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Les ratés du nouveau système informatique frappent durement le portefeuille des infirmiers à domicile

Le 1er octobre dernier, l'informatique a fait une entrée fracassante dans le quotidien des infirmiers à domicile. Ils doivent désormais, systématiquement, valider leur visite en scannant la carte d'identité de leurs patients. Mais le système est bancal, leur fait perdre du temps et beaucoup d'argent.

Depuis le 1er octobre, les infirmiers à domicile, qui sont plus de 30.000 en Belgique, doivent déclarer chacune de leur visite. À la fin de celle-ci, ils doivent vérifier et encoder l’identité de leur patient. Le geste parait simple et rapide: on glisse la carte d'identité dans le lecteur, et c’est tout. Une petite obligation qui, d’après le cabinet de la ministre de la santé, doit "mener à une simplification administrative et à une collaboration plus efficace entre les prestataires de soins et les mutualités" et qui "permettra aussi d’éviter une éventuelle fraude". Mais, comme souvent dans la mise en place d'un nouveau système informatique, il y a des bugs. Et dans le cas des infirmiers, ceux-ci ont un effet immédiat sur leur portefeuille. En effet, à chaque fois qu'il y a un problème dans la déclaration d'une visite, que le logiciel de l'infirmier n'enregistre pas (ou ne transmet pas) les données nécessaires, la facturation n'est pas ordre. Si la facturation n'est pas en ordre, quelle qu'en soit la raison, elle est refusée, ce qui engendre un retard de paiement.


"Nous ne pourrons pas offrir à nos enfants des fêtes dignes de ce nom"

"Ma femme est infirmière indépendante, le programme de contrôle ne fonctionne pas et toutes leurs facturations sont refusées par les différentes mutuelles", "Message pour Maggie De Block: les fichiers facturations des infirmières en tiers payant, tout est refusé", "Le système avec carte d’identité pour infirmiers ne fonctionne pas donc on ne sait pas facturer"… Voici quelques exemples des nombreux témoignages envoyés via le bouton orange Alertez-nous. Emmanuel, infirmier à domicile depuis 10 ans, est confronté à cette absence de rémunération. "Les fêtes de fin d'année approchent à grands pas et nous ne pourrons certainement pas offrir à nos enfants des fêtes dignes de ce nom" dit-il. Et il n'est pas le seul à évoquer les difficultés financières liées aux problèmes du système informatique.


Les logiciels sont en train d'être corrigés

On l'aura compris, il faut régler les problèmes de jeunesse du système informatique. C'est le boulot des sociétés privées qui ont conçu les logiciels et les réseaux.

"Nous savons qu’une minorité d’infirmiers rencontrent des problèmes pour se conformer à la nouvelle réglementation. Il a été rapporté que certains fournisseurs de logiciels n’étaient pas en mesure d’émettre des factures. Ces fournisseurs de logiciels travaillent actuellement à une solution", informe le ministère de la santé. L'INAMI(NDLR: Institut National d'assurance-Maladie Invalidité qui édicte les règles en matière de remboursement des soins de santé) ne dit pas autre chose: "Ni la Ministre ne sont en mesure de régler des problèmes techniques individuels. Un infirmier qui rencontre des soucis doit s'adresser au helpdesk de la société qui lui a fourni le logiciel" précise le service communication de l'INAMI.

C'est ce qu'a fait Ahmed, infirmier à domicile depuis trois ans. "Ils nous disent qu’ils sont au courant, qu’ils sont en train de régler les soucis et que ça va aller. Mais ça fait un moment que ça va aller maintenant" rapporte-t-il.

L'IMANI tente de jouer un rôle de facilitateur en rassemblant les problèmes: "On est en train de récolter des données auprès des mutualités pour obtenir une vue plus claire et objective sur les refus. Nous avons demandé aux producteurs de logiciels les correctifs nécessaires pour améliorer leurs produits et éviter ces problèmes techniques."


Des dérogations

En attendant, vu le nombre de bugs, des dérogations à la réglementation ont été déterminées. "Dans 10% des cas maximum, les infirmiers peuvent vérifier l’identité du patient en scannant le code-barres présent sur une vignette de mutuelle ou en introduisant manuellement le numéro d’identification de la sécurité sociale. Le dépassement des 10% d’encodage manuel ne donnera pas lieu à un refus de facturation" précise-t-on du côté du cabinet de Maggie De Block. Les professionnels évoquent aussi ces alternatives mais parlent de "solution de seconde zone, à court terme".


