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Conductrice, Marie est la seule survivante d’un accident qui a tué son frère: "Aux yeux de mes parents, je n’existais plus"

Il y a plusieurs années, Marie a survécu à un dramatique accident de la route. Elle se trouvait derrière le volant. Son frère, lui, a perdu la vie. Depuis cette tragédie, la Liégeoise est non seulement submergée par un sentiment de honte mais elle est aussi confrontée au rejet de ses proches. Aujourd’hui, elle veut exprimer sa souffrance et sa colère. Un témoignage poignant.

"J’ai cru que ma place était en prison. Les gens autour de moi m’ont insultée comme si je les avais tués de mes propres mains", confie une Liégeoise. Sous le coup de la colère, cette femme nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour évoquer son histoire douloureuse. Afin de respecter son souhait de rester anonyme, nous l’appellerons Marie. Quelques faits ont également été modifiés.

Il y a quelques années, un événement dramatique a chamboulé sa vie. "J’ai eu un accident de voiture. Tous les passagers sont décédés. Il faut savoir que je n’avais pas bu, pas pris de drogues et roulais à 30 km/h", assure-t-elle. C’était une nuit d’automne en revenant d’une soirée. Marie se trouve derrière le volant, son frère et sa fiancée sont également à bord du véhicule. La Liégeoise perd le contrôle de sa voiture qui fait des tonneaux avant de percuter un arbre.


Ma mère m’a dit: "Ils sont tous les deux morts et seront enterrés demain"

"Quand je me suis réveillée, il y avait les secours et un ami qui nous suivait. Je ne réalisais pas ce qui se passait. J’ai eu une commotion cérébrale, des lésions aux poumons et aux vertèbres. J’ai été emmenée aux urgences à l’hôpital", se souvient Marie. "Depuis mon lit, j’ai vu les parents de la fille qui hurlaient et mes parents qui pleuraient. Ma mère est venue me voir, elle a directement enlevé mon drap pour voir mes jambes parce qu’elle croyait qu’on m’avait amputée. Surtout que quand la police les a prévenus, on leur a dit que tous les occupants de la voiture étaient morts. Ils pensaient donc avoir perdu leurs deux enfants." 

Selon la Liégeoise, les médecins lui affirment qu’il y a un risque de perdre l’usage de ses jambes gravement blessées. Le personnel médical pousse aussi ses parents à lui révéler la vérité. Mais ces derniers préfèrent garder le silence à ce moment-là. "Ils m’ont dit que mon frère et sa compagne se trouvaient dans d’autres chambres", se souvient-elle. Un jour avant les funérailles, sa mère finit par lui annoncer la terrible nouvelle. "Elle m’a dit : ‘Ils sont tous les deux morts et seront enterrés demain’. J’ai obtenu une sortie autorisée pour assister à la messe sur un brancard. C’était quelques jours après l’accident", indique la Liégeoise.


"Aux yeux de mes parents, je n’existais plus"

Deux jours plus tard, elle quitte l’hôpital afin de poursuivre ses soins à la maison familiale. Un retour quelque peu précipité pour la protéger. "A l’hôpital, je recevais des courriers très négatifs. Les proches de la fille décédée n’acceptaient pas. Mes parents ont donc préféré me ramener chez eux", explique-t-elle. Cependant, ce cocon familial ne va pas lui assurer un lieu de vie plus serein. Bien au contraire. "Une fois rentrés, la situation est devenue catastrophique. Un vrai cauchemar", assure-t-elle.

D’une part, le comportement de ses parents endeuillés évolue. Marie est désormais confrontée à une attitude de rejet. "Mes parents ne me parlaient plus. A leurs yeux, je n’existais plus. Lors des réunions de famille, mon père et ma mère me disaient clairement que je ne leur ressemblais pas ni physiquement, ni de caractère. J’étais devenue une étrangère", déplore la quadragénaire.

Selon elle, ses parents la considèrent comme responsable de la mort de leur enfant. "Ils ne m’ont jamais pardonnée. Ils ne me m'ont jamais dit que je n’étais pas coupable." Face à leur désarroi, elle tente de les épauler. En vain. "J’ai vu mes parents souffrir et j’ai essayé de les aider. Mais malgré tous mes efforts, rien n’était jamais assez bon, assez bien. Je me suis toujours mise à leur place mais, moi, je n’avais pas le droit de souffrir. Quand j’avais des pics de colère et que j’exprimais ma douleur, ma mère me disait d’aller faire un tour. Pour elle, comme c’est moi qui conduisais, c’est moi qui lui ai volé son fils." Personne ne semble donc vouloir l’aider à panser ses propres blessures internes qui font saigner son cœur. "J’étais très fusionnelle avec mon frère, on s’aimait énormément..."


