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Sandrine face à un exhibitionniste dans un train à Soignies: "Je l’ai filmé pensant à une blague... puis je me suis rendu compte"

Alors qu'elle se rendait au travail en train, Sandrine a croisé le chemin d'un homme qui se masturbait à côté d'elle. Il n'a pas été arrêté car la procédure en place à la SNCB pour l'intercepter n'a pas été suivie, mais une enquête interne est en cours. La police pourra facilement retrouver la trace de l'exhibitionniste grâce aux 9.000 caméras de surveillance présentes sur le réseau. L'occasion de découvrir à travers ce fait divers la collaboration intense qui existe entre la SNCB et la police. L'occasion aussi, avec un psychologue, de connaître les raisons qui poussent à un tel comportement.

"J’ai surpris un gros pervers dans le train." C'étaient les mots choisis par Sandrine, une habitante de Soignies, pour nous dénoncer les faits dont elle venait d'être victime via notre bouton orange Alertez-nous.


"Il se masturbait dans le train"

La jeune femme de 28 ans travaille aux Grands-Prés à Mons. Le 8 novembre dernier, elle monte dans le train de 14h53 en gare de Soignies et s’installe. "Un homme est monté en même temps que moi et est venu s’assoir sur la banquette en face, de l’autre côté de l’allée centrale. J’étais occupée à lire puis j’ai remarqué un mouvement du poignet derrière son sac. Je pensais qu’il utilisait son GSM mais comme ça donnait l’impression qu’il se masturbait, je l’ai filmé pour envoyer la vidéo (ci-dessus, ndlr) sur Snapchat à une copine sous forme de blague. Puis je me suis rendu compte que son sac avait bougé et qu’il avait réellement la b... à l’air ! Il se masturbait dans le train !" Sandrine nous a fait parvenir la vidéo dont vous pouvez voir une capture d'écran ci-dessus.


L'accompagnatrice n'appelle pas Sécurail ou la police

Choquée, Sandrine veut aller trouver l'accompagnateur de train pour lui dénoncer l’exhibitionniste. Mais "j’ai dû descendre à Jurbise car c’étaient deux trains accrochés ensemble. Il était impossible d’aller de l’autre côté par l’intérieur." A Jurbise, elle interpelle donc deux contrôleuses qui la font monter dans l’autre partie du train.

"Je leur ai montré la vidéo, mais ça les a plutôt fait rire. Je m’attendais à ce qu’elles appellent la police ou Securail pour qu’ils interceptent l’homme en gare de Mons, mais elles n’ont appelé personne. A Mons, on a attendu sur le quai toutes les 3 que l’homme sorte, elles ont rigolé quand il est passé et il a bien compris qu’il avait été grillé. Il s’est caché le visage mais c’en est resté là", regrette Sandrine. "Moi j’ai 28 ans, c’est pas comme si j’en avais jamais vu. Mais si ça avait été un enfant ou des jeunes à ma place", se demande-t-elle.


La procédure normale consiste à contacter le Security Operations Center

Pour Thierry Ney, l’attaché de presse de la SNCB, il y a eu une erreur de procédure commise par la contrôleuse. "Effectivement, le rapport signale un problème d’exhibitionniste dans le train 1735 Liège-Quiévrain ce jour-là entre Liège et Jurbise. Il s’agissait d’une accompagnatrice et d’une aspirante, une élève. Deux jeunes femmes confrontées à des faits particuliers, certes, mais je ne sais pas pourquoi elles n’ont pas eu le bon réflexe", regrette-t-il.

Normalement, l’accompagnateur de train qui se voit dénoncer des faits répréhensibles peut les constater sur place et appeler un service de la SNCB qui se chargera de dépêcher dans la gare la plus proche soit Securail, soit la police locale, soit la police fédérale des chemins de fer. "La cliente a eu le bon réflexe en appelant l’accompagnateur. Elle pouvait aussi contacter directement le numéro 0800 30 230", explique M. Ney.

Le représentant de la SNCB enjoint d’ailleurs tout client qui constate des faits répréhensibles à joindre ce numéro d’urgence gratuit disponible 24h/24 et 7 jours/7. Les clients tombent alors sur le Security Operations Center (SOC). Il se chargera de dépêcher sur place des agents de Securail ou de police comme l’aurait fait l’accompagnateur.


