ne vois pas en quoi un voile, une croix ou une kippa pourrait influencer le vote des électeurs". Le président du Tribunal de première instance, lui, soulève l'interrogation qu'un signe religieux peut susciter. "Un assesseur qui se retrouve dans un bureau avec un voile peut susciter une interrogation de la part de l'électeur, observe-t-il. C'est une interrogation qui me paraît légitime. Bien entendu, cela ne veut pas dire que la personne ne va pas se comporter de façon correcte".
Hayat voudrait défendre les femmes musulmanes qui portent le voile
"Je voudrais qu'on laisse aux femmes qui portent le voile, les droits dont jouissent toutes les autres femmes", dit-elle, après être allée voter. Pour la jeune femme, il y a, dans l'événement qu'elle a vécu, quelque chose qui s'apparente à de la discrimination. Le bourgmestre de sa localité va dans son sens. "Le mot discrimination est un peu fort, mais il y a une forme de discrimination, effectivement. J'aurais préféré que cette personne puisse être assesseur parce qu'elle le voulait, manifestement".
