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Mehdi dénoncé à tort comme radicalisé: son épouse est "sidérée que la police belge ait le droit d’enquêter de cette façon-là"

En ces temps où le terrorisme islamiste occupe presque toute l’actualité et mobilise nos forces de police, une dénonciation ne peut plus être prise à la légère. Mais que peut faire ou doit faire la police locale quand une personne vient dénoncer quelqu’un comme radicalisé? C’est ce que nous allons apprendre au travers du cas de Mehdi, un jeune papa "plus belge que marocain" qui a grandi à la campagne… où un certain Jonathan est venu le dénoncer début août.

Tout commence par une visite de la police de la zone Botte du Hainaut au domicile de la mère de Mehdi. "La police a contacté ma maman, qui habite à Chimay, pour savoir où je me trouvais, en prétextant que je ne m’étais plus présenté à mon travail." "Ils lui ont posé des questions et ont demandé des numéros de GSM pour contacter mon mari", enchaîne Dunia, son épouse. C’est elle qui a contacté la rédaction de RTL info via notre bouton orange Alertez-nous avant qu’on les appelle pour recueillir leur témoignage.

"Ça faisait quelques semaines qu’elle n’avait plus eu de nouvelles de nous, donc ça l’a effrayée", explique Dunia. Après le passage de la police "ma maman m’a directement appelée paniquée", confirme Mehdi.


"Suite au témoignage d'un certain Jonathan"

Dès la fin de la conversation avec elle, le jeune homme appelle la police de Chimay pour savoir ce qu’il se passe, pourquoi elle le recherche et pourquoi ils ont inventé que son employeur n’avait plus de nouvelles de lui alors qu’il travaille, comme son épouse, à la Ville de Bruxelles. "Ils m’ont dit que c’était la police de Viroinval, la zone d’à-côté, qui avait repris le dossier. Je les ai donc contactés. Ils n’ont pas voulu me dire pourquoi ils avaient enquêté auprès de ma mère et m’ont juste dit que c’était suite au témoignage d’un certain Jonathan. Je leur ai alors passé ma femme, plus persuasive que moi... et la policière au téléphone a fini par lui avouer que ce Jonathan m’aurait dénoncé comme quelqu’un qui aurait un rapport avec ‘l’actualité médiatique’".

Le couple en conclut rapidement qu’il ne peut s’agir que de radicalisation ou de terrorisme. Un sentiment renforcé par l’attitude de la policière au téléphone. "Elle m’a questionné comme si c’était le FBI", se souvient Dunia. "Elle m’a demandé si je travaillais et m’a posé plein de questions sur notre vie privée."


Rien à cacher

Mehdi et Dunia n’ayant rien à cacher, ils ont répondu à toutes les questions en expliquant que leur porte était ouverte à la police s’ils souhaitaient en savoir plus. En effet, comme Mehdi le développe dans cet autre article, il est tout sauf radicalisé: élevé "à la belge" à la campagne par sa mère seule, il ne mange pas halal, a convaincu son épouse d’abandonner le voile et a même quitté Bruxelles parce qu’il était en désaccord avec la façon dont les Belges d'origine marocaine y pratiquent l’islam.

La policière a fini par leur dire "ne vous inquiétez pas. Vous pouvez continuer à vivre normalement", puis, en parlant du dénonciateur, "elle m’a dit, je cite : 'Il est encore venu me raconter des couilles celui-là.'", relate Mehdi, selon qui "cette policière m’a aussi dit qu’en fait ils attendaient mon coup de fil et que si je n’avais pas téléphoné, ils auraient lancé une enquête sur moi !"


Ils comprennent la raison mais pas la manière

"Je suis sidérée que police belge ait le droit d’enquêter de cette façon-là"
, dénonce Dunia. "Je trouve que c’est une atteinte à la vie privée. On stigmatise. Oui c’est pour la sécurité, mais s’ils avaient regardé, ils auraient vu que Mehdi n’a jamais eu de problème avec la justice, n’a jamais fait de bêtises. Admettons qu’il ait été un jeune à problème, je comprends qu’on le suive plusieurs années après. Mais là ?", se demande-t-elle.

