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La polémique des chiots importés d'Europe de l'est: faut-il interdire les "supermarchés de chiens" en Belgique?

Au cours des dernières années, comme monsieur Lefèvre de Châtelet, des personnes ont vu leur chiot, importé d'un élevage d'Europe de l'est, tomber malade quelques semaines après l'achat. Pour l'association Gaia, il faut interdire ces importations et en finir avec les "supermarchés de chiens" surtout présents en Flandre. Pour une éleveuse commerçante du Brabant wallon, à partir de "quelques cas malheureux", on met tout le monde dans le même panier.

Une dame nous a écrit, via le bouton orange Alertez-nous, pour dénoncer les agissements qu'elle estime frauduleux d'un commerce de chiots basé à Anvers. Elle a conseillé à son ami, monsieur Lefèvre de Châtelet (Hainaut), d'aller dans ce magasin pour y acheter un chiot de la race Bull Terrier. Un an et demi plus tôt, elle-même y avait fait l'acquisition d'un cocker anglais et tout c'était bien déroulé. En revanche, pour son ami, la situation a été tout autre.


Le vendeur n'a pas donné le passeport de l'animal au moment de l'achat

Deux mois et demi après avoir ramené l'animal de Flandre, il monsieur Lefèvre le voit perdre ses poils et attraper des plaques sur le corps. "On m'a dit que cette race de chien avait souvent des problèmes de peau, était fragile et que la perte de poils et le grattage pouvaient être causés par nourriture", nous relate monsieur Lefèvre, joint par téléphone. Mais, malgré qu'il change l'alimentation, aucune amélioration ne se produit.

Il se résout à aller chez le vétérinaire. Celui-ci lui demande l'origine du chiot. De Belgique, répond-il. "Non, votre chien vient d'un pays de l'Est", lui apprend le docteur après avoir consulté le passeport européen de l'animal. Ce document obligatoire qui rassemble carnet de vaccination et certificat d'identification n'avait pas été remis à monsieur Lefèvre par l'éleveur d'Anvers au moment de la transaction. Une manière de ne pas devoir montrer l'origine de l'animal? Peut-être mais on ne peut pas le prouver. Quoiqu'il en soit, monsieur Lefèvre a reçu ces papiers par la poste quelques semaines plus tard et les a immédiatement rangés sans prendre la peine de les parcourir. Le premier qui l'a fait est donc le vétérinaire.


Monsieur Lefèvre veut alerter la population: se méfier des chiots en provenance des pays d'Europe de l'est

Le chien a été soigné. Monsieur Lefèvre a évalué le coût à environ 200 euros. "C'est énorme", considère-t-il, espérant que nous évoquerons son cas car il ne voudrait pas "que des gens se retrouvent dans le même cas de figure". L'importation de chiots en provenance d'Europe de l'est, clandestine ou pas, fait l'objet de nombreuses critiques depuis de nombreuses années, en Belgique mais aussi dans d'autres pays comme l'Angleterre ou les Pays-Bas. Ils sont plusieurs à, comme monsieur Lefèvre, avoir dû faire face à un chiot tombé malade quelques semaines après l'achat. Que faut-il en penser? Nous avons entendu les associations Gaia et Veeweyde et recueilli le témoignage d'une éleveuse-commerçante de Brabant wallon qui fait venir des chiots de Tchéquie.


Plus de 12.000 chiens arrivés de Slovaquie l'an passé

En 2015, environ 20.000 chiens ont été importés en Belgique. La majorité provient de pays d'Europe de l'est. Avec 12.358 animaux, la Slovaquie est très largement devant. Elle est suivie par sa voisine, la Tchéquie (4206), puis viennent la Hongrie (1334), l'Espagne et la Roumanie.

Pourquoi importer des chiots de l'étranger?

