Accueil Actu

L’achat d’un appartement à Bruxelles angoisse Laura: "Je ne veux pas mettre une famille à la rue"

Depuis près d’un an, une habitante de Bruxelles espère devenir l’heureuse propriétaire d’un appartement à Forest. Alors que la signature de l’acte approche, le bien reste toutefois occupé par les locataires. Une situation délicate et incertaine qui risque bien de transformer son rêve en cauchemar.

"J’ai l’impression que l’on veut peut-être me refiler la patate chaude. Mais c’est un risque que je ne veux pas prendre. Je ne veux pas mettre une famille avec quatre enfants à la rue", soupire Laura (ndlr: nom d’emprunt), qui nous a contactés via notre page Alertez-nous pour nous faire part de sa situation difficile.

Cette trentenaire nourrit l’espoir de pouvoir concrétiser un projet attrayant à ses yeux: acheter un bien immobilier à Bruxelles. Après plusieurs mois de recherche, elle pense enfin avoir trouvé la perle rare. Un appartement à rénover, situé dans une maison de rapport à Forest. Le compromis de vente est signé le 22 octobre dernier avec le vendeur. Comme des locataires occupent les lieux, le notaire de la jeune femme lui conseille d’inclure au document une clause suspensive qui exige que le bien soit libre au moment de la signature de l’acte."Il faut donc que les locataires soient partis et les meubles également. Et si l’appartement n’est pas vide, la vente sera annulée", précise-t-elle.

"Ils ont même envoyé une lettre au Roi"

Le délai maximum entre la signature du compromis et de l’acte notarié est de quatre mois. Dans le cas de Laura, le rendez-vous avec le notaire et le vendeur doit donc être fixé au 22 février au plus tard. Soit dans une dizaine de jours. Mais la trentenaire est confrontée à un problème de taille qui pourrait compromettre la vente. Les locataires n’ont toujours pas quitté les lieux. Il s’agit d’un couple avec quatre enfants dont certains sont en bas âge. Le père et la mère bénéficient d’une aide financière du CPAS de Forest. D’après l’agent immobilier qui s’occupe de la vente du bien, leur bail a été enregistré il y a 8-9 ans.

"Selon le vendeur, ils cherchent un autre appartement depuis plusieurs mois. Ils auraient même envoyé une lettre au Roi pour demander de l’aide. Mais, ils n’ont toujours rien trouvé", regrette Laura. Leur situation financière ne facilite évidemment pas les choses, mais le couple aurait des exigences peu réalistes vu les prix pratiqués actuellement sur le marché. Par ailleurs, ils n’auraient pas pris pleinement conscience du temps qui défilait avant le début de cette année. Selon l’agent immobilier, qui préfère garder l’anonymat, le CPAS de Forest serait prêt à leur avancer le payement de la garantie locative, et le couple aurait finalement accepté de signer un renom qui les contraint à quitter l’appartement pour le 15 mars.

Le souci, c’est que la signature de l’acte authentique doit avoir lieu avant cette échéance. Si cette famille ne trouve pas de nouveau logement d’ici le 22 février, Laura devra donc soit renoncer à la vente, soit décider de devenir la nouvelle propriétaire et se soumettre aux mêmes règles que son prédécesseur. S’il n’y avait pas de renom donné par les locataires, dès le jour de la signature de l’acte, Laura aurait pu leur envoyer une lettre en tant que nouvelle propriétaire. Selon la loi, elle a le droit de résilier le bail pour vivre personnellement dans son bien. Elle doit toutefois prévenir les locataires qui ont jusqu’à six mois pour déménager.

Une expulsion est une procédure judiciaire... longue

Dans ce cas-ci, les locataires ont signé un renom pour le 15 mars. Ils sont donc censés partir au plus tard ce jour-là. Une perspective plus réjouissante que les six mois d'attente. Mais s’ils ne quittent pas l’appartement à la date prévue, Laura risque de se retrouver avec une procédure judiciaire d’expulsion sur les bras. Une solution longue et coûteuse. Cela peut durer minimum 3 mois et un temps maximum indéterminé, dépassant parfois un an. "Le bailleur doit d’abord adresser une mise en demeure aux locataires, en leur disant qu’ils ont trois jours pour partir et que, passé ce délai, ils risquent de se retrouver devant un juge de paix pour expulsion. Il y a minimum dix jours entre la demande et l’audience devant la justice de paix. C’est le minimum prévu par le code, mais tout dépendra de l’agenda du tribunal", explique Bénédicte Delcourt, la directrice du Syndicat national des propriétaires et copropriétaires.

