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Amazon vend-il des produits interdits ? Jérôme a acheté une vanne chinoise à la "non-conformité flagrante"

On trouve tout sur Amazon, le plus grand site de commerce en ligne que les Belges utilisent principalement via sa filiale française. Mais on trouve aussi n'importe quoi. Jérôme a déniché une électrovanne à bas prix, qui n'est pas conforme aux normes élémentaires en vigueur dans toute l'Europe. Ce qui n'est pas du tout légal, comme nous l'a confirmé le SPF Economie.

L'explosion du commerce en ligne a bien des avantages pour le consommateur (un choix plus large et des prix plus bas), mais a aussi quelques inconvénients. Si l'on vous a déjà parlé à plusieurs reprises des problèmes de garantie et de service après-vente, c'est la première fois qu'il est question de respect des normes de conformité européennes.

Jérôme a acheté une électrovanne sur Amazon dernièrement. "C'est une vanne commandée électriquement, branchée sur un tuyau d'eau pour alimenter un brumisateur dans le jardin, c'est une sorte de commande d'arrosage à distance", nous a-t-il expliqué après avoir contacté la rédaction de RTL info via la page Alertez-nous.

Cet habitant de la région de Liège, gradué en électronique, n'a "aucun problème" avec cette vanne, qui fonctionne parfaitement. S'il nous a contacté, c'est parce qu'il s'est rendu compte qu'elle n'était certainement pas conforme aux normes européennes en vigueur.

"Il n'y a pas le logo CE, or c'est la base", a poursuivi Jérôme, qui connait le milieu de la certification pour y avoir travaillé. "On voit bien que les deux fils rouges qui sortent de la vanne ne sont pas isolés, il n'y a même pas de bornage pour ne pas les toucher. J'ai travaillé dans le domaine de la certification, et dans ce cas-ci, la non-conformité me parait flagrante... et c'est peut-être l'arbre qui cache la forêt", a-t-il précisé.

Jérôme s'étonne également que la référence du commerce en ligne qu'est Amazon ose vendre ce genre de produits non-conformes.

Qu'est-ce que le marquage CE ?

Le marquage CE, c'est un petit logo tout simple que vous avez certainement déjà aperçu à des milliers de reprises dans votre vie - il existe sur des étiquettes et des emballages depuis 1993.

Pour faire simple, le marquage CE est l'indicateur principal de la conformité d'un produit aux législations de l'Union Européenne. En l'apposant sur son produit, le fabricant garantit qu'il respecte toute une série de normes, par exemple au niveau de la sécurité (c'est le but principal de ce marquage).

Typiquement, on retrouvera ce logo en évidence sur tous les jouets. Ceux-ci étant souvent fabriqués en Chine, le marquage garantit par exemple l'absence de plomb sur des figurines peintes. Mais de nombreux domaines doivent être couvert par ce marquage (machines, bateau, récipients à pression, etc: voir cette liste récente).

Le "matériel électrique basse tension" fait également partie des produits concernés. Une directive européenne de 2014 a précisé la législation spécifique à ce type de produit (à lire ici, mais c'est assez indigeste). Ces produits comprennent l'électrovanne achetée par Jérôme.

Comme le précise Jérôme, qui connait bien le milieu pour y avoir travaillé, "les produits doivent avoir un logo et un certificat de conformité, mais ça ne veut pas dire qu'ils ont été testés par un organisme indépendant". En réalité, "le fabricant engage sa responsabilité en disant que son produit respecte nos lois, mais ce n'est pas la preuve qu'il les respecte effectivement".


Le "manuel" de la vanne achetée par Jérôme sur Amazon.

Qui doit respecter ces normes ?

Pour résumer: le marquage CE n’indique pas une origine géographique, mais certifie la conformité d’un produit aux législations européennes prévues (par exemple, aux législations harmonisées pour la sécurité) avant sa commercialisation. Le marquage indique que le fabricant a contrôlé la conformité du produit aux obligations fondamentales en matière notamment de sécurité, d’hygiène et de protection de l’environnement.

Voilà pour la théorie, mais dans la pratique, comment ces règles s'agencent-elles ? Qui doit respecter ces normes ? Un peu tout le monde, en réalité. Le fabricant qui décide de vendre un produit en Europe (dans notre cas, un constructeur chinois non identifiable), l'importateur (le vendeur qui met ses produits sur Amazon.fr), et le distributeur (Amazon.fr).

