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Mathieu s'est fait virer mais son patron lui propose de travailler au noir: "Dans quel monde vit-on?"

Le patron de Mathieu lui a annoncé qu'il allait devoir se séparer de lui. Une tuile pour ce délégué commercial dont l'activité semble appréciée dans sa société. Pour preuve, le gérant actuel lui a proposé d'encore travailler après son préavis... mais au noir!

"J'ai décroché un contrat au mois d'août dernier en tant que délégué commercial. Je viens d'apprendre que la société avait décidé de rompre le contrat. Le gérant n'a plus de travail pour moi. Enfin dans le cadre de mon contrat, semble-t-il. Parce que à côté de ça, il me propose de travailler au noir après mon préavis pour lui rédiger des devis", a dénoncé Mathieu (prénom d'emprunt) via notre page Alertez-nous.

Et ce qui fait encore plus mal à notre témoin, c'est la phrase qu'a ajoutée son patron pour le convaincre de marcher dans la combine. "Ce serait une solution pour toi d'avoir un peu de sous tout en étant au chômage. Réfléchis-y, ne scie pas la branche sur laquelle tu es assis", m'a-t-il dit. "Non mais dans quel monde vit-on ?", se demande Mathieu.

Trois secteurs plus touchés

Le travail au noir, une fraude à laquelle plusieurs entreprises ont recours pour contourner les charges salariales en Belgique, et qui pèse lourd dans le budget de l'Etat. Tous les secteurs sont touchés, mais il y en a trois qui se distinguent particulièrement: le nettoyage, la construction et l'horeca. Pour les deux premiers cités, il s'agit souvent de fraude organisée avec des travailleurs non déclarés qui viennent de l'étranger. Pour l'horeca par contre, les horaires "coupés", la flexibilité demandée aux travailleurs et les charges salariales dans le secteur génèrent en partie le recours à la fraude.

Mais quels sont les chiffres officiels du travail au noir en Belgique ? Combien de personnes ont recours à cette pratique dans le pays ? "Il n'y a pas de statistiques officielles. Il n'y a par définition que des estimations", a tenu à préciser Jean-Luc Durieu, porte-parole du SPF Emploi.

Une perte estimée à 7 milliards par an

Un rapport de la Chambre, qui cite des données de la Banque Nationale, faisait état en 2012 d'une perte totale de 7 milliards d'euros par an à cause du travail au noir, tous secteurs confondus. "Plus ou moins 4 milliards de fraude fiscale et 3 milliards de fraude sociale. Cela nous met largement au-dessus des pays voisins. On est plutôt dans des proportions comparables aux pays du Sud, comme l'Espagne, l'Italie ou la Grèce. Cela s'explique principalement par les charges élevées sur le travail en Belgique", a déclaré Thierry Evens, porte-parole de l'Union des Classes Moyennes (UCM).

D'autres études universitaires ou de l'OCDE avancent des chiffres de 30 à 50% de l'activité economique dans le pays. Mais ces chiffres sont à nuancer. "Dans ces cas, il s'agit de toutes les fraudes sociales, pas rien que le travail au noir. Donc quand on parle de toutes les fraudes sociales, il y a les cas où des heures supplémentaires ne sont pas payées, du moins pas officiellement, des bonus octroyés en contournant les règles sociales, des contrats qui ne respectent pas tout à fait la situation professionnelle. Bref, c'est bien plus large que le travail au noir à proprement parler, mais nous luttons contre cela aussi", a expliqué Damien Delatour, responsable de la Direction Générale du Contrôle des lois sociales.

Comment les contrôles sont-ils menés ?

Des chiffres à relativiser, mais qui restent interpellants. Une réponse idéale à apporter à ce problème de société n'existe sans doute pas. Du coup, la seule solution actuellement mise en place est une intensification des contrôles. Mais comment ces contrôles sont-ils menés ? "Nous dirigeons les contrôles selon 3 axes: un contrôle inopiné et arbitraire, un contrôle sur base d'une dénonciation et un contrôle sur réquisition du pouvoir judiciaire. Dans ce 3e cas, cela signifie qu'une plainte a été déposée à la Justice, mais comme ils n'ont pas d'enquêteurs pour ce genre de tâche, ils font appel à notre service", a précisé Damien Delatour.

Pour Thierry Evens (UCM), l'intensification des contrôles tend à porter ses fruits. "Les contrôles ont été renforcés sur les indépendants. Ils sont plus nombreux, mieux ciblés et de meilleure qualité. C'est une très bonne chose d'augmenter les contrôles fiscaux, afin d'éviter une concurrence déloyale entre sociétés (qui paient ou non des travailleurs au noir)".