Un manque de préparation?

Tous ces problèmes informatiques n'auraient-ils pas pu être anticipés? A-t-on procédé à suffisamment de tests avant de mettre en place le nouveau système? Tous les acteurs étaient-ils prêts?

Les détracteurs du système estiment qu'il a été lancé trop vite, alors que tous les tests n'avaient pas été faits. Les programmes des organismes-assureurs, qui devraient recevoir les informations envoyées par les infirmiers, ne seraient pas parfaitement compatibles. "Le programmateur n'était pas encore prêt, explique Kevin Sciuto, président de l'ASBL "Les tabliers blancs". Ils ont vite fourni le programme pour le 1er octobre mais on s'est rendu compte aussi que les mutuelles n'étaient pas prêtes et qu'elles refusent de payer une grosse partie des infirmiers car ils n'arrivent pas à lire les informations envoyées par ceux-ci". Emmanuel l'infirmier ne pense pas autre chose, lui qui malgré cela défend le système sur le principe: "C’est une question de facilité, c’est plus simple comme ça… Enfin ça le serait si les mutuelles étaient capables de traiter toutes nos demandes". Il semble donc que les différentes mutuelles n’étaient pas prêtes au moment de la mise en place du système. Et si les problèmes se résolvent petit à petit, il reste de nombreuses factures impayées. "C’est un cercle vicieux. Les paiements non-effectués sont reportés au mois suivant. Mais ce mois-ci, on fait comment, sans salaire ?" se demande Emmanuel.


Plus d'une heure de travail en plus chaque jour

À ces problèmes techniques viennent se greffer des problèmes d'ordre pratique qui viennent peser sur la journée de l'infirmier. 

Revenons à Ahmed. L'infirmier estime que la nouvelle procédure lui impose plus ou moins 1h30 de travail supplémentaire. Sur une journée, en moyenne, il rencontre entre 10 et 14 patients. Une partie le matin et une autre l’après-midi, en horaires coupés. "Pour chaque patient, vous pouvez compter entre 5 et 10 minutes de plus qu’avant, dans le meilleur des cas. Vous multipliez par une dizaine de patients et le compte est bon". Ahmed souligne "dans le meilleur des cas". Parce que l’infirmier et ses collègues ne comptent plus les patients qui ont égaré leur carte, les patients dont les papiers d’identité sont périmés ou encore ceux qui ne voient tout simplement pas pourquoi ils doivent fournir ces documents à leur infirmier. "J’ai un collègue qui a perdu un patient comme ça, explique Ahmed. Le patient ne comprenait pas pourquoi l’infirmier a eu besoin de sa carte et il a cru à une arnaque. Maintenant, il refuse les soins". À ces tâches supplémentaires, il faut aussi ajouter le temps pris, en fin de journée, pour envoyer la facturation aux mutualités via le réseau informatique.

Autre souci : le système n’accepte pas qu’une même personne soit soignée par deux prestataires différents. "Avec certains clients, on avait établi une tournante, explique Ahmed. Moi je passais le matin et un collègue passait dans l’après-midi. Aujourd’hui ce n’est plus possible, le programme refuse d’encoder les prestations si elles ont été effectuées par deux infirmiers différents".


Matériel payant

Enfin, ce système, actuellement source de tracas pour de nombreux infirmiers, est payant. Pour pouvoir accéder au système désormais obligatoire, les infirmiers ont dû débourser une centaine d’euros pour le lecteur et s’abonner à un programme informatique. "Ça nous coûte une dizaine d’euros par mois pour la version de base. Les options, elles, sont payantes. Ils sont en train de se gaver sur nous" explique, un peu désemparé, un autre infirmier. "Certains ont dû se racheter un smartphone tout neuf parce que le leur n’était pas compatible avec le système" ajoute Karin Dethye.


Une réunion d'évaluation en décembre

Le cabinet de Maggie De Block concède toutefois qu’il y a des problèmes. Pour s’en faire une idée plus claire, une évaluation sera réalisée par le comité d’assurance au début du mois de décembre.

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