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Brady et Any, 20 ans, mariés mais séparés: l'histoire d'amour d'un Belge et d'une Marocaine face aux traditions et à l'administration

Un amour passionnel ébranle la vie d’un jeune Wallon. L’été dernier, Brady s’est marié au Maroc avec une fille de son âge rencontrée sur Facebook. Les parents accepteraient difficilement cette union. Rentré en Belgique, ce pianiste âgé de 20 ans se démène pour pouvoir accueillir chez lui son épouse. Vu leur situation, les chances d’obtenir un visa pour regroupement familial sont toutefois minces.

Brady est un pianiste âgé de 20 ans. Il y a un peu plus d’un an, cet habitant de Houyet, en province de Namur, est tombé sous le charme d’une jeune Marocaine sur Facebook. Le coup de foudre est immédiat. Mais, très vite, la situation se complique. Le conte de fée se heurte à la réalité. Mariés, les amoureux ne peuvent pas être réunis dans notre pays. Dans l'espoir d'arranger la situation, le jeune homme a décidé de nous raconter son histoire rocambolesque. C’est sa mère, inquiète pour son fils, qui nous a d’abord contactés via notre bouton orange Alertez-nous. "Je vous écris dans la plus profonde détresse", avait confié Joëlle il y a quelques semaines, quand Brady se trouvait encore au Maroc.

C’est fin octobre 2015 que le jeune Wallon se rend pour la première fois dans ce pays du Maghreb. Depuis quelque temps, il communique via les réseaux sociaux avec une Marocaine de 20 ans, surnommée Any. La jeune femme partage sa passion pour le piano et l’invite pour un concert à Casablanca. "On se parlait depuis environ deux mois, par internet et par téléphone. Au fur et à mesure, il y a eu des affinités et des sentiments", explique Brady.


Amour de 20 ans face aux traditions

Lors de leur rencontre, une attraction mutuelle se confirme. Les deux jeunes sont épris l’un de l’autre. Fougueux et passionnés, ils désirent vivre leur amour au grand jour. Mais avoir des relations sexuelles hors mariage, c’est interdit au Maroc. La loi prévoit des peines d'un mois à un an de prison.

"Les parents d’Any ont alors commencé à me demander de l’argent pour les éventuelles fiançailles. Quand j’ai refusé, ils sont devenus agressifs. J’ai été frappé, elle aussi, de façon très violente", assure le jeune Namurois.

Une réalité douloureuse confirmée par Any. "Le problème, c'est que mes parents voulaient un grand mariage traditionnel. Mais cela coûte très cher. Je préférais mettre cet argent pour un appartement par exemple. Cela a été un choc pour eux d'entendre ça. Surtout pour ma mère qui est très attachée à la tradition", explique la jeune femme. Pour eux, leur réputation pourrait être ternie par cette décision. 


Interdiction pour les deux jeunes amoureux d'être seuls ensemble: "Quand Any partait au conservatoire, je devais rester à la maison"

Comme le jeune couple ne désire pas respecter les coutumes locales, les parents s’opposent donc durement à cette union. "Comme nous n’étions pas mariés, je ne pouvais pas être seul avec elle. Quand Any partait au conservatoire, je devais rester à la maison. On devait faire chambre à part. Parfois, on était obligés de mentir", confie le pianiste.

D’après lui, Any ne comprend pas les réactions des parents. "Son père travaillait dans un consulat à Paris, où elle a été éduquée d’une façon très européenne. Elle parle l’anglais, l’hébreu, le français et l’arabe. Quand elle a appris que son père commençait à nous éloigner tout doucement, elle était dans le même état que moi. Complètement désespérée." La jeune Marocaine assure en effet avoir été surprise du comportement de sa famille. "J'ai reçu la meilleure éducation et j'étais très gâtée. Je n'ai vraiment eu aucun manque. Mon père ne m'avait même jamais crié dessus." 


Errance

Désemparé, le jeune couple quitte le domicile parental. "Nous sommes partis de chez eux pour pouvoir être ensemble et pour éviter encore de se faire agresser et frapper tous les jours. Nous avons logé à gauche et à droite, chez des tantes, des oncles. Nous étions à chaque fois séparés puisqu'une cohabitation sans mariage est illégale au Maroc. Elle pouvait aller en prison si la police l’avait su", souligne Brady. Pendant un petit temps, les amoureux se retrouvent à la rue. 


