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Fabrizio, un Italien né en Belgique, est expulsé: "On ne va quand même pas m'envoyer en Italie!"

De plus en plus d’Européens vivant en Belgique reçoivent un ordre d'expulsion. En quelques années, on peut même parler d’explosion. En 2013, plus de 2.700 ressortissants de l’Union étaient concernés. Même après un long séjour dans notre royaume, ils sont privés de titre de séjour s’ils ne remplissent pas les conditions nécessaires. C’est le cas de Fabrizio, un Italien de 47 ans né en Belgique. L’idée de devoir quitter le pays où il a toujours vécu lui semble inimaginable.

"C’est horrible. Il m’arrive un cas tout à fait incroyable. Je suis Italien, mais je suis né en Belgique. Je n’ai jamais quitté le pays. Et là, je me retrouve avec un ordre de quitter le territoire dans les 30 jours", nous a écrit Fabrizio via notre page Alertez-nous. Cet homme de 47 ans est né à Jemappes (Hainaut) de parents immigrés venus très jeunes d’Italie. A 18 ans, il est obligé de choisir entre la nationalité belge ou italienne."Comme le service militaire était encore obligatoire en Belgique, j’ai choisi d’être italien", souligne ce père d’une jeune fille de 21 ans.

Une loi européenne

Malgré sa nationalité italienne, ses attaches sont donc étroitement liées à notre pays, où réside d’ailleurs la majorité de ses proches."Ma sœur habite ici. Tout comme ma mère et ma grand-mère. Mon grand-père et mon père sont décédés en Belgique." Recevoir un ordre de quitter notre royaume lui semble dès lors aberrant. Et pourtant. Notre pays ne fait que respecter sa législation en la matière.  

Le permis de séjour pour ressortissants européens doit en effet être renouvelé tous les cinq ans, sous certaines conditions."Pour un séjour de plus de 3 mois en Belgique, tout Européen doit avoir des moyens de subsistance propres, soit un travail en tant que salarié ou indépendant, soit une pension ou encore une rente quelconque. La libre circulation des ressortissants européens impose cette condition", explique Dominique Ernould, porte-parole de l’Office des étrangers. 

> LES PERMIS DE SEJOUR EN BELGIQUE: GUIDE PRATIQUE 

"Sans papiers en règle, qui va m’employer ?"

L’année dernière, Fabrizio doit renouveler son permis de séjour dont la validité expire. Il introduit une demande à la commune de Rhode-Saint-Genèse, où il habite depuis cinq ans avec sa compagne. Le quadragénaire doit préciser son activité professionnelle. Il déclare qu'il est demandeur d’emploi. L’administration communale l’inscrit dans le registre des étrangers et lui laisse un délai de trois mois pour fournir plusieurs documents officiels. Ces papiers seront ensuite transmis à l’Office des étrangers, l’institution qui décide d’octroyer ou non le permis de séjour."J’ai dû donner une attestation de la mutuelle, un certificat de résidence, etc. Au total, j’ai plus d’une vingtaine de papiers. A tel point que pour rire, je parle de ma farde d’identité."

Fabrizio doit notamment remettre des documents qui prouvent une recherche active de travail. De l'emploi, l'Italien affirme en chercher activement. "J’ai envoyé plus de 300 candidatures", dit-il. Problème: son permis de séjour qui a justement expiré. "Qui va m’employer sans papiers en règle ? Trouver du travail je veux bien, mais la première chose que l’on me demande, c’est une carte d’identité. Si un autre candidat a ses papiers en ordre, l’employeur va d’abord choisir cette personne-là et pas moi. J’ai l’impression de tourner en rond", s’insurge Fabrizio qui, par ailleurs, tient à préciser n’avoir jamais demandé d’allocations de chômage ni fait appel au CPAS. Mais, du coup, n’ayant ni salaire ni allocations d'aucune sorte, l'Italien ne peut pas fournir à l'Office des étrangers les preuves de moyens de subsistance comme exigé pour la délivrance du permis de séjour.

"Je dois aller en Afghanistan pour revenir comme réfugié politique?"

Mi-décembre, l’Office des étrangers reçoit son dossier pour statuer sur son cas dans un délai de trois mois."Après avoir recoupé toutes les données à son sujet, nous lui avons refusé un séjour de longue durée car des doutes s’installent quant à sa possibilité d’obtenir une activité économique en Belgique", révèle la porte-parole de l’Office. Selon elle, les informations recueillies auprès de la sécurité sociale démontrent en effet qu’il n’aurait cotisé que pendant de rares périodes. "Pour nous, il a donc très peu de chance de trouver un job puisque le dernier remonte à 2005", ajoute la porte-parole. Une affirmation contredite par Fabrizio qui soutient avoir travaillé pendant plusieurs années comme indépendant.

