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Patrick doit payer toute la hausse de son abonnement de train, son employeur RIEN: merci les syndicats?

En Belgique, les employeurs sont obligés de payer une part des abonnements de transports en commun de leurs employés et ouvriers. Depuis 2009, cette part est fixe dans certains secteurs. Résultat, à chaque augmentation des tarifs, c'est le travailleur qui prend en charge la totalité de l'augmentation. La conséquence d'un accord intervenu entre syndicats et patrons il y a huit ans. Explications.

Patrick habite à Ottignies, mais il travaille à Bruxelles. Comme beaucoup d’autres, il a opté pour les transports en commun, qui dans notre pays sont obligatoirement remboursés en partie par les employeurs.

Mais au moment de payer son abonnement de train mensuel de février, il se rend compte que quelque chose cloche. "La SNCB avait annoncé une augmentation de ses tarifs de 3,38% au 1er février 2017 en ce qui concerne les abonnements. Effectivement, le prix total de mon abonnement mensuel est passé de 93 à 96 €, ce qui correspond grosso modo à 3,23%. Mais en tant que travailleur, pour ma part, en renouvelant mon abonnement ce matin, le tarif est passé de 30 à 33 €, ce qui correspond à 10% d’augmentation", nous écrivait-il alors scandalisé, via notre bouton orange Alertez-nous.


La part payée par l'employeur n'est plus indexée depuis 2009

Pour son trajet de 26 kilomètres, l’employeur de Patrick doit lui payer 62€ par mois en vertu de la loi, qui fixe le montant de l’intervention patronale selon le tableau que vous pouvez retrouver ici.

Mais ce montant est fixe: il n’est pas proportionnel au prix pratiqué par la SNCB. Résultat, à chaque fois que la SNCB augmente ses tarifs (chaque 1er février de l'année), l’entièreté de l’augmentation est supportée par le navetteur.

Et cela ne date pas de cette année: ce tableau n’a plus bougé depuis son instauration en février 2009, c'est-à-dire il y a 8 ans.

Résultat, quand on regarde les 7 augmentations de prix qui ont eu lieu depuis lors, on remarque que le prix de l’abonnement de Patrick a augmenté de 11% dans sa totalité, pour une augmentation de 40% en ce qui concerne sa part, puisque celle de son employeur n’a pas bougé.


Avant 2009, les employeurs payaient 60% de l'abonnement

Un scandale ? Pas vraiment, nous explique Mathieu Verjans, un des secrétaires nationaux de la CSC et expert en la matière pour le syndicat chrétien.

En effet, ce qui ressemble à un cadeau pour les employeurs a en réalité été voulu par les syndicats.

Pendant longtemps, le système a été proportionnel. "Avant 2009, l’employeur était obligé de payer au moins 60% des transports en commun" utilisés par leurs travailleurs, détaille-t-il. La loi qui les y oblige date en fait du 27 juillet 1962 et les 60% étaient en réalité une fourchette de 56% à 64,9% en fonction du nombre de kilomètres parcourus.


Syndicats et patrons décident de changer le système

Mais en novembre 2008, le groupe des 10 a décidé de changer les règles. Pour rappel, ce groupe, c’est là où se déroule la concertation sociale dans notre pays. On y retrouve 5 représentants des travailleurs et 5 représentants du patronat.

  • D’un côte : président + secrétaire général de la CSC (syndicat chrétien), président + secrétaire général de la FGTB (syndicat socialiste) et président de la CGSLB (syndicat libéral).

  • De l’autre : administrateur délégué + directeur général de la FEB (Fédération des entreprises de Belgique), président de l'UCM (Union des Classes Moyennes), directeur général d’UNIZO (Union des Entrepreneurs indépendants) et président du Boerenbond (Ligue des agriculteurs).

Présidés par le président de la FEB, ce sont eux qui négocient et signent les accords interprofessionnels (AIP), base des avancées sociales dans notre pays.


Le changement: une intervention fixe de 75% renégociable tous les 2 ans

Et donc le 22 novembre 2008, ils stipulaient dans l’AIP de l’époque que le système allait changer "en vue de porter à 75% l’intervention maximale de l’employeur dans l’abonnement de train, tram, métro ou bus (transports en commun publics) au 1er février 2009 et de convertir l’intervention ainsi augmentée en une grille de montants forfaitaires, qui seront applicables pour 2009 et 2010, sans qu’ils ne soient indexés, après quoi une adaptation de ces forfaits sera négociée tous les deux ans", est-il écrit noir sur blanc dans la convention collective n°19 octies du 20 février 2009.

Que comprendre de cette longue phrase compliquée? Qu’il y avait alors une volonté de favoriser les transports en commun "en passant d’une contribution patronale de 60% à 75%", insiste M. Verjans. A l’époque, il y a 8 ans, les patrons ont donc commencé à payer plus qu’avant, c’étaient eux les "perdants", et non les travailleurs navetteurs.


Pas une priorité lors des 2 derniers accords interprofessionnels

Mais pourquoi ces montants n’ont-ils plus évolués depuis 8 ans alors qu’ils étaient censés être négociés tous les 2 ans ? "C’est tous les 2 ans que nous avons des discussions entre partenaires sociaux pour un accord interprofessionnel. Mais il n’aboutit pas toujours. Depuis 2009, il n’y en a eu que deux", rappelle Mathieu Verjans. Et revaloriser encore la part de l’employeur dans les remboursements des transports en commun n’a pas été une priorité jusqu’ici.

  • "La première fois, c‘était sous le gouvernement Di Rupo (en 2013, ndlr) et ce n’était pas un vrai accord. Di Rupo avait décidé de ne pas laisser augmenter les salaires (au-delà de l’indexation, ndlr)", explique le secrétaire national, privant ainsi les syndicats de leur principale raison de négocier. L’accord signé n’a dès lors porté que sur 3 dossiers concoctés par le gouvernement.

  • Le deuxième accord interprofessionnel est lui beaucoup plus récent puisqu’il date de cette année 2017. "Le coût salarial ne pouvait augmenter de plus de 1%. Donc nous en tant que CSC, on a décidé de tout mettre sur le salaire brut" au niveau de la revalorisation. En effet, une telle mesure touche tous les travailleurs et pas seulement ceux qui utilisent les transports en commun.


La CSC prévoit une revalorisation pour le prochain AIP

Voilà pourquoi, au moins jusqu’au 1er février 2019, date du prochain accord interprofessionnel possible, le tableau prévu en 2009 sera d’application pour les employeurs. Heureusement, les syndicats surveillent l’évolution des prix de la SNCB et des autres sociétés de transports en commun. Leur but : ne pas laisser la part de l’employeur descendre sous les 60% qui existaient avant 2009, ce qui annulerait totalement la mesure prise alors pour promouvoir l'usage des transports en commun. "On a fait nos calculs : nous en étions à une compensation de l’employeur de 67,4% avant cette augmentation de 3,38% de la SNCB. Ça veut dire qu’en 2020 ou 2021, on arrivera en-dessous de 60%. On doit donc faire quelque chose d’ici-là et cette matière est inscrite sur notre cahier des charges du prochain AIP", assure M. Verjans.

En attendant, tous les travailleurs ne voient pas leur part augmenter chaque année comme Patrick. En effet, lors de l’instauration du nouveau système, la possibilité a été laissée aux différents secteurs de conserver l’ancien système proportionnel en le passant à 75%. Ce qui a été le cas pour le secteur de la sidérurgie, de l’alimentation, du gaz/électricité ou encore des finances, tient enfin à ajouter le secrétaire national CSC.

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