Brady se convertit à l'islam pour pouvoir se marier

Le Namurois décide alors de se marier au Maroc. "J’ai dû me convertir à l’islam. J’ai dû retenir des mots en arabe. Cela a été un choc quand même", assure-t-il. La conversion à l’islam ne nécessite pas de cérémonie particulière. Il suffit de prononcer la "shahada", la déclaration de foi. "Elle peut être prononcée devant témoin(s) sans qu’un nombre défini ne soit requis", indique le Centre islamique et culturel de Belgique.

Pour pouvoir dire "oui" à sa petite-amie, Brady doit également fournir des documents, dont le certificat de non-empêchement à mariage. "La commune de Namur me l'a délivré au bout de six mois", assure le jeune homme. "Pendant plusieurs mois, on a donc dû vivre sans argent. Mes parents m’envoyaient ce qu’ils pouvaient mais c’était compliqué. Parfois je mangeais que des biscuits et des yaourts pendant une semaine." Brady doit également faire des allers-retours entre la Belgique et le Maroc lorsque son visa expire.


Brady et Any se marient: les parents débarquent à Casablanca

En Belgique, les parents de Brady sont inquiets. Ils n’obtiennent que des informations partielles sur la situation vécue par leur fils. Ce qui alimente chez eux un sentiment mêlé d’angoisse et de protection. Le 7 juin dernier, ils prennent un vol en direction de Casablanca. Leur intention est de rencontrer celle qui a fait tant tourner la tête de leur enfant. Le contact passe à merveille. "Ils l’adorent. Ils sont aussi épris comme moi", se réjouit le pianiste. En revanche, selon Brady, la rencontre avec les parents d’Any sont houleux. Malgré les réticences de ces derniers, le mariage est programmé trois jours plus tard. "Nous avons assisté à leur mariage civil devant des adouls (ndlr: notaires de droit musulman) et payé tous les frais du mariage", indique Joëlle, la mère du jeune homme. Un mois après la célébration, en raison de l’expiration de son visa, le jeune homme doit une nouvelle fois revenir en Belgique avant de retourner auprès de sa femme début septembre. 


"Un membre du consulat m’a accompagné jusqu’à l’aéroport"

Les espoirs d’améliorer la situation avec ses beaux-parents partent cependant en fumée. Leur union officielle n'aurait pas permis pas d’apaiser les tensions. Bien au contraire. "Après le mariage, cela n’a pas été plus facile avec ses parents. Sa maman nous cherchait vraiment, elle nous suivait partout, en faisant des scandales", soutient le jeune homme. Un jour de septembre, elle l’aurait même menacé avec un couteau dans l’appartement loué par les jeunes époux. "Ma tante et ma sœur étaient également présentes", précise Any.

Se sentant réellement en danger, Brady se présente au consulat belge à Casablanca pour dénoncer les faits. Ses parents contactent également le SPF (Service public fédéral) Affaires étrangères à Bruxelles. "Les autorités belges n’ont pas voulu débloquer de l’argent pour mon billet d’avion malgré le danger dans lequel je me trouvais", déplore le jeune Namurois. "Le SPF ne paye jamais de billets d’avion. En cas de nécessité, le prix d’un billet peut être avancé, contre reconnaissance de dette et ce uniquement dans le cas où la famille ou l’entourage n’a pas les moyens d’en acheter un", indique Michael Mareel, porte-parole adjoint du SPF Affaires étrangères. Dans le cas de Brady, sa famille a pu lui payer son ticket d’avion. "Mon frère a avancé l’argent et mes parents vont le rembourser."

D'après le jeune Namurois, les autorités belges lui auraient tout de même assuré un départ sécurisé. "Je suis rentré le 28 septembre via le service consulaire. Un membre du personnel m’a accompagné jusqu’à l’aéroport dans une voiture diplomatique avec toute la sécurité qui s’imposait, c’est-à-dire en évitant que la famille de ma femme soit présente aux alentours du consulat", affirme le jeune pianiste. Le consulat belge à Casablanca ne veut pas confirmer cette information puisqu'il ne délivre aucune donnée concernant un cas précis. Le SPF révèle toutefois que ce genre d’intervention pour protéger un ressortissant belge à l’étranger est assuré ponctuellement. "Dépendant de la situation locale et dans la mesure de ses moyens, le poste consulaire peut, à titre exceptionnel, décider d’accompagner un citoyen belge qu’il estime être en danger", explique le porte-parole du SPF.

