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Le COUP DE GUEULE de Pierre, qui habite sur "le quai le plus dangereux" de Liège

Pierre Nypels habite sur le quai du Barbou, à Liège. Cet axe d'entrée important dans la ville ne dispose d'aucun aménagement pour ralentir les automobilistes. Pas même un passage pour piétons, alors que chaque jour, des centaines d'étudiants doivent traverser la route. RTLinfo.be a rencontré ce riverain en colère. Ses demandes de sécurisation des lieux n'ont jamais abouti. Et si plusieurs aménagements semblent irréalisables, le placement d'un passage pour piétons muni de feux tricolores est, lui, envisageable. Encore faut-il savoir à qui s'adresser, car cette route appartient à la Région wallonne, et non à la Ville de Liège... Un casse-tête administratif.

Le 2 septembre dernier, un piéton de 77 ans a été mortellement fauché sur le quai du Roi Albert à Bressoux (Liège). Ce quai, comme l’ensemble des quais de la Dérivation, venait d’être réasphalté il y a quelques semaines et des aménagements avaient pourtant été placés dans le sens sud-nord (N90) pour dissuader les automobilistes d’y dépasser la limite de 50 km/h prévue à cet endroit. Ce fait divers a fait durement réagir un riverain, qui nous a envoyé via notre page Alertez-nous ce cri du cœur : "SVP, aidez-nous, nous sommes en danger".


Il se bat depuis un an pour faire sécuriser le quai

Pierre Nypels habite de l’autre côté de la Dérivation, sur une péniche située quai du Barbou. Pour lui, "ce qui devait arriver arriva". En effet, cela fait un an qu’il habite là et un an qu’il se bat en vain pour convaincre la Ville de Liège de sécuriser ces quais. "J'ai à plusieurs reprises alerté les autorités sur le danger de la vitesse excessive, mais tout le monde s'en fout. J'ai demandé des passages pour piétons. Le service du marquage routier de la Ville me répond que ce sont de faux amis. Et on vient de réasphalter les quais permettant ainsi aux voitures de rouler encore plus vite !"

Ces quais de la Dérivation, il les appelle "l’autoroute au milieu de la ville". Après la mort du septuagénaire, il a eu ces mots durs: "M. Demeyer (bourgmestre de Liège, ndlr) et son compère M. Beaupère (chef de corps de la police de Liège, ndlr), par leur laxisme et incompétence, ont du sang sur les mains."


Seulement deux contrôles radars en un an?

Pourtant, la police de Liège réalise des contrôles de vitesse réguliers sur les 7 quais de la Dérivation. Pascal Gillot, inspecteur principal et porte-parole de la police de Liège, explique que depuis le début de l’année, il y en a eu 18 (sans compter le lidar placé quai du Roi Albert juste après l’accident mortel), avec 2.894 PV pour excès de vitesse dressés, la plupart durant la nuit. "Et l’an dernier, on a réalisé 26 contrôles avec 5183 PV à la clé."

Mais pour Pierre Nypels, c’est insuffisant. "Depuis un an, j’ai vu seulement deux lidars placés quai du Barbou". Pas suffisant selon lui pour dissuader les voitures de rouler trop vite. "Sur l’autre rive, ils ont placé des chicanes et des rétrécissements. Mais devant chez moi, rien ! Pas de passage pour piétons, absence totale de feux de signalisation, même pas un ralentisseur."

Des centaines d'étudiants obligés de traverser au milieu du trafic

Une décision encore compréhensible si on considère qu’il n’y a que 4 habitations du côté gauche du quai : 4 péniches. Mais incompréhensible compte tenu de la disposition des lieux. "En face de chez moi, il y a l’école supérieure du Barbou (Haute Ecole de la Province de Liège, ndlr), qui compte 1000 étudiants !"



La partie gauche du quai étant un parking en accotement de plain-pied (photo), la plupart de ces étudiants y garent leur voiture. Ils doivent donc traverser ce quai extrêmement fréquenté deux fois par jour, alors que l’unique passage pour piétons le plus proche est situé au niveau du pont de Bressoux, à... près de 500 m de là ! L’étudiant qui parvient à trouver une place juste en face de l’école a donc deux possibilités, traverser en dehors des clous cette voie à deux bandes où la limite de 50 km/h semble peu respectée. Ou marcher deux fois 500 m, donc 1 km, pour traverser en toute sécurité ! Voilà pourquoi "le Barbou a lui aussi demandé un passage pour piétons, sans succès", selon notre témoin. Malgré nos nombreuses sollicitations, il nous a malheureusement été impossible de confirmer cette affirmation.

