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Impossible pour Nastassia de trouver une zone de police qui l'engage: la fonction d'agent de police amenée à disparaître?

Nastassia, habitante de Marche-en-Famenne, veut entrer dans la police. Elle a échoué au concours d'entrée d’inspecteur par trois fois, alors elle s'est rabattue sur la fonction d'agent de police. Son attestation de réussite en main, elle rencontre tout le mal du monde à trouver une zone de police qui veuille bien l'engager. Les zones de police préfèrent engager des inspecteurs de police, plus compétents et armés. Alors, pourquoi continuer les campagnes de recrutement des agents de police?

"On dit qu’on recrute à la police et que tous les profils sont recherchés, mais voilà, j’ai obtenu l’attestation de réussite d’agent de police et je n’ai rien. Ne dites pas que vous recrutez et que vous engagez si ceux qui ont réussi n’arrivent pas à trouver un poste." Le message est clair. Nastassia, 22 ans, est dans une impasse. Elle a réussi les examens d’entrée pour devenir agent de police mais impossible pour elle de trouver une zone de police qui veuille bien l’accueillir, alors même qu'il y a eu des campagnes de recrutements incitant les citoyens à rejoindre les rangs des forces de l’ordre. La fonction d’agent de police est-elle tout simplement amenée à disparaître ? Explication d’un paradoxe.

Trois essais, trois échecs

"J’ai vu mon rêve s’envoler". Nastassia, une habitante de Marche-en-Famenne (province du Luxembourg), ne deviendra pas inspectrice de police. Pas tout de suite. "C’est une vocation depuis toute petite. Je voulais aider comme je pouvais les autres et être au contact de la population. Je me suis rendu compte que face à des conflits, on pouvait compter sur la police. Alors, je me suis toujours dit que c’est ce que je voulais faire." Après des études dans l’enseignement secondaire, Nastassia se lance immédiatement dans les concours d’entrée de la police en tant qu’inspecteur. Entre ses 17 ans et ses 22 ans, elle échoue à trois reprises. Malheureusement pour elle, les chances sont justement limitées à trois tentatives. Son dernier essai remonte à 2015.

Des refus à la pelle 


Loin de se décourager face à ce triple échec, Nastassia ne baisse pas les bras. Coûte que coûte, elle rentrera dans les rangs de la police. Si les portes d’entrée pour devenir inspecteur ont été fermées trois fois, c’est en tant qu’agent de police qu’elle souhaite cette fois-ci entrer dans la maison bleue. On est en 2015, elle se lance dans de nouveaux examens d’entrée, cette fois ceux d'agents de police, le grade en dessous de celui d'inspecteur.

Quelques mois plus tard, en mars 2016, le succès est au rendez-vous. "J’ai réussi tous les examens d’entrée avec succès." Attestation de réussite en poche, l’aspirante agent de police doit trouver une zone de police qui veuille bien l’engager et donc payer sa formation sur les bancs de l’académie de police. Au terme de la formation, l’agent de police retourne dans la zone de police qui l’a engagé et peut débuter sa carrière. Et c’est là que les événements vont se corser pour Nastassia. "J’ai envoyé mon attestation de réussite à au moins 13 ou 14 zones de police différentes avec une lettre de motivation. Toutes les réponses ont été négatives." 

Impossible pour elle de rejoindre les bancs de l’académie de police. Nastassia est même prête à faire de la route, à déménager. "J’ai envoyé ma candidature à Liège, Bruxelles, Wavre, etc." Les réponses sont toujours les mêmes: "Votre candidature en tant qu’agent de police m’est bien parvenue et je vous remercie de l’intérêt que vous portez à notre zone de police. Je suis cependant au regret de vous informer qu’aucun emploi correspondant à votre profil n’est prévu (...)"

Qu'est-ce qui augmente les chances de décrocher un poste d'agent de police?

Comment expliquer ces refus ? Sur le site de la police fédérale, les appels à rejoindre les rangs de la police sont mis en évidence et indiquent: "La police est constamment à la recherche de nouveaux collègues aux bagages les plus divers, car elle joue différents rôles, tous essentiels, dans notre société. Nous avons non seulement besoin de policiers de tout grade, d’agent à commissaire", peut-on lire sur le site jobpol.be.

Joint par notre rédaction, le service recrutement et sélection de la police fédérale nous explique que les chances de Nastassia d'obtenir un emploi au sein d’une zone de police dépendent "des choix restrictifs ou non des candidats et des opportunités qui peuvent se présenter à l’un ou l’autre moment." Réponse floue, mais le service précise: "Ce sont surtout les 'grosses' zones de police qui engagent des agents (Bruxelles, Anvers notamment mais aussi des zones du Hainaut)." Et pour expliquer la malchance dont pourrait jouir la Marchoise, la police fédérale avance deux arguments: le lieu d’origine (1) de l’aspirant agent de police et la conjoncture budgétaire (2). Explications.

