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Soudain, la vie d'Ariann et Vincent, deux Canadiens amoureux de la Belgique, a basculé: "On a reçu un ordre de quitter le territoire"

Arrivés à Bruxelles il y a un an avec un visa "Vacances-Travail", Ariann et Vincent ont tellement aimé la Belgique qu'ils ont voulu s'y installer. C'est là que les choses ont commencé à se gâcher pour ce couple particulièrement bien intégré professionnellement et socialement. La jeune femme, Ariann, a même reçu un ordre de quitter le territoire. Contrainte de retourner au Canada, à 6.000 km de son fiancé, elle a finalement reçu par mail une bonne nouvelle.

S'installer en Belgique quand on est canadiens: faisable non? "C'est ce qu'on se disait aussi", témoigne Vincent, un ingénieur installé depuis plus d'un an à Bruxelles, après nous avoir écrit via notre bouton orange Alertez-nous. Et pourtant, après avoir eu un véritable coup de cœur pour la Belgique et décidé de s'y installer, Vincent et sa compagne Ariann sont aujourd'hui englués dans des procédures judiciaires et administratives complexes et interminables. La jeune femme a même reçu un ordre de quitter le territoire, ce qui l'a particulièrement affectée: "J'ai eu l'impression de n'être plus personne, plus rien", relate Ariann, très émue. Une immense déception pour ce couple de Canadiens dont le rêve d'immigration s'est progressivement transformé en cauchemar administratif: "On voulait juste s'installer en Belgique", rappelle Vincent. Retour sur une année de tracas ponctuée d'espoirs et de désillusions.


Ariann et Vincent tombent amoureux d'Ixelles

Tout a commencé par une envie de découvrir l'Europe. "On voulait vivre ailleurs mais dans un pays francophone pour pouvoir travailler plus rapidement, entame Vincent, actuellement employé dans un bureau d'études. La Belgique nous intéressait plus que la France et nous avions déjà des amis à Bruxelles". Une fois sur place, c'est le coup de foudre: "On a découvert Ixelles et tous ses bars, cafés, restaurants, détaille Ariann, thanatologue (un professionnel du domaine funéraire, ndlr). Ça nous rappelait les quartiers branchés de Montréal: c'était réconfortant et en même temps dépaysant. On a vraiment eu un coup de cœur. On est tout près de la place Flagey, on adore y sortir et goûter les bières belges qu'on n'a pas encore découvertes", explique Ariann.



Grâce à l'escalade, les Canadiens découvrent Dinant: "On s'est créé une deuxième famille"

Le couple ne s'est pas limité à Bruxelles. Fans d'escalade, Vincent et Ariann ont découvert Dinant avec beaucoup d'enthousiasme. "Là-bas, on peut faire de l'escalade extérieure, explique Ariann. Mais on a aussi notre abonnement dans une salle à Bruxelles et on fait du vélo". C'est grâce à toutes ces activités qu'ils ont rencontré leurs amis. "On a une deuxième famille qui s'est formée, confie la jeune femme. Heureusement, ils sont là pour nous. Ça va faire mal de s'en séparer car on s'est investi. Ça sera dur de les quitter".



Il est connu que la Belgique a de bonnes relations avec le Canada, y compris sur les questions d'immigration, en témoigne le fameux salon "destination Canada", organisé chaque année à Bruxelles depuis dix ans, lors duquel les employeurs canadiens viennent recruter des talents belges. Sans compter les accords facilitant l'établissement durant un an de Belges au Canada ou de Canadiens en Belgique, comme le fameux programme "Vacances-Travail".


Les Canadiens sont très appréciés sur leur lieu de travail : "Ariann a reçu une formation d'exception"

C'est d'ailleurs grâce à ce programme que Vincent et Ariann sont arrivés en Belgique. Tout de suite, ils se sont mis à travailler. "Je suis ingénieur dans un bureau d'études et Ariann est thanatologue dans une société de pompes funèbres", explique Vincent. Et selon l'Union professionnelle des embaumeurs diplômés (UPED), Ariann est un véritable atout pour le métier: "Je la connais bien, explique Michael Thiry, secrétaire de l'UPED et de l'Institut belge de thanatopraxie. J'ai rencontré Ariann à plusieurs reprises parce qu'elle a participé à nos réunions et nos conférences. Elle était très enthousiaste à l'idée de rencontrer des confrères et consœurs. Il faut savoir que la formation qu'elle a suivie au Canada est nettement supérieure à celle qui existe en Belgique. C'est vraiment le top et c'est difficile d'obtenir un meilleur diplôme. Elle est un atout certain pour notre métier et notre pays".