Il est à noter que ces étudiants qui traversent en dehors des clous en ont bel et bien le droit : "L’article 42.4.1 du code de la route stipule que les piétons sont obligés de traverser sur les passages situés à 30 m en deçà. S’ils sont à plus de 30 m, ils ne sont pas obligés de l'emprunter. Leur seule obligation est de traverser perpendiculairement à la route le plus rapidement possible, car ils ne peuvent ‘trainer’ sur la route", confirme Pascal Gillot.


Un kilomètre à pied pour traverser dans les clous = 9 minutes de marche: le test en vidéo

Bpost refuse que ses facteurs traversent le quai: un service en camionnette mis en place pour seulement 4 péniches

Ce choix de traverser en dehors des clous ou de marcher plus de 500 m, les facteurs aussi doivent le faire. Et entre le risque et le détour d’un kilomètre pour desservir 4 péniches, ils ont choisi... ni l’un ni l’autre. "Le facteur refuse de traverser le quai : trop dangereux ! Et la poste le soutien", explique M. Nypels.

"Nous avons effectivement dû mettre en place une organisation spécifique pour pouvoir livrer le courrier à ces péniches", confirme Baudouin de Hepcée, le responsable presse de Bpost. "Le service piéton aurait été obligé de traverser le quai qui est relativement dangereux et qui ne dispose pas de passage pour piétons. Nous avons donc mis en place une livraison motorisée par camionnette pour ces clients, car ce véhicule peut se garer de leur côté du quai." Si le quai du Barbou est donc jugé trop dangereux par la direction de Bpost pour ses facteurs, la société n’a cependant pas jugé nécessaire de le signaler aux autorités compétentes, puisqu’elle contourne le problème. "Le service mis en place satisfait les clients d’un côté, et respecte la sécurité de nos collaborateurs de l’autre."

VIDEO: Pierre résume le problème et propose des solutions

Que faire pour résoudre le problème ? Outre le placement d’un passage pour piétons devant l’école, Pierre estime qu’obliger les conducteurs à respecter les limitations de vitesse à cet endroit serait assez simple : "Il suffirait d’installer un radar automatique sur un portique au niveau de la station-service" située au début du quai, là où les voitures arrivent depuis l’autoroute E25. Dans le vidéo ci-dessous, Pierre résume le problème et parle des solutions qu'il a envisagées pour résoudre celui-ci.

Pourquoi l'installation d'un radar fixe, de chicanes ou de portiques n'arrivera pas:

Portique, radar permanent, aménagements type chicanes ou dos d’âne, passage pour piétons : on l’a vu, des pistes existent pour sécuriser les lieux. Mais pour Pascal Gillot, plusieurs d’entre-elles sont inapplicables.

Tout d’abord les portiques. "Le Service Public de Wallonie (SPW) a déjà tenté d’en placer un. Mais un jour, un camion l’a percuté et on a eu des bouchons durant des heures. Comme il s’agit d’un des axes les plus importants pour entrer dans la ville, on ne peut risquer de pareilles situations." Ensuite, le placement d’un radar permanent n’est simplement pas dans la philosophie de la ville et de sa police. "Nous ne sommes pas preneurs pour des poteaux fixes de radars car ils entraient à cet endroit un ralentissement très soudain des automobilistes, mais leur effet dure très peu dans le temps. Tandis que notre lidar, on peut le placer partout, ce qui force les automobilistes à rester attentifs dans toutes les rues de la ville." Enfin, les aménagements au sol ne doivent pas, eux, mettre les automobilistes en danger. "Cela doit faire l’objet d’une étude réalisée par un bureau d’études. Est-ce que la largeur de la chaussée est suffisante? Est-ce que ce type d’aménagement placé juste après une courbe (le pont qui relie la E25 à ce quai, photo ci-dessous, ndlr) ne représente pas un danger pour les voitures ?"

Problème: c'est une route régionale et non communale

La seule piste qui semble tenir la route, sans mauvais jeu de mot, c’est celle du placement d’un passage pour piétons, idéalement au niveau de la Haute Ecole du Barbou. C’est là que les choses deviennent complexes. En effet, le quai du Barbou, comme tous les quais de la Dérivation, n’est pas une voierie communale mais bien régionale. Il s’agit en effet de la Nationale 610, route anciennement nationale comme son nom l’indique, et dont la Région wallonne a hérité lors du passage de la Belgique à un Etat fédéral. Cela signifie que c’est la Wallonie qui prendrait à sa charge l’ensemble des frais qu’un placement d’un passage pour piétons à cet endroit nécessiterait.