1. La zone d'où provient le candidat a son importance


En Belgique, les zones de police situées en province, dans les zones dites rurales, n’engagent (presque) plus d’agent de police. C’est un constat que fait la police fédérale.

Nastassia a tenté d’entrer dans les rangs de la zone de police la plus proche de son domicile, celle de Famenne-Andenne. En vain. Et la raison est sans appel: la zone de police Famenne-Andenne ne recrute pas d’agent de police.

"C’est une décision du Conseil de police", nous indique une responsable de cette zone qui poursuit: "Les agents de police ont des compétences limitées. Ils ont des compétences spécifiques particulièrement en matière de circulation et d’ordre public". Des qualités plus adaptées aux grandes agglomérations comme Bruxelles, Liège ou en encore Anvers où ils peuvent également exécuter des tâches administratives ou gérer la circulation, car le trafic est forcément plus dense. A Marche-en-Famenne, moins de chance que le trafic soit important par exemple. "Nous ne sommes donc pas pour avoir des agents de police", conclut la responsable.

La police fédérale nous fait également savoir qu’une zone de police va toujours préférer un agent de police originaire de sa région. Elle avance deux raisons: "D’une part, ils ont une meilleure connaissance du terrain et de la population qui y vit. D’autre part, un agent recruté de la même région que sa zone de police a plus de chance de faire carrière en son sein et de ne pas être tenté par un retour dans sa région d’origine".

En résumé, une zone de police est peu encline à financer la formation d’un agent de police (budget communal) qui après quelques années retournera dans sa région d’origine pour se rapprocher de sa famille par exemple. Le retour sur investissement ne serait pas très intéressant. Une situation paradoxale à la lumière du parcours de Nastassia qui a postulé dans plus de 14 zones. Originaire de la province du Luxembourg, sa zone de police n’engage pas d’agent de police. Mais en envoyant son CV à Bruxelles, Liège ou encore Namur, elle réduit ses chances d’être engagée car elle n’est pas originaire de ces villes. Drôle d’impasse. Mais tout n’est pas perdu pour la police fédérale qui lui donne le conseil suivant: "Il faut encore étendre la zone de recherche et solliciter un rendez-vous. Un contact personnel est parfois plus productif."

2. La conjoncture budgétaire est un autre facteur important

La formation des agents de police sur les bancs de l’académie est financée par une zone de police. Cette dernière dépend des budgets d’une commune. Le budget d’une commune n’étant pas illimité, chaque zone de police est entre les mains d’un Conseil de police composé du ou des bourgmestres qui composent la zone et de conseillers communaux. Le Conseil de police a entre autres pour fonction de déterminer le tableau organique de la zone. En d’autres termes, il va définir en fonction des budgets de la commune le nombre de commissaires, d’inspecteurs ou d’agents de police nécessaires au respect de l’ordre public.

La police fédérale a constaté que deux choix étaient opérés par les zones de police: soit ne plus engager des agents de police (comme expliqué plus haut), soit maintenir un corps d’agents de police avec des missions bien précises dans le cadre de leurs attributions. "C’est notamment le choix opéré par la zone Bruxelles-Capitale-Ixelles et Anvers. Certaines zones de police du pays font le choix de ne pas recruter d’agents de police mais optent pour le recrutement d’inspecteurs de police aux compétences nettement plus élargies pour une différence salariale minime", révèle la police fédérale. A la zone de police de Famenne-Andenne, on abonde dans ce sens: "Certes, un agent de police coûte un petit peu moins cher qu’un inspecteur mais ses compétences sont beaucoup plus limitées. On préfère du coup la polyvalence des inspecteurs de police."

La police fédérale reconnait même que "dans certaines provinces, la quasi-totalité des zones de police procède de la sorte" et délaisse donc les agents de police pour les inspecteurs. Pour compenser les tâches des agents de police, certaines zones vont favoriser "le recrutement agents communaux sanctionnateurs" indique la police fédérale.


Le contexte actuel ne favorise pas les candidatures




A la provenance des lauréats(1) et la conjoncture budgétaire(2) s’ajoute même un troisième élément pour comprendre les difficultés que peut rencontrer Nastassia. Selon Vincent Gilles, président du SLFP Police (Syndicat Libre de la Fonction Publique): le climat actuel de menace terroriste est à prendre en considération. "Les zones de police ont surtout besoin de fonctionnaire de police (inspecteurs) donc de personnes qui sont déjà armées. Dans le cadre du terrorisme, les agents de police n’étant pas armés, les zones de polices vont devoir mettre en œuvre en plus des mesures de sécurité supplémentaires pour leur propre personnel", fait-il savoir. Une charge de travail supplémentaire pour les chefs de corps.