La législation européenne issue de la directive de 2014 stipule que ces trois acteurs, "(...) avant de mettre du matériel électrique à disposition sur le marché, doivent vérifier qu’il porte le marquage CE, qu’il est accompagné des documents requis et des instructions et informations de sécurité rédigées dans une langue aisément compréhensible par les consommateurs et autres utilisateurs finals de l’État membre dans lequel le matériel électrique doit être mis à disposition (...)"

Il est donc bien clair qu'Amazon est responsable et fautif, au même titre que le vendeur indépendant et que le fabricant.

Amazon répond, le vendeur disparait

Il est généralement assez difficile de communiquer avec Amazon, méfiant avec la presse car souvent accusé de tous les torts (monopole, imposition des prix, évasion fiscale en étant basé au Luxembourg, etc). Cependant, nous avons réussi à obtenir une réaction concernant notre problème, via l'agence de communication parisienne servant d'intermédiaire.

"Conformément aux accords passés avec Amazon, les vendeurs tiers proposant des produits via la Marketplace (voir au bas de l'article) d’Amazon.fr s’engagent contractuellement à ce que leurs produits respectent la règlementation applicable. Lorsqu’Amazon est notifiée d’une possible non-conformité d’un produit offert par un vendeur tiers, les équipes internes procèdent aux vérifications nécessaires et prennent les mesures appropriées".

Quelques jours après notre échange d'emails, Amazon a d'ailleurs retiré l'électrovanne de Jérôme de son site, et a sans doute banni le vendeur, que nous ne retrouvons plus.

Le vendeur semblait d'ailleurs se méfier d'une telle sanction, plusieurs jours avant que nous ne joignions Amazon. "J'avais contacté le vendeur, sans doute un simple importateur. Après quelques échanges d'emails en français, où je lui ai fait part de mes remarques par rapport à la non-conformité de la vanne, il m'a remboursé, sans demander le renvoi du produit", nous a expliqué Jérôme.

Le SPF Economie nous explique ce qu'est "la clause de marché intérieur"

Dans notre royaume, c'est le SPF (Service Publique Fédéral) Economie qui se charge des questions de conformité des produits vendus en Belgique. Les sites de commerce en ligne "sont régulièrement contrôlés par l'Inspection économique et font également l'objet d'enquêtes générales", nous a expliqué Chantal De Pauw, porte-parole du SPF, au même titre que les magasins traditionnels.

Le ministère nous a confirmé qu'au regard de la loi belge, Amazon était fautif. "Si l’achat est effectué directement sur un site web (...), la société exploitant ce site web est responsable". 

Que doit faire Jérôme, dès lors ? "Il peut premièrement notifier à Amazon la non-conformité du produit acheté. Amazon est alors dans l’obligation de procéder aux vérifications nécessaires et doit prendre les mesures appropriées dans le cas où la non-conformité du produit est avérée". Le site de commerce en ligne, on l'a vu, a déjà supprimé l'annonce et banni le vendeur.

"Le consommateur peut également porter plainte auprès de l’Inspection économique. Mais étant donné que la société Amazon Europe Core SARL est située au Luxembourg, nous ne pouvons pas intervenir directement. En effet, le commerce électronique s’articule autour d’un principe majeur, appelé 'clause de marché intérieur', en vertu duquel l’activité d’un prestataire est soumise à la loi du pays d’origine. Dans ce cas, c’est la législation luxembourgeoise qui est d’application. Si nous recevons un signalement concernant un problème sur le site www.amazon.fr , nous en informons les autorités luxembourgeoises afin qu’elles interviennent directement auprès d’Amazon Europe. Pour le consommateur, il est donc plus efficace de porter directement plainte auprès des autorités luxembourgeoises".

Quant à Jérôme, se rend-il coupable d'un quelconque crime en ayant acheté et en utilisant un produit non conforme ? "Non, s'il ne vend pas à son tour le produit. D'autre part, s'il sait que le produit acheté n'est pas conforme, s'il présente un risque, il est recommandé de ne pas l'utiliser".


Conclusion

Le cas de Jérôme est révélateur de notre rapport pour le moins ambigu au commerce en ligne. D'un côté, il y a la vision idéale et naïve: un site comme Amazon permet de dénicher des produits introuvables dans nos magasins traditionnels, ou d'autres produits souvent moins chers.

