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Des Belges s'organisent pour lutter à leur manière contre les 'fake news' qui influencent l'opinion publique: voici leur stratégie

La prolifération inévitable d'informations manipulées ou simplement fausses a des conséquences de plus en plus importantes, le web et les réseaux sociaux remplaçant progressivement les canaux d'actualité traditionnels. Des 'activistes' complètement pacifistes ont trouvé un moyen ingénieux de nuire aux sites "racistes, sexistes, xénophobes, homophobes et antisémites": amputer leurs revenus publicitaires en prévenant les annonceurs de leur présence sur ces sites. Nous avons discuté avec un des membres de la "branche" belge de Sleeping Giants.

Le sujet a fait la Une de l'actualité au lendemain de la victoire de Donald Trump. Critiqué par les médias traditionnels pendant une grande partie de sa campagne, le nouveau président des Etats-Unis a bénéficié d'un soutien dans l'ombre sur les réseaux sociaux et sur le web, où des dizaines d'informations fausses ou manipulées ont été partagées des millions de fois par des partisans.

C'est la grande problématique des 'fake news', dont certains observateurs disent qu'elles ont offert la victoire à Trump, qui les a intelligemment assorties d'une campagne de dénigrement et de mépris des médias américains traditionnels (les accusant notamment, c'est un comble, de véhiculer des 'fake news').

Un constat est évident: une partie des citoyens se détourne volontairement (perte de confiance) ou involontairement (c'est plus simple de parcourir un fil d'actus Facebook et de cliquer sur ce qui est interpellant) des médias traditionnels.

Dès lors, il y a de la place pour de nouveaux acteurs, dont le grand public ignore l'origine, les motivations, les sources de financement, voire l'appartenance à certains courants politiques. Breitbart est le plus connu d'entre eux. Le site fondé en 2007 par une figure du conservatisme américain aujourd'hui décédée a largement relayé des informations pro-Trump durant la campagne, certaines d'entre elles étant carrément fausses. Cette analyse du journal Le Monde vous en dira plus.

La preuve la plus flagrante de cette accointance est le fait que Steve Bannon, dirigeant de Breitbart de 2012 à 2016, est devenu 'directeur exécutif' de la campagne de Donald Trump en 2016, et après sa victoire en novembre, 'conseiller du président des Etats-Unis'. Bannon qui a déclaré un jour que Breitbart était "la plateforme de la droite alternative", une notion associée au nationalisme blanc américain.

Sachez également que Breitbart a annoncé un déploiement en France (ou en français) très prochainement.

Des Sleeping Giants en Belgique

Que faire face à cette montée en puissance alarmante d'une information orientée, populiste et agressive – mais qui s'étend grâce à des dons privés et des audiences importantes ?

Les médias traditionnels doivent continuer leur travail impartial, bien entendu, et veiller plus que jamais à conserver leur indépendance, qu'elle soit financière, politique ou idéologique. Pour regagner la confiance d'un lectorat dans le doute et dont la consommation d'information est révolutionnée par la numérisation et les réseaux sociaux, il faut être irréprochable.

Mais certains ont décidé de mener une guerre pacifiste contre Breitbart et, sans doute très bientôt, d'autres sites de ce genre. Ils s'appellent les Sleeping Giants. On peut les définir comme des activistes qui attaquent des sites comme Breitbart là où ça fait le plus mal: au niveau du portefeuille.

Les Sleeping Giants sont nés aux Etats-Unis au lendemain de la victoire de Donald Trump. Et ils ont fait des émules. Des 'membres' belges ont contacté la rédaction de RTL info via le bouton orange Alertez-nous pour nous faire part de leur existence.

La campagne aux États-Unis a rendu quelques personnes en Europe conscientes du problème. Nous avons donc décidé sans hésiter: l'Europe a besoin de son propre centre de Sleeping Giants. En vue des plans d'expansion de Breitbart en Europe, nous sommes déterminés à minimiser l'espace public pour les discours haineux inflammatoires. 

Comment luttent-ils contre des sites comme Breitbart ?

Le principe général des Sleeping Giants est d'amoindrir les rentrées financières des sites comme Breitbart en baissant leurs revenus publicitaires. Or, comme toute entreprise de média, c'est la source principale.

