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Dans la peau de Mara-Jade, une Liégeoise transgenre de 58 ans : "Si on me voit arriver au boulot en jupe, on ne m’engagera jamais"

Il s'appelait Thierry et se sentait femme depuis toujours. Mais il a attendu jusqu'à ses 50 ans pour faire son coming-out. Il ou plutôt elle s'appelle désormais Mara-Jade. C'est une personne transgenre, "femme à 200%". Mara-Jade est sans emploi. Si elle veut devenir une femme sur ses papiers d'identité, elle devra subir une opération chirurgicale.

"Depuis 2007, je m’habille entièrement en femme. Si je dois mettre des pantalons, j’ai l’impression de me déguiser. Pour moi, je suis une femme à 200%", confie Mara-Jade, la voix grave et frêle à la fois. Cette habitante de Liège, prénommée Thierry par ses parents, nous a contactés via notre page Alertez-nous pour évoquer sa vie en tant que personne transgenre.

Selon l’Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH), le terme "transgenre" désigne une "personne dont l’expérience, l’identité et/ou l’expression de genre ne correspond pas au sexe assigné à la naissance et aux attentes qui y sont associées". Il s’agit donc d’un terme très large destiné aux personnes qui ne rentrent pas dans les "cases" homme et femme. Le terme "transsexuel" désigne lui une "personne qui opte pour un changement de sexe, au moyen d’un traitement hormonal et d’interventions chirurgicales", en précisant que cela "n’est pas choisi par toutes les personnes transgenres", explique l’Institut.

Il y a huit ans, Thierry décide enfin d’exprimer et de vivre son identité selon son propre ressenti. Il est une femme. Elle s'appellera Mara-Jade. Fini les vêtements masculins, place aux robes et aux bijoux. "J’ai toujours su que j’étais une femme, mais je l’ai enfin reconnu à l’âge de 50 ans."


"Il m’a battu parce qu’il voulait faire de moi un homme"

Dès l’enfance, sa féminité est effectivement déjà perceptible. "Je suis le seul ou plutôt la seule des enfants à avoir joué avec les souliers de ma mère", se souvient-elle. Un comportement que son père considère alors comme inacceptable."Il m’a battue parce qu’il voulait faire de moi un homme. A ses yeux, j’avais l’air d’être une chiffe molle car je ne réagissais pas comme les autres garçons."

A 21 ans, en découvrant les possibilités en matière d’opérations de réattribution génitale, Thierry nourrit pour la première fois une envie de devenir femme. Il ne concrétise finalement pas ce désir, mais change momentanément de préférence sexuelle. "Après une expérience homosexuelle, j'ai à nouveau eu des relations avec des femmes. Et je me suis mariée en 1993", relate-t-elle. De ce mariage naîtra un garçon, Gabin, aujourd'hui âgé de 13 ans.

Durant de nombreuses années, Thierry garde l’apparence et l’attitude d’un homme. "Ma femme et ma belle-mère ont toujours su que j’étais une transgenre. Mais on n’en a jamais parlé. A cette époque, j’avais le crâne rasé pour me rendre encore plus viril. Je refoulais ce que j’étais puisque, visiblement, cela se voyait comme le nez au milieu du visage."


"J’ai réalisé que je me sentais bien en robe"

En 2007, la situation change subitement. A cette époque-là de l’année, les nuits sont particulièrement froides dans la cité ardente. Le couple vit alors dans un appartement sans véritable système de chauffage."Comme j’avais froid, j’ai mis la robe de nuit de mon épouse sous mon pyjama. Cela m’a interloqué parce que j’ai réalisé que je me sentais bien en robe. Et finalement, je me suis rendu compte que j’étais bel et bien une femme", raconte la quinquagénaire qui fait dès lors son coming-out. Son épouse demande le divorce et l’obtient en quelques mois.


