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Les pierres tombales venues de Chine prospèrent dans les cimetières belges: "Si on voulait faire la même pièce ici, ce serait 4x plus cher"

En Belgique, les fabricants de pierres tombales se comptent désormais sur les doigts de la main. Les entrepreneurs de pompes funèbres et les marbriers importent directement des monuments funéraires façonnés en Chine. Le matériau de ces pierres tombales made in China peut venir du monde entier car la qualité du granit chinois n’est pas toujours au rendez-vous. Carine nous a conté la mésaventure de sa commande reçue avec quatre mois de retard.

Carine nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous pour solliciter notre aide. Son fils de 27 ans est mort dans un accident de voiture. Il a été enterré le 12 janvier 2015. Le 13 août 2015, elle a commandé une pierre tombale dans un magasin qui fait face au cimetière de Robermont, à Liège. Le commerce propose principalement de fleurir et d’entretenir les tombes et monuments, mais vend aussi des monuments funéraires. Carine a payé sa commande cash, 4683 euros. Le patron l'a informée que la pierre tombale de son fils serait installée dans le cimetière début décembre 2015. Mais, le 19 mars, Carine nous a signalé qu’elle attendait toujours la sépulture de son fils. Une situation accablante pour cette mère de famille: "Je ne pourrais pas faire le deuil de mon enfant tant qu'il n'aura pas une pierre tombale digne de ce nom", nous-a-t-elle confié.


Trois mois pour faire venir une pierre tombale de Chine

Finalement, la pierre tombale arrivera quelques semaines plus tard, en avril, soit huit mois après la commande. Comment expliquer un retard de quatre mois dans l’installation de la pierre tombale du fils de Carine ? Celle-ci pense qu’avoir payé d’un seul coup n’était sans doute pas une bonne idée. "Ils se disent ‘tout a été payé, j’ai largement le temps’, c’est l’impression que j’ai", nous a-t-elle confié. Ce n’est pas l’explication avancée par le patron du magasin. Celui-ci explique qu’une pièce du monument a été cassée lors de son transport. "Ça arrive de temps en temps, mais pas régulièrement", précise-t-il. Car la pierre tombale commandée par Carine a beaucoup voyagé avant d’être installée dans le cimetière de Robermont. En effet, elle a été fabriquée et importée de Chine. "Il faut trois mois pour la faire venir. On a dû la recommander parce qu’un morceau de bordure était cassé", raconte le fleuriste.

Le marché de la pierre tombale, comme bien d’autres, subit de plein fouet la concurrence de la production asiatique: chinoise et indienne. Monsieur Dexters, président de la fédération royale des pompes funèbres de Belgique, nous a informés de cette tendance. Elle nous a été confirmée par les entrepreneurs du secteur que nous avons contactés.


Le granit a supplanté la pierre bleue

Avant les années 60, les monuments funéraires étaient généralement réalisés en pierre bleue, provenant de carrières belges. Mais cette période est révolue, explique le directeur de Lust Vuerings, une entreprise qui fabrique des monuments funéraires : "Avant il y avait un tailleur de pierre dans chaque village qui taillait la pierre bleue pour son cimetière. Mais tout ça s’est fini". Le granit, un matériau plus résistant, s’est imposé comme nouvelle tendance. Car, s’il est plus cher et plus difficile à travailler, il ne demande pas d’entretien. Et comme il n’y a pas de carrière de granit en Belgique, il a fallu l’importer en blocs ou acheter les pierres tombales directement de l’étranger.


Des blocs de 15 tonnes acheminés en Belgique par bateau en provenance du monde entier

L’importation du granit se fait en blocs de 15 tonnes qui arrivent par bateau à Anvers. Ils sont acheminés par camion vers des sociétés comme Granit Lucas à Braine-le-Comte ou Tuytelaers à Ravels (proche de Turnhout). Ces deux sociétés font venir des blocs de granit de pays européens comme la France, la Norvège ou le Portugal, mais aussi d’Afrique du Sud, d’Inde et du Brésil. A partir de ces blocs, elles fabriquent leurs propres pierres tombales pour les vendre aux entrepreneurs de pompes funèbres, à des marbriers qui travaillent en sous-traitance, et aux particuliers.