"Enquêtant sur ceux qui étaient responsables du paiement de ces articles, on a découvert que les annonceurs étaient, en fait, abondants. Donnant à des sites comme Breitbart News des millions de dollars pour leurs publicités", nous a expliqué l'un des Sleeping Giant belge.

Sur le web, la publicité fonctionne de manière très variée. Sans entrer dans les détails, une grande partie du placement des pubs est automatisée, en fonction du profil de l'internaute. L'idée finale est de cibler davantage pour proposer une publicité plus pertinente, mais tout cela reste approximatif.

Ce qu'il faut retenir, c'est que les entreprises ne choisissent (généralement) pas les sites sur lesquels leur annonce est passée. Elles peuvent donc se retrouver sur Breitbart.com sans le savoir. Exemple simple à comprendre: ces publicités qui "vous suivent", comme le livre que vous avez failli acheter sur Amazon ou la chemise sur Zalando. Dix minutes après la fin (ou l'annulation) de votre séance shopping numérique, le livre et la chemise apparaissent dans votre fil d'actus Facebook, ou dans l'espace publicitaire d'un site d'actualité. Tout cela est forcément automatisé, à l'aide d'un mouchard (cookie) présent sur votre ordinateur.

Partant de ce constat, l'idée de Sleeping Giants est de pousser les internautes à signaler aux annonceurs, publiquement et via les réseaux sociaux (en mentionnant le compte de Sleeping Giants sur Twitter), que leur publicité est présente sur Breitbart. Ne souhaitant pas être associées à ce genre de site à la réputation sulfureuse, les entreprises reprennent un peu la main sur la diffusion de leur publicité en ligne, les empêchant d'apparaître sur Breitbart.com...

Qui sont-ils ?

Les 'Géants dormants' (traduction littérale) belges veulent garder l'anonymat complet. "On ne pense pas courir beaucoup de risques, mais on veut quand même les minimiser. Certains ‘giants’ ont eu des problèmes, surtout en Allemagne", nous a confié l'un d'entre eux.

"Nous sommes pour l’instant trois en Belgique à tweeter sur @slpng_giants_be (leur compte Twitter, NDLR) mais on considère que tous ceux qui envoient des captures d’écran sont des ‘giants’. Nous vivons à Bruxelles, avons entre 40 et 50 ans, mais on ne pense pas qu’il y a un profil type, il s'agit de personnes qui s’auto-organisent".

Il n'y a donc pas de structure officielle ni de hiérarchie au niveau mondial, même si on trouve des comptes Twitter Sleeping Giants dans de nombreux pays, de la Nouvelle-Zélande à la Finlande. "Nous ne sommes pas du tout liés entre nous. Nous aimons l’initiative américaine, qu’on a émulée, car on a aussi vu apparaître des pubs belges sur Breitbart. On a donc créé un profil et suivi les 'règles' du jeu: se focaliser sur Breitbart, rester poli (parce que les entreprises ne savent pas qu’elles soutiennent ce site détestable), faire des captures d’écran, et expliquer comment les entreprises peuvent bloquer le site".

Initiative locale, mais partage d'informations global. "Il n’y a pas de liens officiels, mais quand même un réseau international, où l’on discute des développements dans les pays, des actions à entreprendre. C’est ainsi que l’on a aussi adopté un graphisme commun", celui du poing serré.

Des résultats concrets

Les activités des Sleeping Giants dans le monde ont déjà donné des résultats concrets. Sur cette liste fournie et mise à jour par les 'responsables' américains et européens, on compte à ce jour 1.426 sociétés "ayant bloqué Breitbart" de leur diffusion publicitaire.

Aux Etats-Unis, quand Kellog's a ouvertement agi de la sorte, Breitbart s'est vengé en appelant ses lecteurs à ne plus jamais manger le moindre produit de la marque céréalière.

"A ce jour, sur la liste belge il y a 80 organisations. 18 d'entre elles nous ont confirmé qu’elles ont bloqué Breitbart (Belgium.be, Delhaize, Engie, BeTV, Toyota Belgium,...). On a l’impression que la plupart bloque sans nous répondre, car on ne revoit plus leurs pubs. Nous espérons aussi que beaucoup n’attendent pas de voir apparaître leurs pubs et vont bloquer spontanément le site", a conclu le membre de Sleeping Giants que nous avons interrogé.

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