Mehdi aussi se pose des questions sur la procédure suivie : aller demander son numéro à sa maman à Chimay au lieu de se renseigner au registre national, voir qu’il habite désormais Merchtem dans le Brabant flamand, et confier ça à la police de Merchtem. "Si la police avait voulu m’entendre à propos d’accusations portées contre moi -ce que je comprends très bien car c’est bien de vérifier ça vu le contexte actuel, c’est sécurisant-, ils pouvaient facilement me retrouver pour me contacter. Les polices wallonnes et flamandes n’ont-elles pas les mêmes bases de données ?", s’interroge-t-il.


Que fait la police locale quand elle reçoit une dénonciation pour radicalisation?

Cette question, il est allé la poser à la police de son quartier. "A Merchtem, on m’a dit qu’ils n’auraient pas procédé de la sorte, mais qu’ils ne travaillent pas forcément de la même façon en Wallonie." L’information est étonnante. Toutes les polices locales du royaume n’ont-elles pas une même procédure à suivre pour tout ce qui touche au terrorisme, domaine relevant lui de la police fédérale ?

Cette question, nous l’avons posée à Marc Garin, le chef de corps de la police de Mons. Il est en effet le vice-président de la Commission Permanente de la Police Locale (CPPL) de Belgique. A ce titre, il peut parler au nom de toutes les zones de police locale. Et il l’avoue, "il n’y a pas de recette type. Il n’est pas automatique de lancer une enquête par exemple. On reste dans des façons de travailler où il n’y pas de méthode de travail bien spécifique, sauf la rédaction d’un rapport d’information."


Un seul outil commun à toutes les zones: le rapport d'information

Ce rapport, c’est ce qui a été mis en place pour lutter contre le terrorisme efficacement. Il contient les informations recueillies à la base par les policiers locaux concernant toute radicalisation ou tout fait lié au terrorisme. Une fois rédigé, il remonte au niveau provincial à la justice, puis au niveau national. "Il y a une Task Force dans chaque province. Elle réunit des gens des polices locales, de la police fédérale et de la Sûreté de l’Etat. Ils discutent des éléments en leur possession et décident des suites à donner à la dénonciation. Ce rapport aboutit également dans les mains d’un magistrat au parquet qui constatera ou pas s’il s’agit d’une affaire judiciaire et diligentera ou non une enquête. Une fois passé par un magistrat, le rapport sera alors encodé dans la banque de donnée nationale."

Si la rédaction de ce rapport d’information n’est pas obligatoire, Marc Garin la recommande chaudement à tous ses collègues. "Tant qu’il n’est pas rédigé, le policier prend le risque que le suspect soit mêlé à un drame et qu’on remonte jusqu’à lui en disant qu’il n’a pas fait remonter l’information. Donc pour moi, la meilleure façon d’agir est de rédiger ce rapport. Ensuite, si le parquet se saisit de l’affaire, on tombe dans le champ des investigations judiciaires sous autorité d’un magistrat. Alors, comme policier, je suis couvert car c’est le parquet qui me dit quoi faire."


"En matière de radicalisme, on doit travailler dans la discrétion pour ne pas nuire"

Procéder à des vérifications pour savoir s’il y a lieu de rédiger un rapport n’est pas interdit. "D’abord, on va vérifier la source, si elle est fiable ou pas en fonction de ce qu’on connait d’elle. Si mon bourgmestre par exemple me dit quelque chose, je donne une fiabilité à l’information autre qu’à quelqu’un que je ne connais pas. En fonction de ça, soit on va essayer d’aller un peu plus loin dans la recherche, soit on va directement faire un rapport d’information et attendre les directives de la Task Force."