"Au début, cela me touchait, j’en pleurais"

Aujourd'hui, Mara-Jade se sent pleinement femme. Mais pas nécessairement la société qui l'entoure."Parfois, quand je me balade en rue, il y a des petits rires ou des insultes. Au début, cela me touchait, j’en pleurais. Mais maintenant les critiques ne m’atteignent plus."

Au-delà des moqueries, la quinquagénaire se sent également victime de discrimination à l’embauche. Jusqu’à l’âge de 50 ans, elle exerçait la profession de camionneur. Aujourd’hui, Mara-Jade est au chômage et vit dans un logement de 12 mètres carré. Elle entrevoit difficilement la possibilité de trouver un travail, en raison des préjugés et des amalgames."Si on me voit arriver au boulot en jupe, on ne m’engagera jamais. Déjà là, il y a une discrimination. Je conduisais des camions. Donc, je ne vois pas en quoi cela empêche quoi que ce soit", souligne-t-elle. La Liégeoise se sent victime de ce qui est qualifié de transphobie, soit une "aversion envers les personnes transsexuelles ou transgenres" (définition Larousse). 

Cette transphobie, qui est une peur irrationnelle, peut également se manifester lors de la recherche d’un logement ou encore au niveau de l’accès aux traitements médicaux. Si Mara-Jade n’évoque heureusement pas de soucis à ce niveau-là, d’autres personnes transgenres en souffrent régulièrement. "Le manque de respect est un fait et la réalité discriminante. Moi-même, on m’a refusé des soins de santé parce que j’ai trois poils au menton et qu’il est inscrit "F" sur ma carte d’identité. D’autres ont dû attendre des heures dans la salle d’attente pour la même raison", assure Max Nisol, psychologue et formateur à l’asbl Genres Pluriels, une association de défense de personnes transidentitaires.


"S’il le faut, je suis prête à me faire stériliser"

Par ailleurs, une autre difficulté de taille surgit pour celles qui désirent changer officiellement de genre. Pour atteindre ce confort identitaire, elles doivent surmonter une procédure très lourde. En Belgique, la loi, datant de 2007, impose des conditions strictes pour changer le sexe et le prénom sur les papiers d’identité. Il doit y avoir eu changement de sexe par opération chirurgicale. Par ailleurs, la personne doit être stérilisée et évaluée par un psychiatre. "Pourquoi l’Etat belge ne permet-il pas d’aller simplement à la commune et de déclarer légalement sa nouvelle identité. Je ne comprends pas. C’est un manque de respect vis-à-vis de la personne. S’il le faut, je suis prête à me faire stériliser. De toute façon, je ne me sers plus du matériel. Mais ce n’est pas normal de nous obliger à enlever le service trois pièces avant d’obtenir une nouvelle identité", dénonce Mara-Jade.


Une évaluation psychiatrique obligatoire

De nombreuses associations condamnent également ces contraintes. Pour elles, le suivi psychiatrique obligatoire est particulièrement inacceptable."Nous refusons de façon catégorique la psychiatrisation qui est contraire aux droits humains de base. Les transidentités ne sont pas une maladie mentale. Le mot transsexuel est d’ailleurs pour nous un terme périmé, pathologique et discriminant. C’est une vision psychiatrique et stéréotypée", insiste Max Nisol, qui précise que cette évaluation peut durer de 9 mois à 6 ans. Par ailleurs, l’association tient à souligner que l’acte chirurgical n’est pas une fin en soi."Chaque personne est différente. Et seuls 10% des personnes transgenres veulent faire une opération de réassignation génitale", indique le formateur à l'asbl Genres Pluriels. Enfin, il refuse de parler de changement de "sexe". "Bien que le législateur et d'autres s'en mêlent encore les pinceaux, les trans' ne changent pas de "sexe" car on ne modifie pas nos chromosomes, ni nos cellules."