"Il ne faut pas avoir peur de dénoncer des faits répréhensibles" à la police

Mais Sandrine ne le connaissait pas, et finalement, l’exhibitionniste "n’a pas été interpellé", confirme Thierry Ney. "Mais un rapport est en cours à la SNCB par rapport aux faits décrits par la cliente. Une enquête interne va être diligentée", assure-t-il.

Cependant, la SNCB ne peut pas lancer une enquête judiciaire. C’est à Sandrine d’aller porter plainte auprès de la police, ce que conseille vivement Thierry Ney pour que ces faits ne restent pas impunis. Mais la jeune femme hésitait : "J’avais peur qu’on me dise que je pouvais pas le filmer à son insu."

Pour le commissaire de la zone de police Haute Senne, Jean-Claude Paul, s’il est vrai qu’on ne peut pas filmer quelqu’un à son insu, Sandrine "doit venir déposer une plainte. On pourra identifier l’exhibitionniste autrement", sans utiliser la vidéo litigieuse. "Il ne faut pas avoir peur de nous dénoncer des faits répréhensibles", insiste le commissaire.


2.000 faits dénoncés et 9 demandes d'images vidéo par jour

Surtout lorsque les faits se sont passés sur le domaine de la SNCB. En effet, "on a plus de 9.000 caméras sur le réseau qui nous permettent d’aider la police. En 2015, on a reçu plus de 3.400 demandes d’images provenant de la police et elles ont pu aider aux enquêtes dans près de 80% des cas", détaille Thierry Ney. Cela représente une moyenne de 9 échanges SNCB-Police par jour. Des personnes du SOC sont donc employées uniquement à visionner les images des caméras de surveillance.

Elles répondent aussi au téléphone, et pas qu’un peu... Le SOC reçoit "730.000 appels par an" au 0800 30 230, soit 2.000 par jour. "Un chiffre à mettre en rapport avec les 240 millions de voyageurs transportés par an", relativise M. Ney.


"J'espère ne pas le recroiser"

La plupart des faits dénoncés concernent des comportements suspects, des personnes ivres ou suicidaires près des voies, des tags ou des vols. Et le SOC peut aussi faire appel au SMUR en cas de vie en danger ou aux démineurs du CEDEE en cas de colis suspect. Les appels concernant des cas d’exhibitionnisme sont, eux, "exceptionnels". "On n’en a que quelques-uns par an. Mais cela n’empêche pas qu’il s’agit d’une thématique qu’on tient à l’œil", assure M. Ney.

Concernant celui de la vidéo, le commissaire Jean-Claude Paul assure qu’aucun exhibitionniste n’a sévi à Soignies dernièrement. Un sentiment partagé par Sandrine qui prend le train tous les jours. "C’était la première fois que je le voyais... et j’espère ne pas le recroiser", avoue-t-elle. En attendant, elle en a parlé à ses connaissances, histoire de les prévenir. "J'ai quand même montré la vidéo à quelques copines, qu’elles regardent de temps en temps autour d’elles, on ne sait jamais", conclut la jeune femme.

L’AVIS DU SPECIALISTE

Serge Garcet est docteur en psychologie, professeur au département de criminologie de l’ULg et expert auprès des tribunaux. Il fait autorité dans le domaine des violences sexuelles et nous lui avons soumis ce cas.


Jusqu’à 4% de la population masculine est exhibitionniste

Sans pouvoir se prononcer totalement, puisque l’exhibitionniste en question ne fait pas l’objet de son expertise, il nous dresse les grandes lignes d’un comportement pas si rare que ça puisqu'il concernerait "2% à 4%" de la population masculine mondiale, selon le DSM-V, la version la plus récente du Manuel diagnostic et statistique des troubles mentaux.


"A partir du moment où on impose quelque chose de non sollicité, c’est une agression"

Il rappelle premièrement deux évidences dont on n’a pas forcément conscience : Premièrement, "l’exhibitionnisme est une paraphilie", donc une déviance sexuelle, et "c’est un comportement d’agression. A partir du moment où on impose quelque chose de non sollicité, c’est une agression", insiste le spécialiste. "La dimension exhibitionniste se construit par rapport à l’autre, dans le but d’imposer une relation à l’autre en transgressant son intimité visuelle. J’impose quelque chose de non demandé à travers mon sexe masculin."


L'exhibition peut être relativement discrète

Pour le spécialiste, la forme d’exhibitionnisme rencontrée dans ce cas-ci (car il en existe plusieurs différentes), est loin du "cliché de l’homme nu qui ouvre son imperméable".