S’il n’y a pas de contestation de la part du locataire lors de l’audience, le juge de paix statuera rapidement sur la date d'expulsion. Il faudra environ une semaine minimum pour qu’il rédige son jugement. Ensuite, le propriétaire a besoin de ce que l’on appelle l’"expédition" du jugement."Cela dure quelques jours pour l’obtenir et elle est payante", indique la directrice du syndicat. Avec ce document en main, l’huissier va pouvoir signifier cette décision officielle, c’est-à-dire la porter à la connaissance du locataire."Cette procédure va démarrer le délai fixé par le juge dans lequel le locataire doit avoir quitté les lieux. Par défaut, le code judiciaire dit qu’il faut 30 jours entre la signification et l’expulsion", indique Mme Delcourt. Mais ce délai d’un mois est toutefois beaucoup plus long dans les faits. Le jour de l’expulsion, l’huissier a en effet besoin d’un policier, d’un serrurier, de deux témoins et du camion de déménagement de la commune. Pour trouver une date commune, cela prend en général plusieurs semaines. Surtout dans certaines communes où la police ne consacre que peu de créneaux horaires possibles pour ce type d’intervention."L’expulsion est donc postposée en fonction des disponibilités de chaque intervenant. Certains bailleurs peuvent attendre plusieurs mois", assure la directrice du syndicat.


Une appréciation souveraine du juge de paix

Et cette période de temps peut s’avérer encore plus longue si, lors de l’audience, le juge de paix décide d’octroyer un délai supplémentaire au locataire afin de retarder l’expulsion. Il peut prendre en considération sa situation familiale, les possibilités de relogement, etc. Par exemple, le locataire peut évoquer le fait de devoir hospitaliser un enfant ou de ne pas vouloir changer d’école en cours d’année scolaire."Par contre, le simple fait que les locataires aient des enfants ou qu’ils soient au CPAS, cela ne change rien. Il n’y a pas de discrimination positive ou négative par rapport à cela. Ce n’est pas parce que les locataires n’ont pas un revenu élevé que le bailleur doit en subir les conséquences. De son côté, le bailleur a aussi des éléments à faire valoir, comme un renom à respecter ou un engagement auprès d’entrepreneurs pour des travaux à réaliser. Et normalement, le juge doit prendre en considération l’intérêt des deux parties. C’est donc très important de dire dans quelle situation on se trouve pour que le juge puisse faire cette balance des intérêts", souligne Mme Delcourt. Pour influencer cette appréciation souveraine du juge, Laura pourrait notamment expliquer la nécessité de réaliser des travaux dans l’appartement dont l’état laisse à désirer. "Il y a de la moisissure sur tout un mur", assure la trentenaire.


Des frais allant de 1.000 à 1.500 euros

Si elle décide d’entamer cette procédure d’expulsion, elle devra donc faire preuve de beaucoup de patience, mais elle devra également payer une somme non-négligeable. La facture est plutôt salée. Il faut compter en moyenne entre 1.000 et 1.500 euros. Ces frais sont mis à charge du locataire, mais c’est le propriétaire qui les avance. Il peut ensuite espérer récupérer cet argent, si le locataire est solvable.

On comprend donc mieux l’inquiétude de Laura, qui ne souhaite pas en arriver là. "La dernière fois que j’ai appelé le vendeur, j’étais en panique par rapport à la situation. De son côté, il s’est montré optimiste, en assurant qu’ils seront partis à temps. Mais j’ai peur qu’il tente de me rassurer pour que je signe avec les locataires. Peut-être que je dramatise et qu’il pense déjà à une solution pour les reloger. Mais j’en doute. La vie n’est pas un conte de fée", regrette la jeune femme.

Seul petit rayon de soleil à ce tableau sombre: la possibilité pour Laura de retarder la signature de l’acte de quelques jours. "Mon notaire m’a indiqué qu’il est possible de décaler le jour de la signature, moyennant une preuve que les locataires aient trouvé un logement et qu’ils aient le temps de déménager", explique la jeune femme, qui ne se sent pas la force de devoir expulser une famille. Elle espère donc qu’ils trouvent un nouveau toit pour le 1er mars.


"Si ce projet tombe à l’eau, j’aurai perdu un an"

Pour les aider dans leur recherche de logement, les locataires peuvent bénéficier d’une aide auprès de la commune de Forest."Au guichet information logement, les habitants de la commune sont conseillés et ont accès à des outils, comme un téléphone ou un ordinateur avec une connexion internet gratuite. Ils peuvent également consulter un site répertoriant les annonces du secteur privé", indique Laurence Sauvage, responsable du service Habitat au CPAS de Forest. Elle précise que le centre public d’aide sociale est averti lorsqu’une procédure d’expulsion est introduite contre un locataire."L’objectif est de permettre au CPAS d’intervenir et d’aider le locataire expulsé pour tenter de trouver une solution", explique Mme Sauvage.

Pour Laura, c’est donc toujours l’incertitude qui domine. Va-t-elle pouvoir fêter l’acquisition d’un appartement ? Ou devra-t-elle recommencer à zéro ? Elle le saura dans quelques jours."En tout cas, si ce projet tombe à l’eau, j’aurai perdu un an", déplore-t-elle.

Julie Duynstee

À la une

Sélectionné pour vous