Le consommateur se réjouit: il est le premier bénéficiaire de ce large choix et des prix bas. "La vanne fonctionne parfaitement, et je l'ai payée 25€, alors que d'autres modèles d'apparence plus sérieuse coûtaient au moins deux fois plus chers", nous a expliqué Jérôme.

De l'autre côté, il y a la réalité: pour atteindre un tel prix, le fabricant chinois de la vanne n'a forcément pas pris la peine d'intégrer des éléments de sécurité supplémentaires. Il n'était sans doute même pas au courant qu'un importateur allait ensuite mettre cette vanne en vente sur Amazon, via la plateforme Marketplace (voir encadré).

Cette plateforme est le revers de la médaille du succès d'Amazon: en permettant à n'importe qui de vendre des produits sur son site (et en prélevant une commission, forcément), le géant américain ouvre la boîte de Pandorre. Il y a tout et n'importe quoi sur Amazon, et il faut y être aussi prudent que sur eBay.

Les précautions d'Amazon semblent par ailleurs trop minces: il n'y a pas de contrôle a priori des produits mis à disposition du consommateur. Il n'y a que des sanctions a posteriori. Si le vendeur ne respecte pas "la réglementation applicable", Amazon "prend les mesures nécessaires" à son égard: ses produits sont retirés du site et il est banni.

Un jeu du chat et de la souris bien connu du vendeur auquel Jérôme a acheté la vanne: il a remboursé immédiatement notre témoin dès qu'il a émis des doutes sur la conformité de la vanne, sans doute de crainte d'être mis de côté par Amazon...

Victime de son succès, Amazon joue donc avec le feu. C'est clairement une opportunité en or pour les enseignes locales: Krëfel, Mediamarkt, Fnac, Vandenborre (il y en a d'autres) se sont lancé dans le commerce en ligne. Elles doivent jouer sur la carte de la garantie de la qualité (et de la conformité) du produit mis en vente, en plus de celle du service après-vente et de l'image de confiance qu'elles dégagent pour le consommateur.

Des services que le commerce traditionnel garantit depuis de longues années. "Dans tous les contrats avec nos fournisseurs, il y a des éléments liés aux produits, au packaging, à l'étiquetage. Tout doit respecter les normes européennes, c'est non négociable", nous a expliqué Vera Vermeeren, porte-parole de Carrefour. Elle nous précisé qu'au-delà des contrôles à la douane et ceux du SPF Economie, "notre service qualité effectue des tests réguliers sur les produits". 

Le SPF Economie, quant à lui, ne peut qu'"informer" son homolgue luxembourgeois qu'Amazon, qui y a élu domicile pour des raisons fiscales, ne respecte pas la législation européenne en permettant la vente de produits non-conformes (on imagine qu'il y en a des milliers) sur son site.


C'est quoi, la Marketplace d'Amazon ?

Un petit mot sur la Marketplace d'Amazon. Il s'agit d'une rentrée d'argent très facile pour le géant américain du commerce en ligne. Des vendeurs indépendants utilisent le site d'Amazon.fr pour atteindre des millions de clients potentiels. En contrepartie, ils cèdent à Amazon un pourcentage (entre 5 et 45%) du prix payé par l'acheteur, et paient des petits frais supplémentaires.

En retirant de son site l'électrovanne achetée par Jérôme, Amazon.fr n'a fait que suivre son règlement à l'adresse de ces vendeurs indépendants. L'article 1.3 des 'Conditions particulières applicables aux vendeurs' des 'Conditions de participation' de la Marketplace stipule que :

"Le vendeur garantit qu'il est habilité à vendre les objets proposés, que ces objets ne sont pas grevés de droits de tiers susceptibles d'en empêcher la vente, que les produits sont autorisés à la vente à distance et sont conformes aux dispositions législatives applicables, qu'ils n'enfreignent pas, en particulier, le droit d'auteur, le droit des marques et les autres droits de tiers, qu'ils sont fiables et conformes aux exigences légales (y compris toute exigence de marquage ou d'étiquetage) applicable, notamment en matière de sécurité des produits (par exemple, normes CE)."

Selon Jérôme, notre témoin, "il est très simple de devenir vendeur sur Amazon" grâce à la Marketplace. "C'est facile d'acheter des produits chinois sur Alibaba (l'équivalent chinois d'Amazon, NDLR) et de les revendre en Europe, il ne faut pas entrer de certificat de conformité pour mettre un produit en vente !"


Mathieu Tamigniau - @mathieu_tam

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