Ils décident de s'installer et leur vie de rêve vire au cauchemar

Les douze premiers mois d'Ariann et Vincent en Belgique se passent donc de façon idéale. Chacun a un job, des collègues sympathiques, des amis dans le quartier, des fans de sport avec qui faire de l'escalade et du vélo, un appartement agréable à Ixelles. "On a même adopté un chien d'un éleveur belge", explique Vincent. Quelques mois après avoir vécu en Belgique, le couple prend donc la grande décision de s'y installer pour de bon.

Mais c'est là que les choses commencent à se gâcher. "On s'est fait conseiller par plusieurs ministères et administration et on a suivi leurs conseils, car en tant qu'étrangers, on ne s'y connait pas beaucoup en législation, se souvient Vincent. A chaque fois, ce fut une horreur. On a demandé les documents nécessaires, on a introduit les dossiers dans les temps impartis, puis on nous répondait 'Finalement, non, ce n'était pas ça qu'il fallait faire'".


Ariann et Vincent s'y prennent très tôt, mais ça n'a servi à rien

Le couple a pensé bien faire en étant prévoyant, mais cela n'a pas du tout fonctionné. Plusieurs mois avant la fin de validité de leur titre de séjour et de leur visa, Ariann et Vincent entament leurs démarches pour rester en Belgique. Ils demandent donc le permis B, notamment. "On me dit par téléphone que ma demande est acceptée, mais le lendemain tout change, se désole Ariann. On retire le permis à Vincent et on refuse finalement pour moi, car nous sommes toujours en possession d’un visa "Vacances-Travail" valide". Le couple comprend qu'il doit attendre et recommence plus tard. Ils attendent même que leur visa soit expiré. "On recommence les démarches, mais on refuse à nouveau de nous donner le permis B, sous prétexte que notre carte de séjour (carte A) était encore valide", explique encore Ariann. 


"On a déboursé plusieurs milliers d'euros en frais d'avocats et administratifs"

Au fil des semaines, les démarches administratives se transforment en calvaire: dépôts de documents, heures passées au téléphone, visites interminables aux différentes administrations, contestation des refus avec l'aide d'un avocat, … Au total, Vincent estime à plusieurs milliers d'euros de frais dépensés pour avoir le droit de rester en Belgique. "A plusieurs reprises, l'administration nous demande de payer des redevances de 160€ et même une amende de 200€ pour introduction irrégulière d'une demande, résume Vincent. Ajoutez à cela les frais d'avocat et ceux liées à chaque document officiel déposé et la facture devient salée. C'est un stress qu'on peut difficilement imaginer".

De plus, l'administration exige que les démarches ne soient pas faites à l'avance. "Il faut entamer les démarches un peu avant l'expiration de la carte de séjour (carte A), à savoir entre 30 et 45 jours avant, éclaire Coralie Hublau, juriste et chargée de questions de séjour au CIRÉ (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers). Le problème est qu'il arrive que cette période ne soit pas suffisante car les procédures prennent du temps: il y a donc un risque que leurs documents expirent avant que les demandeurs n'aient reçu de réponse de l'administration". Et c'est malheureusement le problème que va rencontrer Ariann.


Situation kafkaïenne: Vincent peut rester, mais les démarches ont pris du temps et Ariann se retrouve sans titre de séjour!

En effet, sous les conseils du bureau des permis de travail, Vincent reprend toutes les démarches à zéro. Quelques jours avant la fin de validité de ses documents, il radie son titre de séjour, sort de l’espace Schengen, puis dépose une nouvelle demande de permis B pour pouvoir travailler en Belgique. La demande est acceptée et le jeune homme reçoit son titre de séjour (carte A) quelques semaines plus tard.

Mais le soulagement est de courte durée, car pour Ariann, la situation va se compliquer. "On m'a dit que ma demande dépendait de la sienne car Vincent est considéré comme 'hautement qualifié', en tant qu'ingénieur", soupire Ariann. Problème: entre temps, les semaines se sont écoulées et les titres de séjour d'Ariann ont expiré de quelques jours. La jeune femme pense alors être considérée comme une simple touriste, mais cela ne semble pas être le cas. "A l'expiration de la carte A, en effet Madame ne disposait plus d'un titre de séjour régulier et se trouvait donc dès lors en séjour irrégulier", confirme Coralie Hublau.