La réponse varie selon la personne à qui l'on pose la question. Michel Vandenbosch, le président de Gaia, en a deux à fournir. La première est évidente: l'argent. En Tchéquie, on peut acheter un chiot pour environ 150 euros chez un fermier local. Le grossiste le revendra 300 euros à un importateur belge. Finalement, le consommateur belge achètera son petit chien plus de 800 euros, nous résume monsieur Vandenbosch. Mais, pour l'éleveuse-commerçante établie à Grez Doiceau, active dans le secteur avec son mari depuis près de 20 ans, "ça ne coûte pas moins cher pour nous d'acheter en Europe de l'est car notre charte et nos exigences sont très strictes", dit-elle, ajoutant qu'"on peut trouver des chiens à 50 euros là-bas comme ici." Elle n'achète pas tous les chiots d'une portée, et "ceux que je ne voulais pas ont certainement été commercialisé par un autre biais, à des prix plus bas", concède-t-elle.


Éleveurs commerçants et "supermarchés de chiens"

Seconde réponse de Michel Vandenbosch: une mauvaise loi. Elle partait pourtant d'une bonne intention. Les autorités publiques voulaient mettre un terme à la vente de chiens et de chats dans les animaleries. Jusque-là, un commerçant pouvait proposer tous les animaux dans son établissement: poissons, oiseaux, rongeurs, mais aussi des chiens et des chats. Le gouvernement Leterme avait décidé que désormais ces derniers ne s'y vendraient plus. Mais, selon le président de Gaia, sous la pression de ceux qu'il appelle des "supermarchés d'animaux" et de l'organisation patronale Unizo (Union des Entrepreneurs indépendants en Flandre), la loi a été modifiée. Le gouvernement a inventé une catégorie dite d'éleveur commerçant. S'il détient au moins six femelles reproductrices et élève au moins 10 portées de son propre élevage, l'éleveur commerçant peut vendre autant de chiots qu'il veut en provenance de l'étranger. Aujourd'hui, s'il n'y a plus de supermarchés d'animaux où on trouve aussi des chiens et des chats, il y a par contre des supermarchés de... chiens, déplore Gaia.


Un phénomène surtout présent en Flandre

L'association pointe du doigt ces "supermarchés de chiens", multi-races, qu'on trouve particulièrement en Flandre. Ce sont surtout eux qui importent des chiots, souvent malades, arrivés d'élevages de pays d'Europe de l'Est, où les chiens de nombreuses races différentes sont détenus dans des conditions déplorables, affirme l'association. Outre les risques de maladie accrus, le président de Gaia, très virulent, souligne aussi un risque de mauvaise sociabilité des chiots qui, dans certains cas, ne seront pas suffisamment accoutumés à l'être humain.


Vu sur certaines annonces de 2ememain.be: "Ce sont des chiots belges!"

On peut se rendre compte du phénomène de cette multitude de races vendue en Belgique par un même commerçant en allant jeter un œil sur 2ememain.be par exemple. Lorsque nous l'avons visité, le site de petites annonces proposait près de 750 chiots issus d'élevages divers, la majorité localisée en Flandre. À partir de l'annonce, on peut généralement consulter le site internet de l'éleveur commerçant. Sur certains de ces sites, on peut faire défiler des dizaines et des dizaines de races de chien différentes, réparties entre petites (qui ont la cote actuellement), moyennes et grandes tailles. Dans beaucoup d'annonces, l'éleveur commerçant mentionne clairement que les chiens sont nés en Belgique. "Ce sont des chiots belges!", peut-on lire sur le site d'un éleveur commerçant de Putte, près d'Anvers. Une inscription qui prouve que la polémique des chiots importés d'Europe de l'est n'est pas nouvelle et que sa médiatisation n'est pas sans effet.