Les indépendants... premières victimes!

Mais le porte-parole de l'UCM tient néanmoins à ne pas occulter une cible, qui sont les travailleurs eux-mêmes. Car si on entend souvent l'excuse des charges salariales trop élevées en Belgique pour "justifier" le travail au noir, ce qui laisse supposer que les employeurs sont les grands profiteurs du travail non déclaré, la réalité est bien plus nuancée. Et aussi étonnant que cela puisse paraître, la demande vient aussi des travailleurs, qui préfèrent arrondir leurs fins de mois en assurant une activité non déclarée, tout en percevant des revenus ailleurs: soit avec un autre emploi, soit en recevant des allocations de chômage ou des aides du CPAS. C'est souvent le cas dans l'Horeca notamment, où des personnes vont gagner un peu d'argent en soirée après avoir déjà travaillé toute la journée. "C'est sûr que nous on demande absolument que les contrôles soient également renforcés en ce qui concerne la fraude sociale, car cela représente aussi une concurrence déloyale pour les indépendants", a ajouté Thierry Evens pour qui "les indépendants ne sont pas les plus gros fournisseurs de travail au noir, mais les premières victimes".

Les risques ne sont pas comparables

Et si les indépendants ne sont pas spécialement demandeurs en règle générale, malgré les gains importants qu'ils peuvent réaliser, outre l'éthique, c'est aussi parce que les risques encourus sont très importants. "On est rapidement à plusieurs milliers d'euros, voire une peine de prison", a confié Thierry Evens pour qui "le jeu n'en vaut pas la chandelle" pour un employeur honnête qui compte mener une activité saine à long terme. Pour les travailleurs, l'amende est nettement mois élevée. S'ils cumulent cette activité avec des aides sociales, ils peuvent être exclus du chômage, mais "c'est nettement moins dissuasif que pour l'employeur qui met sa société en péril", a ajouté Thierry Evens.

"En effet, être exclu du chômage, c'est quasi tout ce que le travailleur risque. Mais cela s'explique par le fait que c'est l'employeur qui a la responsabilité. C'est lui qui doit déclarer son travailleur aux services adéquats", a justifié Damien Delatour.

Inutile de renforcer les contrôles "si la Justice ne suit pas" 

Malgré les risques et les contrôles, le travail au noir et toutes les fraudes sociales minent de façon considérable notre économie. Les contrôles sont désormais mieux orientés et menés de façon plus efficace. Mais quand on entend que 30 à 50% de l'activité économique ne se fait pas en toute légalité, ne doit-on pas s'interroger sur les moyens alloués pour lutter contre ce mal rampant ? "Je ne peux pas dire, au vu de la situation actuelle, que les moyens sont suffisants, surtout vu la complexité des tâches. Comme dit précédemment, il y a des multitudes de réalités sur le terrain qui impliquent des contrôles différents. Travail au noir, travail au gris (terme utilisé pour un travail déclaré mais où on détecte une ou plusieurs fraudes aux lois sociales), dumping social, etc... C'est sûr, vu les tâches diverses, les moyens dont nous disposons ne sont pas exceptionnels", a confié Damien Delatour.

Mais ce dernier a toutefois tenu à apporter une nuance primordiale. "Ce que nous réalisons, c'est un travail d'équipe. Et donc, si au niveau judiciaire il n'y a pas de renforcement des effectifs, ça ne sert à rien de nous faire faire plus de contrôles. Si de toute façon les gens ne sont pas poursuivis, ils agiront toujours avec impunité. Donc inutile de renforcer l'un sans l'autre", a-t-il ajouté.

Un cas exceptionnel

Pour conclure, revenons-en au cas de Mathieu, viré mais à qui son patron a proposé de travailler au noir une fois qu'il sera au chômage. Avec la crise, est-ce là un phénomène qui tend à croître ? "Non je ne pense pas. Ce sont des cas exceptionnels, ou pour le moins rares", a estimé Thierry Evens. "Si on est content d'un employé, on essaie de la garder dans des conditions correctes. On évite aussi de le voir partir vers la concurrence. Et enfin, comme dit plus haut, l'employeur court un gros risque en payant quelqu'un au noir. Donc, à mon sens, c'est un cas exceptionnel. Et heureusement, car ce n'est pas honnête et ça fausse complètement la relation de travail", a-t-il conclu.


Arnaud Vankerckhove
(@ArnaudRTLinfo)

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