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Carla, une Bruxelloise de 37 ans, a changé de sexe au bout d'une opération de huit heures: "Benjamin est mort"

Ils sont quelques dizaines chaque année dans notre pays à changer de sexe sur leur carte d'identité. Ce sera le cas de Carla, anciennement Benjamin, dans quelques mois. Si le changement administratif attendra encore un peu, le changement anatomique a eu lieu ce jeudi 14 septembre dans un hôpital bruxellois. Carla a désormais des organes génitaux propres à l'identité sexuelle qu'elle ressent intimement depuis son enfance.

"J'ai hâte qu'on me déballe et que je puisse aller faire pipi assis", nous dit Carla, souriante, la voix encore quelque peu affaiblie au téléphone, de son lit d'hôpital, le vendredi 15 septembre. La veille, "Benjamin est mort". Au bout d'une opération chirurgicale de huit heures pendant laquelle son pénis et ses testicules ont disparu en échange d'un vagin, de lèvres et d'un clitoris, la Bruxelloise de 37 ans est définitivement devenue dans son corps ce qu'elle était depuis toujours dans son esprit: une femme.

"On a placé mes jambes comme pour un accouchement", c'est ce que se rappelle la patiente avant que l'anesthésiste la plonge dans un profond sommeil et que le chirurgien commence son long et patient travail dans la salle d'op' d'un hôpital de la capitale. Seuls désormais subsistent quelques traces des organes génitaux originels: la peau de la verge tapisse les parois du vagin, cavité qui a été créé entre le périnée et l'anus. Quant aux tissus sensibles du gland, ils ont servi au placement d'un clitoris.


Hormones

"J'ai mal, c'est gonflé, ça tire": Carla sent la douleur après l'arrêt de la morphine qui l'avait fait délirer dans les heures qui ont suivi son réveil, une conséquence normale de la prise de ce puissant antidouleur. Elle va rester à l'hôpital jusque mercredi. Elle continuera à y subir des soins quotidiens. "Ce sont des anges avec moi", complimente la trentenaire à propos des membres du personnel. Viendra ensuite le retrait des compresses et des pansements, le moment de la découverte tant attendue. Puis le départ, de l'hôpital, d'une nouvelle vie, avec pendant quelques semaines la prise d'"un produit de castration chimique pour éliminer la testostérone résiduelle dans le corps", nous précise la transsexuelle. La disparition des testicules, principaux producteurs de l'hormone mâle, ne signifiera pas l'arrêt du traitement hormonal que Carla suit depuis bien longtemps afin de gommer les traits physiques masculins et afficher des traits féminins. En effet, si elle cesse l'absorption d'hormones féminines, les caractères secondaires de son sexe génétique réapparaîtront progressivement. C'était le cas durant le mois écoulé durant lequel elle a dû interrompre la prise d'hormones : "J'ai dû arrêter mon traitement pendant un mois. Je ne vous dis pas. Je suis dégoûté le matin quand je me réveille", confie Carla.


Nouvelle loi

Devenue anatomiquement femme, Carla le deviendra sur sa carte d'identité dans quelques mois. La procédure s'est considérablement simplifiée depuis le vote au parlement fédéral d'une nouvelle loi sur les transgenres au mois de mai. Jusqu'à présent, l'ancienne loi (datant de 2007) prévoyait de lourdes conditions médicales ainsi qu'une stérilisation obligatoire. "Beaucoup de mes amies transsexuelles se sont battues pendant des années pour cette évolution. Elles ont ouvert la voie. Maintenant, il suffira de claquer des doigts et ce sera fait", dit Carla.

En janvier prochain, habillée en femme comme le réclame la loi, elle se rendra à sa commune pour y faire une déclaration sur l'honneur assurant qu'elle a depuis tout un temps la conviction que le sexe indiqué dans son acte de naissance ne correspond pas à son identité de genre vécue intimement. Cette déclaration sera transmise au procureur du Roi qui aura trois mois pour rendre son avis. S'il est positif, la transsexuelle devra retourner à la commune pour répéter sa déclaration de volonté de changer de sexe et préciser qu'elle est consciente des conséquences juridiques et administratives que ce changement entraînera. L'acte de naissance sera alors modifié. Benjamin aura disparu. L'aboutissement d'un long chemin qui a commencé à l'enfance de Carla.