"Ces comportements ne pas toujours aboutis ou francs dans la démarche. C’est souvent plus larvé. Par exemple, je vais exhiber mon sexe dans ma voiture, puis attendre que quelqu’un passe à proximité et le voit. Ici, on est plus dans un comportement de cet ordre-là, avec en termes de fantasmes que les victimes aient une réaction. Celle-ci permet de traduire un sentiment de puissance", détaille le professeur Garcet.


Une façon de compenser un manque de puissance dans leur vie

"Ils sont régulièrement dans un comportement où ils cherchent à affirmer une puissance au travers du sexe, une puissance phallique. Mais où en même temps, ils ont dans leur vie ou leur personnalité un sentiment général de manque d’efficacité et de puissance par rapport aux choses. L’exhibitionniste va régulièrement présenter une personnalité évitante, anxieuse, mal à l’aise, avec une estime de soi médiocre". Ce qui fait alors du sexe "un symbole" au travers duquel il tente de "reprendre confiance" en lui.


Les transports en commun où les parcs sont des endroits particulièrement prisés

Concernant le lieu choisi par l’exhibitionniste de Soignies, il présent de nombreux avantages pour Serge Garcet : "Les transports en commun sont des espaces relativement bien investis par les personnes qui ont diverses paraphilies. Le frotteurisme par exemple y est plus facile aux heures de pointe", explique-t-il.

Les exhibitionnistes comme celui de cet article "choisissent d’une manière générale un endroit où ils ont la possibilité de trouver leurs victimes, mais en même temps où ils ne seront pas dérangés pour ne pas devoir partir en courant, comme ici un wagon avec pas trop de monde, où dans un parc où il est facile d’approcher des jeunes femmes sans risque majeur d’être soi-même agressé. Ils trouvent un compromis entre les cibles vis-à-vis desquelles ils vont exprimer leur besoin et un lieu relativement calme et discret. Et la présence d’autres hommes dans ces espaces est clairement un frein", note le spécialiste.


Rarement violents physiquement

Ce comportement induit qu’en règle générale, ces exhibitionnistes ne sont pas dangereuses au sens physique du terme : "Ce sont d’abord des personnes mal à l’aise, qui ont plutôt tendance à éviter la confrontation avec la personne qu’ils agressent. Ce type d’exhibitionnisme-là ne va pas conduire à l’agression physique, même s’il peut y avoir du frotteurisme, sans aller nécessairement vers des choses plus graves."


L’impact sur les victimes dépend du vécu de celles-ci

Mais s’ils se montrent rarement violents, il ne faut pas minimiser l’impact de leur agression visuelle sur les victimes. Si Sandrine a géré la chose avec sang-froid voire avec humour, d’autres auraient pu "être tétanisées" à sa place. "C’est fonction de la victime. Ça dépend de son âge, de son histoire, de sa sexualité et d’éventuels abus déjà subis. Ça dépend aussi du contexte : au coin d’un bois peu fréquenté le soir, c’est perçu différemment, on peut se sentir plus facilement en insécurité. Mais l’exhibitionnisme n’est pas la cause première des traumatismes en matière de violences sexuelles, même si ça peut générer un énorme sentiment de solitude."


On est loin du narcissique tout puissant fier de son sexe

Le type d’exhibitionniste rencontré par Sandrine en est un parmi d’autres. "Il existe une autre forme d’exhibitionnisme" courante, note encore M. Garcet. "Certains le font pour s’exciter à l’idée de pouvoir être identifiés et pris sur le fait. C’est le cas du narcissique tout puissant, qui est très fier de son sexe et s’excite fort à l’idée de pouvoir être vu en montrant son sexe. Le fait qu’il pourrait être aperçu va l’exciter. Il est centré sur son propre plaisir et joue à prendre le risque d’être pris. Cela augmente son excitation, que ce soit en jeu masturbatoire ou lors de pratiques sexuelles en couple. C’est une démarche tout à fait différente, un autre mode de fonctionnement. L’hypothèse ici", dans le cas de cet article, "c’est qu’il n’est pas trop là-dedans car il y avait un côté fuyant et pas confrontant dans son regard" sur la vidéo.

Quant à un éventuel cas de masturbation compulsive, le spécialiste estime que c’est "difficile à dire car on ne sait pas si c’est régulier ou récurrent" chez l’homme. Mais ce comportement s’effectue en privé. Ici, même s’il y a peut-être un comportement compulsif derrière, il s’agit de toute façon d’une exhibition puisqu’elle est pratiquée à la vue d’autrui.

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