"Tu n’es qu’un meurtrier de la route"

D’autre part, au lieu de s’estomper, les critiques et les insultes venues de l’extérieur se succèdent. "J’ai reçu des coups de fil anonymes. On m’a dit : ‘Tu n’es qu’un meurtrier de la route’. C’était très dur. On me parlait aussi dans la rue. Des commentaires du genre ‘c’est elle qui a tué la fille’. Je n’osais pas me retourner. A l’époque, j’avais une minerve et je ne pensais pas que cela irait jusque-là", confie-t-elle. 

En outre, elle doit aussi affronter les poursuites judiciaires puisque le parquet a ouvert une enquête. "C’était d’abord pour homicide volontaire, ensuite involontaire. Dès mon retour à la maison, 15 jours après les faits, la police est venue m’interroger. Un monsieur vraiment très bien, qui m’a mise en confiance et qui a pris tout son temps pour m’interroger. Le plus difficile pour moi a été de me rappeler les faits effacés par ma mémoire", se souvient Marie. "Cela me paraît logique que le parquet entame une information judiciaire lorsque deux personnes sont décédées", indique Bruno Gysels, avocat spécialisé en droit de la circulation routière.


 "On n’en parle jamais, mais c’est très difficile d’être le seul survivant d’une fratrie"

"Le dossier a finalement été classé sans suite. Je n’ai donc pas été sanctionnée", assure la Liégeoise. Cela signifie que le parquet a visiblement décidé de ne pas la poursuivre en vue d’une condamnation éventuelle par un tribunal. Si cela avait été le cas, elle aurait pu encourir des sanctions conséquentes. "Surtout en termes d’amendes et surtout de déchéance du droit de conduire", souligne l’avocat spécialisé.

Face à cette situation, Marie se forge une carapace pour tenter d’atténuer sa souffrance intérieure. Devenant agressive, elle ne voit qu’une seule issue: couper les ponts avec ses proches et son monde devenu tellement hostile à son égard. Elle consulte également un psychiatre pour l’aider à surmonter une telle épreuve. 'Depuis l’accident, je me suis battue et j’ai croisé des professionnels, des médecins extraordinaires', souligne-t-elle. "On n’en parle jamais, mais c’est très difficile d’être le seul survivant d’une fratrie", estime la jeune femme.


Le soutien primordial de son mari

Par ailleurs, son mari va lui permettre de s’émanciper. "Je l’ai connu via un site de rencontre que mon cousin m’avait montré sur internet. Nous nous sommes mariés après six mois. Ce qui m’a permis de quitter la maison et trouver quelqu’un sur qui me reposer. Son soutien est primordial", dit-elle. Ensemble, ils ont eu plusieurs enfants. "Ma famille est ma raison de vivre. Nous sommes très fusionnels. Ils sont au courant de tout, je leur ai expliqué la situation", indique-t-elle.

Marie se souvient d’une anecdote qui l’a particulièrement affectée. "Quand ma fille avait 5 ans, on marchait ensemble vers l’école et une grand-mère avec son petit enfant m’a insultée. Ma fille m’a alors demandé si j’avais tué quelqu’un. Je lui ai dit de ne pas se tracasser (...) La gorge serrée, je lui ai ensuite expliqué l’accident de voiture le plus clairement possible, avec des mots d’adulte. Elle a bien réagi et depuis lors ne me pose plus de questions."


"J’ai l’impression d’être un Dutroux"

Aujourd’hui, la Liégeoise reste marquée par les conséquences de ce tragique accident. Sa vie sociale n’existe pas. "Je n’ai pas d’amis et je ne sors quasiment jamais de chez moi. J’ai honte de ce que j’ai fait et quand je sors dans la rue, j’ai peur que cela se lise sur mon visage. ‘Elle a tué deux personnes, elle ne devrait pas avoir sa place dans la société’. J’ai l’impression d’être un Dutroux", révèle-t-elle. Pour éviter certains lieux et certaines personnes, Marie révèle avoir mis en place des stratégies.


"Je suis une orpheline"

Quant à ses parents, elle ne les voit quasiment plus et souhaite leur faire passer un message. "A vous chers parents, perdre un enfant c’est horrible, c’est cruel mais les frères et sœurs souffrent autant que vous. J’ai tout fait pour me faire aimer mais après autant d’années, je n’en ai plus envie. Je suis orpheline", lance-t-elle.

La Liégeoise préfère se concentrer sur le bien-être de son mari et ses enfants. Pour y arriver, un coach familial les aide dans le quotidien car il n’est pas facile de gérer la douleur bien ancrée de Marie. "Je suis toujours sous antidépresseurs. Et je continue de pleurer. Ce ne sont plus des larmes de tristesse mais de rage et de colère."

Julie Duynstee

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