De son côté, Frédéric Burdot, psychologue au CHU de Liège, estime au contraire qu’une telle évaluation psychiatrique est nécessaire avant de subir une opération et des traitements."Etant donné qu’il s’agit d’une intervention sérieuse et engageante, il faut s’assurer que la détermination de la personne n’est pas liée à un processus pathologique, à une production délirante mais bien à un désir personnel, profond et véritable", soutient le psychothérapeute. "Certaines personnes peuvent être sous influence. Par exemple, une personne m’a expliqué que son compagnon le contraint à prendre des hormones pour ressembler à une femme. Cette évaluation psychologique nous permet donc également de déceler des fragilités mentales et d’assurer quand c’est nécessaire un suivi et un soutien plus resserré", explique-t-il.


Une législation bientôt revue et adaptée

Quoi qu’il en soit, la législation est en voie d’être modifiée. Le ministre de la Justice, Koen Geens, prévoit en effet de revoir et adapter la loi afin de pouvoir changer de genre et de nom plus facilement. D’après son attachée de presse, cette révision devrait se faire prochainement, sans donner de timing précis. De son côté, la députée bruxelloise Zoé Génot (Ecolo) propose depuis plusieurs années de supprimer la mention du sexe sur la carte d’identité belge."C'est une solution assez simple qui permet aux personnes qui ne correspondent pas aux stéréotypes attendus de ne pas devoir se justifier dès qu’elles sortent ce document", souligne l'écologiste."Et les effets pervers d'une telle mesure sont quasiment inexistants", ajoute-t-elle. Une demande de réflexion qui n'a pas abouti jusqu'à présent. 

Notre pays n’est en tout cas pas le seul incriminé en Europe. De nombreux pays européens imposent toujours la stérilisation, le divorce et/ou le diagnostic de maladie mentale aux personnes qui désirent changer de genre. L’association Transgender Europe a d’ailleurs publié récemment une vidéo choc sur internet pour dénoncer la violation de certains droits élémentaires des personnes transgenres. Intitulée "34 pays européens font de ce cauchemar une réalité", cette séquence permet d’imaginer les humiliations qu’elles éprouvent au quotidien.

Chez nous, ces nombreuses difficultés sont également épinglées dans un rapport réalisé fin 2009 par l'Institut pour l'Egalité des Femmes et des Hommes (IEFH). D’après une enquête en ligne menée auprès de 244 personnes transgenres, la pression sociale est énorme et le manque d’informations réel. Les résultats montrent notamment que 62% des répondants ont déjà eu des pensées suicidaires. Une souffrance personnelle liée essentiellement aux comportements discriminatoires.


Emergence d’icônes

Ces dernières années, des personnes transgenres ont été médiatisées et sont devenues des icônes. On pense notamment à Conchita Wurst, la chanteuse à barbe qui a gagné l’Eurovision (voir sa prestation en vidéo), au mannequin Andreja Pejic ou encore à l’actrice Laverne Cox. Grâce à ces quelques personnalités publiques et l’émergence d’informations plus proches de la réalité, les regards ont quelque peu évolué. "Il y a cinq ans à peine, les préjugés étaient nombreux, on parlait de "freak show". Aujourd’hui, on fait preuve de plus de tolérance et des termes plus respectueux sont utilisés par les médias. C’est encourageant, mais malheureusement les discriminations existent toujours", regrette Max Nisol de l’asbl Genres Pluriels. Il faudra donc encore du temps pour changer les mentalités ainsi que les politiques européennes.

Malgré les épreuves, Mara-Jade, elle, est beaucoup plus épanouie depuis son coming-out. Elle prévoit à l’avenir de se faire opérer pour atteindre un équilibre personnel. "Je suis en phase avec moi-même. Et physiquement, je me sens mieux. Avant, vers 30-40 ans je paraissais 10 ans de plus. Et depuis que j’ai passé le cap, on me donne 10 ans de moins. Donc, résultat, j’ai rajeuni de 20 ans", se réjouit-elle.

Julie Duynstee

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