Elle travaille avec les pays de l'est: "Ne pas mettre tout le monde dans le même panier"

Cette mauvaise réputation est-elle justifiée ? L'éleveuse commerçante de Grez Doiceau estime qu'on fait une généralisation abusive et qu'à partir de quelques cas malheureux, tous les éleveurs commerçants qui importent des chiots de l'est sont mis dans "le même panier". Or, elle assure que, pour sa part, elle travaille dans des conditions très strictes, qu'elle a été voir sur place ses partenaires, qu'elle en a refusé après une visite de leurs installations jugées insuffisantes. Ses deux principaux partenaires sont tous deux vétérinaires, l'un en Tchéquie, l'autre en Slovaquie. Là-bas, un vétérinaire a le droit de tenir un élevage à son nom, ce qui n'est pas le cas dans notre pays. Et une fois arrivé en Belgique, les chiots sont encore mis en quarantaine pendant une semaine. Elle ne nie pas qu'il y ait des "usines à chiots" dans ces pays. Mais, dit-elle, "il y en a là-bas comme partout ailleurs", y compris en Belgique. Sur ce point, Gaia la rejoint. Son président dénonce des élevages industriels, établis parfois d'anciennes porcheries, essentiellement en Flandre. Et pour l'éleveuse commerçante, l'apparition d'une maladie chez un chiot ne signifie pas nécessairement que l'élevage dont il est issu soit mauvais. "Un chiot dans une nichée qui déclenche une maladie, cela peut arriver partout. Si ça arrive chez un petit éleveur, ce ne sera pas grave. Mais si ça arrive chez nous, on va dire que c'est parce que nous travaillons avec les pays de l'est", argumente notre interlocutrice qui souligne que son élevage est soumis à des contrôles de l'Afsca (Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire).


Au moins un contrôle par an dans son élevage en Belgique

L'éleveuse commerçante interrogée nous décrit les contrôles, un à trois par an nous dit-elle. "Les inspecteurs vérifient que toutes les zones sont bien indiquées, que les chiens sont tous pucés, en bonne santé, et vivent dans de bonnes conditions d'hygiène et dans un espace suffisant. Ils parcourent le registre d'entrée et de sortie des animaux (tel chiot vendu à telle personne un tel jour) et le registre du vétérinaire. Ça peut durer 1 heure comme 5 heures", décrit-elle.


Peut-on faire confiance aux autorités tchèques ou slovaques?

Mais les normes et contrôles sont-ils les mêmes en Tchéquie ou Slovaquie? Un grossiste qui veut exporter des chiots vers la Belgique doit disposer d'une agréation. Pour cela, la législation du pays où il est localisé doit être semblable à celle de notre pays. Et si ce n'est pas le cas, ce pays doit certifier par une attestation que l'exportateur livre des chiots venant d'élevages qui respectent la loi belge. Peut-on avoir confiance dans les autorités de ces pays? Vérifient-ils les élevages avant de remettre un tel certificat? "C'est là que le bât blesse", regrette Gaia. "Il y a eu une délégation de l'administration belge qui avait été en visite en Tchéquie. Ils n'ont pu visiter que quelques lieux de rassemblement. Ils n'ont pu voir aucun lieu d'élevage", affirme le président de l'association.


Aucune importation autorisée avant 15 semaines mais il y a des fraudes

Depuis 2015, la règlementation européenne sur la vaccination contre la rage implique qu'aucun chiot ne peut être transféré vers un autre pays avant ses 15 semaines (auparavant, c'était 8 semaines). On ne peut en effet pas le vacciner avant 12 semaines et il y a ensuite trois semaines d'attente. Mais la fraude existe. Gaia évoque notamment des vétérinaires sous contrat avec l'importateur qui délivre des carnets avec un âge falsifié. Pour l'association, il faudrait davantage de contrôles (une compétence désormais régionale) pour endiguer le phénomène. Mais elle pointe un manque de moyens qui se traduit par un nombre insuffisant de contrôleurs. Ceux-ci doivent aussi lutter contre les importations clandestines.