La qualité du granit chinois en question

Granit Lucas et Tuytelaers, deux gros importateurs de granit en Belgique, n’importent pas de blocs de granit chinois, même s’il est 30% moins cher. "Il est beaucoup plus poreux que les autres, juge le directeur de Granit Lucas. Ceux qui les importent les traitent à l’hydrofuge mais ils vont avoir des tâches d’humidité dans les deux ans". "Il ne résiste pas au climat européen", ajoute le directeur de Lust Vuerings. Même son de cloche chez un marbrier bruxellois que nous avons contacté. Il refuse de l’utiliser: "Ça inonde le marché depuis quelques années, mais on en reparlera dans 10 ou 15 ans. Je serais curieux de voir comment ils vont vieillir. Je n’ai pas confiance, explique-t-il. C’est intéressant point de vue prix, mais point de vue qualité, ce n’est pas ça. Ça casse assez facilement."

Le chef de la Marbrerie Gowie, située à Quiévrain, n’est pas de cet avis et travaille avec du granit chinois depuis 15 ans. Sa production est constituée à 25-30% de granit chinois et 50% de granit indien. Pour lui, le granit chinois n’est "pas moins bon que celui qui vient d’Europe." Le patron du commerce où Carine a fait sa commande n’y voit pas d’inconvénients non plus et les pierres tombales qu’il commande en Chine sont toutes faites de granit chinois. Chez Last Vuerings en revanche, ce matériau ne représente que 2 ou 3% de leur fabrication: "C’est pour les familles qui n’ont pas les moyens mais qui veulent un monument funéraire", précise le responsable.


Les pierres tombales sur mesure importées de Chine ont envahi le marché

Désormais, ce n'est pas seulement le bloc de pierre qu'on importe de Chine mais bien la pierre tombale entièrement façonnée et prête à être placée, comme ce fut le cas pour le monument funéraire commandé par Carine. Car le façonnage est un domaine où la main d’œuvre chinoise, très bon marché, défie toute concurrence. "Ce sont des artistes", souligne le chef de la Marbrerie Gowie. "Par ici si on voulait faire la même pièce ce serait 4 à 5 fois plus cher", estime-t-il. "La Chine est le pays de la copie. Vous prenez une photo de n’importe quel monument et on vous le fait. Ça se fait régulièrement", raconte le responsable du commerce du cimetière Robermont. Ce dernier dessine les plans des monuments funéraires avec l’aide d’un marbrier, puis achète à un producteur chinois. "C’est comme un costume", dit-il. "Vous avez les dimensions, le dessins. Je veux ci, je veux ça et il me le fait".

Ces pierres tombales fabriquées en Chine ne sont pas toujours synonymes de mauvaise qualité puisqu’elles ne sont pas forcément faites avec du granit local. "Les Chinois importent par exemple du granit de la Norvège, fabriquent des pierres tombales chez eux, puis les revendent. Ce qui reste encore moins cher que si elles étaient fabriquées en Europe", explique le directeur de Granit Lucas. "On pense que le transport de la marchandise rendrait le coût de revient supérieur. Mais non", constate-t-il.

La Belgique ne compte plus que "3 ou 4" fabricants de pierres tombales, souligne le directeur de Lust Vuerings. Même Tuytelaers, un des plus gros importateurs de blocs de granit en Belgique, importe aussi des pierres tombales déjà façonnées: si 50% de la production est fabriquée "maison", 25% est importée de Chine et 25% d’Inde. Granit Lucas, autre importateur de blocs, fait figure d’exception en Belgique. "On est devenu une curiosité. Tous les autres achètent du tout fait en Chine et en Inde", souligne le directeur de l’entreprise.