Outre les preuves d'un moyen de subsistance, Fabrizio présente un problème de présence sur le sol belge. En raison de négligences administratives, il a en effet perdu son titre de séjour permanent après avoir été radié de plusieurs communes. Il ne peut donc pas prouver une présence ininterrompue sur le sol belge."Il y a un trou de plusieurs années dans son dossier", indique Dominique Ernould.

Quoi qu’il en soit, ayant reçu l'avis négatif remis par l'Office des étrangers, la commune de Rhode-Saint-Genèse envoie mi-mars à Fabrizio un ordre de quitter le territoire dans les 30 jours. Il est abasourdi en recevant ce courrier."Je ne comprends plus rien. Pourquoi est-ce si difficile d’obtenir un permis de séjour alors que je suis né ici ? Je dois aller en Afghanistan pour revenir comme réfugié politique pour l’avoir ? On ne va quand même pas m’envoyer en Italie où je n’ai pas de résidence", craint le quadragénaire.

Expulser des Européens, c’est très rare

D’après l’Office des étrangers, l’expulsion réelle de ressortissants européens est cependant très rare."Chaque dossier est examiné au cas par cas. Mais nous sommes beaucoup plus souples avec les Européens. On n’expulse vraiment que des personnes qui ont commis des faits graves avec des condamnations", assure la porte-parole.

Fabrizio ne devra donc vraisemblablement pas plier bagages et se rendre dans son pays d’origine."Des policiers ne vont pas venir l’intercepter à son domicile pour le renvoyer en Italie. Ce refus de notre part est une sonnette d’alarme pour qu’il régularise sa situation. Il a intérêt maintenant à trouver une solution et à continuer à poursuivre ses recherches d’emploi", soutient la porte-parole. Si les Européens sont rarement forcés de quitter notre royaume, leur situation devient toutefois très précaire. Leurs documents de séjour leur sont retirés. En situation illégale, ils n’ont donc plus droit à une mutuelle, ni à des allocations sociales.

Une solution grâce à sa compagne

Afin d’éviter ce scénario difficile, Fabrizio aurait pu faire une demande d’obtention de la nationalité belge. Mais comme il se trouve aujourd’hui en séjour illégal, il ne peut pas introduire une telle demande. Dans son cas, la solution la plus facile pour prouver qu’il ne tombe pas à charge des pouvoirs publics est de se tourner vers sa compagne. Comme elle possède un revenu suffisant pour couvrir les frais du couple, elle pourrait se porter officiellement garante pour lui."Il suffit qu’elle signe un document officiel à la commune. Une cohabitation légale n’est même pas nécessaire. De cette façon, il aura une autre base légale pour pouvoir rester en Belgique. Par contre, si elle perd son travail et se retrouve au CPAS, cela ne sera plus possible", assure Dominique Ernould.

"Je suis quand même révolté"

Si Fabrizio préférerait éviter cette solution, il n’a semble-t-il pas le choix."Je suis quand même révolté. Et puis, ma compagne pourrait un jour en avoir marre parce que je ne trouve pas d’emploi. Avec tous ces papiers, on dirait que je suis le repris de justice numéro un. Elle pourrait aussi péter un câble et me mettre à la porte. Cela ne sera pas le cas, mais c’est une possibilité. Je n’aurai alors que mes yeux pour pleurer !" Estimant ses droits bafoués, le quadragénaire a d’ailleurs fait appel à une avocate pro deo."Nous avons 30 jours après l’envoi de l’ordre de quitter le territoire pour faire appel", indique Maître Evelyne Barbieux.  

Cette histoire illustre en tout cas la complexité de la situation de nombreux Européens vivant dans un autre pays de l’Union. Car Fabrizio est évidemment loin d’être le seul à vivre cette difficile tranche de vie. Depuis trois ans, le nombre d’Européens privés de séjour en Belgique ne cesse d’augmenter. Mais l’Office des étrangers refuse de parler d’un durcissement de la loi."Cette hausse s’explique simplement par le fait que nous travaillons plus efficacement depuis 2011. D’une part, nous sommes beaucoup mieux informés car les banques de données sont croisées. Nous avons donc accès aux données de la sécurité sociale, des CPAS, de l’Onem, etc. Et d’autre part, nous avons engagé plus de personnel. C’est ainsi que nous nous sommes rendu compte que pas mal d’Européens qui se trouvaient sur le sol belge ne rentraient pas dans les conditions pour un séjour de longue durée", explique la porte-parole.  

Une réalité à laquelle est donc confronté aujourd’hui Fabrizio qui n’aurait pourtant jamais imaginé recevoir un jour l’ordre de quitter son pays natal.   

Julie Duynstee

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