Et toute la difficulté si les policiers tentent d’abord de se renseigner avant de rédiger le rapport, c’est de ne pas porter préjudice au suspect. "Si on fait des recherches préalables, on peut mener une série d’investigation sur une personne sans lui nuire. On essaie par exemple de faire une enquête de voisinage auprès de l’agent de quartier, pour voir si on peut penser que la personne s’est radicalisée. Parce que si on n’est pas assez discret, il pourrait porter plainte. Vous vous imaginez, vous êtes dans l’enseignement par exemple et on vous accuse de ça ! Je n’apprécierais pas... On est plus vite tué par une rumeur que par les faits. Ça peut être dramatique pour les parents et la famille. Donc en matière de radicalisme, on doit éviter que les investigations amènent à mettre sur la place publique des soupçons qui portent sur une personne, on doit travailler dans la discrétion et ne pas nuire à la personne qui fait l’objet de suspicions."

Cette possibilité de porter plainte, elle a d’ailleurs été proposée à Mehdi par sa police locale de Merchtem. "Ils m’ont dit que je pouvais toujours porter plainte à la police des polices, mais que ça avait peu de chances d’aboutir." Mehdi n’ayant pas subi de préjudice important dû à ces soupçons, il n’a pas jugé utile de porter plainte.


Il aurait confié l'information sur Mehdi à la police de Merchtem

Mais pourquoi la police de Viroinval n’a-t-elle pas confié l’enquête à celle de Merchtem ? "Pour retrouver une personne, nous avons accès au registre national, mais on ne peut le consulter que sur base d’une motivation que l’on peut justifier", nuance Marc Garin. Ce qui aurait pu être justifié dans ce cas-ci. "Si la personne dénoncée habite une autre commune que celle où je reçois l’info, alors je contacte la zone de police en question pour lui expliquer que j’ai appris d’une source (à la fiabilité pas forcément évaluée chez nous) qu’une personne potentiellement radicalisée habite chez eux. Je rédige le rapport d’information et je l’envoie à cette zone. Ils seront directement au courant de tous les détails et pourront exploiter l’info, tout comme la justice."

C’est à ce niveau-là que M. Garin estime que les policiers, aujourd’hui, sont "en pleine zone grise". "Savoir ce qu’il faut faire, jusqu’où peut-on aller en ayant la garantie d’avoir fait le maximum pour éviter le pire, c’est toute la difficulté qu’on a maintenant".


Impossible de savoir si un rapport d'information a été rédigé sur Mehdi

D’où, il le répète, l’intérêt de rédiger le fameux rapport : "C’est pour ça que se réunit la Task Force, pour dire : 'Qu’est-ce qu’on fait ?'". La dénonciation dont a été victime Mehdi a-t-elle amené la police de Viroinval à en rédiger un sur lui ? Si la zone de police concernée nous a confirmé que la zone de Chimay avait bien eu contact avec la maman de Mehdi et qu’il n’y a actuellement aucune enquête en cours contre lui, elle s’est refusée à nous révéler s’il avait fait l’objet ou pas d’un rapport d’information. "On ne peut pas donner cette information à la presse."

Impossible pour nous comme pour Mehdi de le savoir. En effet, "le rapport d’information, personne n’y a accès, à moins qu’un magistrat nous demande qu’il fasse l’objet d’un PV. Car dès qu’il prend une tournure judiciaire et qu’un PV est rédigé, toute personne en faisant l’objet peut, par l’intermédiaire de son avocat, le consulter dans le cadre du droit de la défense. L’avocat doit pouvoir savoir ce qui est reproché à son client", détaille Marc Garin.

Le nom de Mehdi apparaît donc peut-être quelque part, avec dedans la dénonciation dont il a fait l’objet et peut-être ses réponses ainsi que celles de son épouse par téléphone. Une trace qui restera, au cas où, mais qui est le prix à payer pour la sécurité de notre société face au terrorisme.

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