"Moi, je ne suis plus en danger, mais j’aimerais bien que l’on reconnaisse que ma femme reste en danger là-bas. Mais les autorités n’ont pas voulu l’aider à cause de sa nationalité, même si on est mariés", dénonce-t-il. Une assistance consulaire n’est en effet accordée qu’aux ressortissants belges.


Une demande de visa pour regroupement familial: "Il faut bétonner son dossier"

Depuis son retour dans sa maison à Houyet, Brady fait donc tout son possible pour que l’élue de son cœur puisse le rejoindre. Le jeune couple a entrepris les démarches administratives pour demander un visa pour regroupement familial. Afin de l’obtenir, il faut remplir plusieurs conditions et fournir des documents justificatifs. Brady a notamment dû établir qu’il est bien marié à Any. "Nous sommes mariés au Maroc et en Belgique. J’ai pu faire retranscrire mon mariage à la commune. Donc, sur mon état civil, je suis bien marié avec elle depuis le 10 juin."

La personne qui désire rejoindre son conjoint sur le sol belge doit également posséder "une assurance-maladie, un logement suffisant et des moyens de subsistance stables, réguliers et suffisants pour subvenir à ses propres besoins et éviter qu’elle devienne une charge pour les pouvoirs publics".

Le délai d’examen d’une telle demande peut prendre du temps. "Il faut bétonner son dossier dans le pays d’origine. Si toutes les conditions sont remplies, la réponse peut être obtenue en quelques semaines ou mois", indique Dominique Ernould, porte-parole de l’Office des étrangers.


"Nous sommes dans le stress le plus total"

Any a fait une première demande de visa qui a été refusée faute de moyens suffisants. "Moi, je n’ai pas de revenu en Belgique. De son côté, elle n’a pas de travail sérieux au Maroc, elle ne peut donc pas prouver de garanties bancaires. Bien évidemment, elle a 20 ans, sans diplôme. Elle travaille juste dans un conservatoire qui ne lui donne pas de fiches salariales. Elle est complètement livrée à elle-même et n’attend qu’une chose c’est de pouvoir me rejoindre ici, de commencer une formation et de travailler. En tant que quadrilingue, elle pourrait être facilement traductrice/interprète", estime Brady.

Ne s’avouant pas vaincu, le couple compte introduire une nouvelle demande cette semaine, malgré les coûts qu’engendre ce genre de démarche. "Je dois payer un avocat qui va nous coûter 800 euros rien que pour les démarches administratives. Il faut aussi payer 160 euros pour les frais de dossier. Cela devient long et cher. J’ai aussi fait un total de 10 vols en un an pour elle. Mais je ne le regretterai jamais. Elle en a besoin et moi aussi", assure-t-il.

Dans l’espoir d’obtenir cette fois une réponse positive, Brady et Any ont constitué le dossier le plus solide possible. "Maintenant, elle est titulaire de ma mutuelle. Et mes parents se portent financièrement garants pour nous. Mon père est un ancien agent pénitentiaire. Nous sommes dans le stress le plus total car Any n’est toujours pas en sécurité", confie-t-il.


"Elle pleure tous les jours"

Esseulée dans son pays, la jeune Marocaine se trouve dans une situation difficile. "Ma femme n’a plus de contact avec ses parents. Elle n’en veut plus. En attendant de venir en Belgique, elle loge chez un professeur. Elle va au conservatoire donner des cours de piano. Elle pleure tous les jours", assure Brady. "J'essaye d'être forte et de tenir le coup", confirme Any. 

Si la situation ne se débloque pas rapidement, le pianiste réfléchit à la possibilité de retourner au Maroc auprès d’Any pour la Saint-Valentin."Je n'ai plus vu ma femme depuis trois mois. Une injustice profonde s'impose et j'en suis profondément malheureux. Au moins, si je suis là-bas, je pourrais l'aider à faire ses papiers." Dans un élan de désespoir, il vient également d’envoyer son dossier à la reine Mathilde. Un souci de santé vient toutefois de briser sa possibilité de voyager. 

En attendant de pouvoir se serrer dans les bras, le jeune couple se contacte quotidiennement."On s’appelle tous les soirs et on s’endort au téléphone. Ensuite, tous les matins, on se rappelle au réveil. On s’écrit aussi beaucoup de messages via internet. Je ne peux pas concevoir un avenir sans elle."

Julie Duynstee

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