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De troublantes similitudes: voici la lettre de Mimi, réfugiée belge, écrite en mai 1940

Réagissant au témoignage de René, un nonagénaire de la région de Charleroi qui en 1940, à l'âge de 15 ans, a fui avec sa famille la Belgique qu'envahissaient les Allemands, Myriam nous a envoyé une lettre datant de mai 1940. Elle a été écrite par Mimi, une cousine de sa maman qui venait de trouver abri dans le sud de la France. Elle y relate ses dix jours d'échappée en voiture, entre la décision de quitter Walcourt, ville du Hainaut bombardée, et son arrivée à Lacaune-les-Bains à 900 mètres d'altitude dans la région Midi-Pyrénées. Comme René, Myriam fait un parallèle avec la fuite des migrants actuels vers l'Europe. "En la relisant, je me dis que ce à quoi on assiste actuellement avec la crise des migrants, c'est l'histoire qui se répète (bombardements, peur, fuite, fermeture de frontière...)", nous écrit Myriam via la page Alertez-nous.

Même s'il y a évidemment de nombreuses différences, il est vrai que la lecture des péripéties de Mimi qui descendait vers le sud nous renvoie inévitablement à celles de migrants qui aujourd'hui montent vers le nord. Nous vous laissons vous en rendre compte par vous-mêmes.


La lettre de Mimi, écrite le vendredi 24 mai 1940

Le jour de la déclaration de guerre, quoique épouvantés, nous ne pouvions y croire; au surplus, aucun bombardement n'eut lieu ce jour-là. Le plus terrible était cet exode, ces pauvres qui fuyaient. Papa et moi étions bien décidés à ne pas fuir, mais... les jours se suivent et ne se ressemblent pas! Les jours qui suivirent, nous les passions dans nos caves avec les deux pauvres petits qui ne bougeaient pas d'épouvante.


"En 5 secondes, on décida de fuir la nuit"

Une forte bombe lancée, plutôt visée, sur le chemin de fer ne l'atteignant tomba dans nos sapins en brisant 7 et toutes nos fenêtres derrière. On aurait vraiment dit que la maison s'effondrait!... Papa ne sachant plus marcher ne voulait jamais quitter son en-haut et vous pensez, nous dans les caves et lui seul en haut, ce que nous avons eu peur. Ceci avait lieu le lundi matin (NDLR: 13 mai), depuis tous les ¼ d'h cela n'arrêtait plus. On ne vivait plus quoi! Tout Walcourt partait et plusieurs amis de Papa venant lui dire au revoir et mon état alarmant. On décida en 5 secs de fuir la nuit. J'ai donc pris mon courage à deux mains et entre les bombardements conduisant les 1800 km, nous voici arrivés en lieu sûr, j'espère. Depuis notre départ, nous ignorons tout de Walcourt. Nous doutons donc que notre maison soit encore debout! Enfin, comme Dieu le voudra, nous avons la vie sauve jusqu'à présent et souhaitons nous voir tous réunis un jour victorieux, malgré la honte qui pèse maintenant sur tous les Belges.


"Des milliers de voitures, Mons infranchissable, certains quartiers brûlaient"

Nous voici donc lundi la nuit dirigés sur Mons par tous les petits chemins de campagne. Mais à 2 kilomètres, des milliers de voitures stationnaient. Mons infranchissable, certains quartiers brûlaient, quelle splendeur par ce beau mais funeste clair de lune, mais aussi quelle horreur! Tout à coup alerte sur alerte, la file d'autos dépistée, on nous bombarde tant et plus, mais par après nous apprenons qu'une colonne va passer et qu'elle est visée; on conseille de passer la nuit dans les voitures sur des prairies un peu plus éloignées.

Beaucoup se dissipent et aux abords d'une petite ferme nous continuons jusqu'à 4h le matin à dormir, exténués, surtout la conduite sans phares! J'ai oublié de vous dire que nous étions 3 voitures, c-à-d le frère de Mr Merten de Marche et un camion d'Aywaille, neveu des Merten avec nombreuses personnes de leur famille. Mr Merten et Mme de Walcourt voyant ma figure épouvantée nous avaient proposé de venir dans notre auto pour venir peut-être à mon aide, mais ce ne fut pas nécessaire, j'eus tout le courage qu'il fallut jusqu'au bout. Nous étions pourtant très heureux car Papa exténué eut une petite rechute peu après et ils nous furent d'une grande aide et nous leur en serons toujours reconnaissants.