Changement majeur

La police fédérale a bien conscience de l’étendue de la problématique et de la difficulté que peuvent rencontrer certains aspirants agents de police à trouver une zone. Face à cette conjoncture, l'état major de la police fédérale a décidé d'opérer un changement stratégique dans ses campagnes de recrutement à l’avenir. Elle a opté pour un plan qui prendra forme lors de la prochaine campagne de recrutement d’agent de police, début 2017. En quoi consiste-t-il?

La police fédérale a adopté un système d'appel à candidatures ciblé précédé d’un questionnement des zones de police afin de voir quelles sont les zones susceptibles d’engager des agents. "Les candidats devront alors opter pour une des zones concernées dès leur candidature", précise le service recrutement de la police fédérale qui ajoute: "Cependant, en cas de réussite, s’ils ne sont toujours pas engagés, ils seront versés sur la liste de réserve générale de leur régime linguistique." En résumé, les zones de police seront d'abord sondées et en fonction des demandes, la police fédérale ajustera l'offre des agents de police au moment du recrutement. Jusqu'à présent, les campagnes de recrutement se faisait sans prendre en compte ce facteur important.


Arme à la ceinture




Autre élément capital, les agents de police ne sont pas armés à l'heure actuelle. C’est l’une des raisons qui rebute les zones de police à engager des agents et à préférer les inspecteurs qui, eux, le sont. Une situation qui est justement sur le point de changer car un arrêté royal a été négocié dans ce sens ces derniers mois.

Dans le futur, s’ils le souhaitent, les agents de police seront donc armés.

Un tournant majeur pour le métier d’agent de police. Anne-Laure Mouligneaux, porte-parole au ministère de l’Intérieur, détaille: "Nous avons le projet d’armer tous les agents de police. Les agents actuels auront le choix d’être armés ou non. Les futurs agents, eux, seront d’office armés." Une formation est bien évidemment prévue à cet effet. "Le parcours législatif (arrêté) est dans ses toutes dernières étapes. Nous avons d’ailleurs demandé aux différentes zones de se préparer (formation et matériel) pour que les formations puissent être données très vite dès finalisation du parcours législatif", ajoute le ministère de Jan Jambon.

Des facilités pourraient aussi être mises en place pour les agents de police une fois en fonction pour pouvoir monter en grade. C'est ce que nous fait savoir Vincent Gilles: "Dans le futur les agents de police se verront proposer un parcours de promotion sociale plus facile pour monter au grade d’inspecteur." Difficile de savoir dans quelles circonstances ces promotions s'effectueront pour le moment.


"Ils auront toujours une utilité dans les grandes zones de police"

Les dispositions à venir sont de bons augures pour Nastassia et les aspirants agents de police. Les zones de polices pourraient se montrer plus enclines à engager des agents de police dont les compétences se rapprocheraient de celles des inspecteurs.

Nastassia accueille la nouvelle avec enthousiasme: "C’est super, c’est très bien que les agents de police soient armés. Pourquoi on ne me le dit pas ? J’ai tenté de trouver des réponses et à la police fédérale on ne m’a pas expliqué tout cela."

En attendant, Nastassia attend "la mort dans l’âme que quelqu’un veuille bien lui donner une chance."

Alors, la fonction d’agent de police est-elle amenée à disparaître ? C’est la question que nous nous posions en début d’enquête et que nous avons posée au ministère de l’Intérieur. La réponse est NON. La fonction d’agent de police n’est pas amenée à disparaître. Au contraire pour le ministère de l’Intérieur qui met en avant les futures formations au port d’armes par exemple. Vincent Gilles se montre également rassurant quant à l’avenir du métier d’agent de police: "Il n’y a pas de directives générales qui indiquent qu’on ne doit pas recruter d’agents. Une disparition de la fonction, non. Ils auront toujours une utilité dans les grandes zones de police."

Conclusion

Le ciel devrait s’éclaircir pour les agents de police et leur fonction n’est pas du tout amenée à disparaître. Avec les nouvelles campagnes de recrutement plus ciblées, l’offre et la demande devraient s’équilibrer. Les futurs agents de police seront armés et les actuels pourront suivre une formation pour le devenir. Une compétence supplémentaire qui devrait aider les zones de police à engager davantage des agents de police. Le parcours de promotion sociale pour devenir inspecteur sera plus facile également. Bref, tout bénef' pour Nastassia, dont le rêve de devenir inspecteur n’est pas tout à fait enterré. 

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