La solution: un passage pour piétons avec feux tricolores

Qui, au niveau de la Wallonie, a ce pouvoir de décision ? C’est la Direction générale opérationnelle Routes et Bâtiments (DGO1). Et au sein de celle-ci, c’est la cellule signalisation de la direction territoriale des Routes de Liège (DGO1-51) qui se charge plus spécifiquement des demandes de travaux et de leur réalisation pour Liège. Son attachée de communication, Muriel Dossin, nous précise tout d’abord que si la demande pour un passage pour piétons à cet endroit venait à être étudiée, "il faudrait aussi y installer des feux tricolores", idéalement munis d'un bouton d'appel, pour ne pas gêner le trafic lorsque personne ne doit traverser. Un passage clouté simple serait trop dangereux.


Un véritable casse-tête quand il s'agit de traiter les demandes des riverains:

Mais alors que Pierre Nypels nous assure avoir plaidé sa cause depuis un an pour obtenir des aménagements à cet endroit, la direction territoriale des Routes de Liège n’a aucune trace d’une telle demande, "ni du Barbou, ni des riverains. On a déjà eu des demandes, mais seulement pour le placement de miroirs qui permettraient de sortir des places de parking le long du quai en ayant une meilleure visibilité." Comment ses demandes ont-elles pu ne jamais aboutir? "Depuis deux ou trois ans, on ne traite plus directement avec les riverains. Ils doivent adresser leur demande à l’administration communale (de Liège en l’occurrence), qui examine la demande, constitue un dossier et nous le transmet. On examine alors sa faisabilité et notre réponse repart à la Ville, qui la communique aux riverains", détaille Muriel Dossin.

Le problème, c’est que c’est en partie vrai. Ce service auquel un riverain doit s’adresser au niveau de la Ville est le service de Signalisation de la police de Liège. "Il faut nous envoyer un document écrit qui explique les raisons de la demande", explique le commissaire Michel Dacos, qui est responsable du service. Mais attention, en fonction du type d’aménagement demandé, la procédure varie. "En cas de demande d’aménagement de places de stationnement ou de passage pour piéton simple, on présente bien celle-ci au Conseil communal, qui adopte une position, puis on la transmet au SPW (donc ici la DGO1-51) s'il s'agit d'une voierie régionale. Mais en cas d’un aménagement en dur, comme le placement de feux lumineux, alors la demande doit être directement adressée au SPW."

Des détails administratifs qu’un riverain lambda ne peut connaitre. "Le plus facile, c’est de s’adresser à Monsieur le bourgmestre directement, qui ventilera au service adéquat", explique encore M. Dacos. L'idéal est donc finalement de sonner à toutes les portes dans l'espoir d'être entendu.


La police de Liège va finalement mettre la demande sur la table de la Région

Mais les riverains sont-ils les seuls à pouvoir faire bouger les choses ? Justement non. "C’est plutôt la ville de Liège qui favorise le placement de passages pour piétons à un tel endroit plutôt qu’un autre", explique encore Muriel Dossin. Via qui ? Sa police par exemple. "Nous, on peut apporter des suggestions et faire remonter les informations -dont celles apportées par des riverains- aux autorités de la Ville et vers le Service Public de Wallonie", explique Pascal Gillot (photo). Pour ce faire, il existe un lieu de discussion privilégié : "La commission provinciale pour la sécurité routière. Elle a lieu une fois par an", détaille Mme Dossin. C’est donc au niveau de la Province (qui disposait avant une énième réforme de l’Etat de routes provinciales, ndlr) que se rencontrent les autorités compétentes de la Région et des Communes.

Pascal Gillot l’assure: "On a bien reçu le message" de M. Nypels au travers de cet article. "A la prochaine commission provinciale, notre service signalisation va mettre sur le tapis le point des passages pour piétons que certains trouvent peut-être trop peu nombreux sur les quais de la rive gauche de la Dérivation. On est à l’écoute, on fera remonter le message des riverains vers la Région wallonne." Le message de Pierre est donc passé. Reste à voir si la Wallonie décidera de donner suite à sa demande...

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