La quête d'un point de passage vers la France

Mercredi, départ pour Mons à nouveau, mais par des chemins détournés. Nous logeons tout le reste du jour dans une ferme où l'on nous a accueillis merveilleusement bien. Voici la nuit, il faut repartir sur Givry, frontière la plus proche, la file de voitures nous rend presque malades, nous y passons le reste du temps, nous certifiant que l'on passera sûrement sans passeport, mais 10 voitures à la fois. Le lendemain matin, avançant pas à pas, arrivant à notre but, le comble! On ne passe plus à cette frontière. Il ne nous reste plus qu'à nous diriger sur Mons, Tournai, Pecq, Menin où nous logeons, épuisés. Il paraît que le lendemain vendredi on passera à Menin, mais voici vendredi rien à faire à cette frontière, il n'y a plus qu'Adinkerke d'ouvert. En route pour Ypres, Coxyde; là, on nous arrête!... ordre du Roi, 2 jours de circulation interdite, vous vous imaginez notre peine! Dans tous nos malheurs, nous avons la chance de loger chez un Docteur, dans une magnifique villa double. Cet homme, quoique très jeune est très bon pour Papa qu'il visite et soigne, car celui-ci ne tient plus et incapable de se mouvoir. Nous avons eu bien peur.


"Nous voici en France! Quel soupir de soulagement"

Ces deux jours de repos font du bien à tous et pleins de courage nous allons à Adinkerke et sans presqu'y croire, sans tambours ni trompettes, nous voici en France! Quel soupir de soulagement, et voici St Omer, Hesdin, Abbeville, Neuchâtel, Bosch le Hard où dans une bonne ferme on nous héberge gentiment, nous réconforte quelque peu après avoir bouffé des km. Environ 200 et plus par jour. Mais voici qu'il est question de bombardement à Rouen. On se décide de traverser là-bas, la Seine, ce qui réussit encore et nous filons sur Caen où nous espérons trouver le vieux Notaire Montargis de l'autre guerre.


La Normandie sous les bombes: la famille doit repartir et s'éloigner plus vers le sud

Fort heureusement, il vient à notre aide, quoique très vieux et nous offre la propriété d'un confrère sous les armes. Ô bonheur!... mais ...car il y a des mais,.. Le successeur de ce notaire arrive avec de mauvaises nouvelles: Le Havre bombardé, Caen évacué. Il nous faut donc continuer sur Falaise, Alençon, Tours où nous espérons nous caser. Ici, une nouvelle loi interdit les Belges de résider. Dans 4 départements seulement, Haute Garonne, Hérault, Côte d'Or, Allier. Encore 700 km avant d'atteindre notre but. En passant par Saumur, tous les châteaux de la Loire, et voyage splendide quoique le cœur serré.

Saumur est la plus belle ville que je connaisse et nous a laissé à tous un souvenir inoubliable. Puis Cahors, Montauban et Albi. Le Maire de cette commune téléphone ici dans la montagne où il y a très peu de Belges jusqu'ici mais de nombreux annoncés. Comme nous sommes les premiers nous avons eu le choix et nous logeons donc à Lacaune avec Mr et Mme Merten, car les 2 autres voitures se sont sans doute égarées, car depuis Coxyde nous les avons perdues.

Les Merten sont très tristes aussi, quoique l'on est déjà heureux d'être si bien et pour les petits il fait merveilleux. Le plus terrible est que la vie coûte très cher ici et qu'il grouille de vipères. On doit prendre ses précautions en promenade. Malheureusement notre petit Alex n'est pas avec nous et tout ce que nous avons fait pour l'avoir avec nous n'a abouti à rien. Les Venesoen qui ont écrit à tout hasard chez Hortense m'écrivent qu'ils ont pu fuir à temps, c-à-d-Charles, Julia et Lyth et qu'ils sont installés à Grasse chez l'ami de Lyth, mais gare à l'Italie. Ils disent que Janot n'a pas voulu partir avec le petit, elle est donc chez maman avec Alex. Tante Augustine, sa famille et encore toute une bande, en somme à 12 avec les 2 servantes, ce qui fait 14.

Je suis contente d'un côté car je sais qu'il sera bien, mais j'aurais tant aimé l'avoir près de moi. Que voulez-vous! Lyth me dit qu'après la bataille du Canal Albert, Raymond est passé dire un petit bonjour à Anvers. Ils ont eu de la chance, moi depuis le 9 mai, je suis sans nouvelles, mais suis heureuse quand même de le savoir encore vivant après le Canal Albert. J'ai déjà fait maintes démarches à son sujet, mais toujours rien... et Lily? Si elle connaissait une adresse pour renseignements, qu'elle ait la gentillesse de me le dire. Comment allez-vous sinon, et Jos? Et les petits? Pauvres enfants quand même!

Je vous ennuie peut-être avec mon bavardage. Je vous demanderai d'avoir la gentillesse de nous décrire votre voyage au plus tôt et nous serons si heureux de vous lire. Je ne relis pas cette tartine et excusez mes fautes et mon écriture. Je vous embrasse tous bien fort et à bientôt de vous lire.

Mimi"

Mimi Herbay est décédée à Anvers en 2002, à l'âge de 89 ans.

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