Trafic: des chiots american staff ou rottweilers saisis

L'association Veeweyde nous confie avoir été appelée à plusieurs reprises pour récupérer des animaux saisis. Le refuge de Turnhout en région flamande est particulièrement sollicité car il se trouve non loin de la frontière avec les Pays-Bas où ont surtout lieu les interceptions. Ainsi, fin 2015, une quinzaine de chiots de plusieurs races, notamment rottweilers, ont été récupérée. Sur leurs passeports, ils étaient tous nés à la même date alors qu'on observait aisément qu'ils n'avaient pas le même âge. Ils étaient atteints d'une maladie virale mortelle chez les jeunes chiens. Cinq sont morts, les onze ont été placés à l'adoption. En janvier, ce sont sept chiots de la race American Staff qui ont été saisis. Tous étaient malades aussi. Selon Veeweyde, tous ces chiens proviennent d'élevages sauvages. "Les chiennes qui mettent bas sont au bout de leur vie, elles doivent mettre bas très souvent", nous dit-on. L'éleveuse commerçante de Grez Doiceau se dit aussi victime d'éleveurs clandestins: des personnes usurperaient son propre numéro d'agrément (qui lui donne l'autorisation de vendre des chiots en Belgique) pour vendre des chiens par petites annonces.


Impunité?

Les associations regrettent la faiblesse voire l'absence de sanctions. Les vendeurs savent qu'avant de se faire sanctionner, il en faut beaucoup, assure Gaia qui souligne dès lors l'utilité de porter plainte auprès d'un juge de paix. "Nous insistons auprès des gens pour qu'ils le fassent. C'est la seule manière de se faire rembourser car, souvent, le vendeur refuse de rembourser". La seule manière aussi de changer les choses sur le long terme, les vendeurs frauduleux ne souhaitant pas se faire attaquer en justice systématiquement.

Ils étaient nombreux à s'être retrouvés avec un chiot malade, issu d'Europe de l'est et acquis chez DierenPlezier, un de ces grands magasins de chiens en Flandre. L'association Gaia a mené et gagné une grosse bataille juridique contre cette entreprise. Son exportateur en Tchéquie, Dogs & Co, a été rayé de la liste des exportateurs autorisés.


Le danger de la vente de chiens et chats sur internet: elle favorise les achats compulsifs et irréfléchis

Pour Gaia, la facilité et la rapidité du commerce en ligne exerce une influence néfaste sur le comportement, favorisant des achats impulsifs qui ne conviennent pas lorsqu'il s'agit d'un être vivant. "Ils voient un chien qui leur plait à la TV, et hop ils vont sur internet. Ce ne sera pas un achat réfléchi. Est-ce qu'on a les moyens d'accueillir un chien? Cette race convient-elle à mon habitat? Les gens ne se posent pas la question et veulent un chien immédiatement. On est dans le domaine de la satisfaction d'un désir impulsif, au détriment de chiens qui vont tôt ou tard se retrouver abandonnés en refuge", dit Michel Vandenbosch, affligé. Face à ce phénomène, l'éleveuse commerçante, qui elle aussi vend sur internet, affirme que la possibilité de vendre de nombreuses races différentes permet de contrer l'effet de l'achat impulsif en orientant le client vers la race la plus adaptée à son mode de vie. "On peut avoir un gars en appartement avec un gros chien mais qui sort tout le temps et par contre on aura un gros chien qui habite une vaste demeure mais qui est malheureux car il est tout le temps dehors", explique-t-elle.


La responsabilité repose d'abord dans les mains du consommateur

Pour Gaia, un seul remède, drastique, s'impose: mettre un terme purement et simplement à ces importations et limiter à quelques-unes seulement les races vendues par un seul éleveur. L'interdiction des importations ne sera guère facile à obtenir étant donné le principe de libre circulation des biens qui prévaut au sein de l'Union européenne.

Comme pour l'alimentation, ce sont d'abord les consommateurs qui peuvent faire bouger les choses. Quel comportement adopté? "Si vous voulez acheter un chien, il faudrait d'abord aller dans un refuge parce que des chiens y attendent la chance, dit le président de Gaia. Sinon, aller de préférence chez un petit éleveur et demander de voir la mère et les chiots pour savoir si l'environnement est vraiment familial. Si le type dit non, il vaut mieux partir", conclut le patron de Gaia. Par ailleurs, en Wallonie, l'association Société Royale Saint-Hubert, propose une liste d'éleveurs qui respectent des critères draconiens.

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