Dès l'enfance

"Chez les authentiques transsexuels, ça commence très jeune", dit-elle. Elle raconte à notre journaliste Julie Vuillequez. "Vers l'âge de 4,5 ans, on est toujours avec sa bobonne, sa tante, les personnes de sexe féminin de la famille", commence la trentenaire qui se rappelle aussi avoir pleuré toutes les larmes de son corps quand son beau-père a décidé de couper les longs cheveux bouclés qu'elle avait. "Un peu plus tard, quand on rentre à l'école, on se dit 'Ah tiens, les garçons font pipi debout, j'ai toujours fait pipi assis'", explique celle qui préférait les Barbie au Lego, aimait s'occuper d'elle ou admirer sa cousine.

L'adolescence, période où se développe la sexualité, jaillit. "En grandissant, on voit son corps changer. À la piscine, avec les garçons: j'avais peur de me déshabiller, je mettais un essuie autour de ma taille. Plein de petits trucs comme ça", décrit Carla qui détestait… ses érections. "On se dit 'Pourquoi ça m'arrive à moi, mes copines sont tranquilles'". Comme tous les garçons de son âge, Benjamin se cherche. "On se dit 'Est-ce que je suis comme ça ou est-ce que je suis homosexuel?'". Mais pour finir, "ça va pas avec les homos". "Je suis une femme qui aime les hétéros", nous dit Carla qui partage d'ailleurs sa vie avec son compagnon.


Des docteurs qu'elle n'oubliera jamais

Mais voilà, "mon corps ne correspond pas à l'identité qui est au fond de moi", doit constater l'ado. Par la télévision, il apprend que le changement de sexe existe et dès 13 ans, il est convaincu que c'est la seule solution. Malgré ce grand écart entre le dedans et le dehors, Carla ne brosse pas un paysage obscur de sa jeunesse. Au contraire. "J'ai eu une belle vie" juge-t-elle. Une belle vie mais peu ordinaire, celle d'une fille avec le sexe d'un homme, qui a eu "des copains, des amants", dit la Bruxelloise, qui remercie en particulier son oncle Tony et sa tante Anne qui l'ont élevé. Ceux-ci tenaient un établissement à l'avenue Louise. Ils lui ont appris le métier de l'horeca avant qu'elle ne travaille en boîtes de nuit. En parallèle, le jeune homme entame sa transformation physique. Il prend des hormones alors qu'il est encore dans l'adolescence. "Au fur et à mesure qu'on augmente les doses, le corps change de plus en plus. Notre façon d'être change", explique Carla. Elle n'oublie pas le docteur qui lui a prescrit ces hormones, une personne qui avait elle-même changer de sexe et avait pris la peine de discuter longuement avec Benjamin l'adolescent. Elle n'oublie pas non plus un endocrinologue (spécialiste des hormones), un homme "qui restera dans le cœur de tous les transsexuels".


Une majorité d'hommes

Entre 1993 et juin 2016, le Registre national a enregistré 885 changements de sexe en Belgique, les 2/3 étant des hommes qui deviennent femmes. Le phénomène concerne donc quelques dizaines de Belges par an et est en augmentation. Pour la petite histoire, sachez que la plus ancienne opération de changement de sexe d’homme vers femme a été réalisée sur Lili Elbe, à Berlin, en 1930. Lili Elbe subit quatre autres opérations, dont une pour obtenir un utérus mais qui fut un échec et causa sa mort.

"Je me sens bien, zen, je regarde la vue de ma chambre d'hôpital. Je me dis 'Voilà, enfin, ça va être fait. Une nouvelle vie va commencer. Je vais tuer le garçon qui est né pour incarner Carla complètement, faire rentrer Carla dans le monde réel pour qu'elle puisse prendre sa place définitivement'", nous confiait Carla à la veille de son opération. Lorsque nous l'avons rappelée, le lendemain de son opération, elle se sentait bien, quoiqu'encore un peu groggy. "Benjamin est mort", nous dit-elle.

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