Ariann reçoit un ordre de quitter le territoire : "J'ai dû leur remettre ma carte d'identité"

Le 22 décembre 2016, juste avant les fêtes, le couple reçoit un recommandé de l'Office des étrangers. "La lettre me demande de me présenter au guichet, sans aucune information, explique Ariann. On ne sait pas pourquoi on doit se présenter. Le numéro arrive, c'est mon tour. Au guichet, on me révèle que j'ai un ordre de quitter le territoire". Pour Ariann, c'est le coup de massue. La jeune femme se souvient très bien du déroulement des événements. "J'ai dû leur remettre ma carte d'identité, raconte-t-elle. Ça se fait comme ça, tout de suite. L'employée me fait signer un papier qui me demande de revenir 15 jours plus tard avec des documents qui prouvent que j'ai fait des démarches pour quitter la Belgique: billets d'avion, etc." 

Il était 8h du matin et Ariann devait se rendre au travail: comment faire sans papier d'identité? "On m'a simplement répondu que j'avais 30 jours pour quitter le territoire". Résultat: Ariann démissionne, à contre cœur.


"Sur les documents, il n'est pas écrit madame, monsieur. Il est marqué "L'étranger"

Des sanglots dans la voix, la jeune femme décrit le document reçu. "Il n'est pas écrit madame, monsieur. Il est marqué "L'étranger". Alors, oui, je suis une étrangère, mais je suis avant tout quelqu'un. Pour moi, "étranger", c'est très impersonnel, c'est très froid", considère Ariann.

"C'est spécial de se sentir étranger. De n'être rien. Une pièce d'identité c'est ma personne, c'est ce qui me permet d'aller travailler, d'aller récupérer une lettre à la poste, c'est un papier important. Et là je me retrouve comme si j'étais à la rue, dit-elle, très émue. Maintenant je comprends les gens qui quittent leur pays, arrivent ici et commencent à zéro... Je comprends comment ils peuvent se sentir, vraiment".


Les professionnels de la thanatologie sont déçus: "Quel dommage, nous voulions l'intégrer à notre union professionnelle"

"On a l'impression qu'on n'est pas les bienvenus ici, qu'on cherche à nous décourager, regrette Vincent. Pourtant, on ne demande aucune aide financière, on ne bénéficie d'aucun coup de pouce, on travaille dur, on mord la vie à pleine dents, on paie nos impôts". L'incompréhension de Vincent n'y fera rien: Ariann doit quitter la Belgique et elle s'envole quelques semaines plus tard vers le Canada. Triste et dépité, Vincent ira jusqu'à écrire une lettre au secrétaire d'Etat en charge de la Migration, Theo Francken.

La déception est également énorme pour le milieu de la thanatopraxie. "Je trouve ça absurde qu'on ne garde pas quelqu'un comme elle chez nous, estime Michael Thiry, secrétaire de l'Union professionnelle des embaumeurs diplômés. Nous allions justement lui proposer d'intégrer l'union professionnelle pour qu'elle participe activement à nos conférences. Quel dommage. Elle aurait été un vrai plus pour notre métier".


Une fin heureuse et inattendue

Durant de longs mois, nous avons tenté d'en savoir plus auprès de l'Office des Etrangers, qui gère le dossier d'Ariann, en vain. Aucune explication ne nous a été donnée quant à l'imbroglio administratif les concernant, ni quant aux décisions d'abord favorables, puis réfutées peu de temps après. "L'Office des Etrangers ne commente pas les décisions qu'il prend quotidiennement", nous dit-on.

Début avril, Ariann est retournée au Canada où elle a tenté une dernière fois d'entamer les procédures pour rejoindre Vincent, toujours à Bruxelles. Cette fois-ci, la jeune femme a demandé un visa via le permis de travail qu'elle a obtenu (son employeur belge lui ayant promis un CDI). Les deux fiancés vivent leur amour à 6.000 kilomètres de distance dans l'espoir d'une réponse favorable de l'Office des Etrangers. Et à l'heure où nous écrivons ces lignes, alors que le retour d'Ariann en Belgique semblait sérieusement compromis, une bonne nouvelle leur parvient. "Ma fiancée a eu confirmation par mail ce matin que son visa sera délivré. Elle peut donc revenir en Belgique, se réjouit Vincent qui rappelle que le couple a remué ciel et terre pour trouver une solution, notamment avec l'aide d'une de leurs amies belges. 

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