"Un prix moyen de 3.500 euros"

La taille du monument, l’épaisseur de la pierre et les finitions souhaitées par le client déterminent le prix de la pierre tombale. La taille maximale varie en fonction du règlement de chaque commune. Un monument simple coûte environ 1.500 euros chez le commerçant qui a fourni Carine. La marberie Gowie évoque elle un premier prix à 2.000, 2.500 euros et un prix moyen de 3.500 euros "pour quelque chose de bien façonné". Les prix s’envolent rapidement en fonctions des finitions demandées, pouvant atteindre jusqu’à 15.000 euros. Un montant justifié par les interventions plus ou moins longues des artistes: sculpteur, dessinateur et graveur.

Tout le monde n’a évidemment pas les moyens de payer une telle somme pour un monument funéraire. D’autant que ce prix vient s’ajouter au coût des funérailles, en moyenne "5.000 euros sans le café, sans concession et sans monument", résume le président de la fédération royale des pompes funèbres. Les services de mise en bière, toilette et habillage du défunt, accueil au funérarium, corbillards et transfert du corps sont applicables pour toutes les obsèques. Ils reviennent environ à 1.200 euros. Un cercueil coûte entre 600 et 2.000 euros. A cela s’ajoutent des frais liés aux services annexes : fleurs mortuaires, faire-part, cérémonie, nécrologie, réception... Alors pour éviter de faire encore grimper la note, mieux vaut opter pour la crémation plutôt que l’inhumation. C’est d’ailleurs le choix de plus en plus de Belges.


La crémation, en forte hausse, réduit le marché de la pierre tombale

Sur la période 2000-2010, le nombre de crémations dans notre pays a augmenté de 42 %. Aujourd’hui, les dépouilles mortelles sont incinérées dans 55% des cas. Un chiffre qui monte à 67% dans la région de Bruxelles-Capitale. "C’est une évolution naturelle due aux changements des coutumes dans la société", explique monsieur Dexters. "Dans le temps, tout le monde voulait une concession de famille avec un tombeau. Mais maintenant les enfants quittent la commune, vont à l’étranger, donc ça ne vaut plus la peine d’acheter une concession", analyse-t-il. "Ce qu’on vend ce sont des plaques pour les columbariums, des plaques d’urnes."

La taxe de crémation, qui dépend de chaque crématorium, coûte plus ou moins 500 €. Une urne coûte de 100 euros à 500 euros en fonction du modèle et l'établissement crématoire fournit souvent gratuitement une urne cinéraire de base.

Cette tendance à la crémation est la cause d’une forte baisse des commandes de pierres tombales et met à mal le métier de marbriers, explique le chef de Lust Vuerings. Son entreprise fabrique donc aussi des plaques funéraires pour columbarium (lieu où sont déposées dans des niches les urnes contenant les cendres des morts) et des monuments cinéraires (des sépultures de tailles réduites conçus pour la conservation des cendres dont le prix oscille vers 1.000 euros). Mais les familles qui font incinérer leur proche ont aussi la possibilité de faire disperser les cendres sur la pelouse du cimetière, dans les eaux territoriales belges ou de les conserver à la maison dans une urne, voire même un bijou...


Des pierres tombales de plus en personnalisées

"On refaçonne plus qu’avant", explique le chef de la marberie Gowie. Un sculpteur vient sur place et taille la gravure souhaitée. Les clients peuvent choisir des gravures dans un catalogue pour orner la pierre tombale du défunt. "Colombe, jardins, potagers, instruments de cuisine, baguette de pain...", énumère un entrepreneur. Ou alors les clients souhaitent un modèle en particulier. "On a gravé le dessins de la tête du chien de la personne décédée. On a aussi fait la photo de Lady Di sur un marbre. On a déjà fait des sigles chinois, des jeux de cartes...", raconte-t-il. Un marbrier bruxellois évoque le cas d’une dame qui désirait un granit fluo. "Je lui ai expliqué que ça n’existait pas", se souvient-il.

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