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Tahir, réfugié palestinien dans un camp à Arlon: "Ici, je me sens en sécurité, j'ai trouvé en Belgique plus que ce que j'imaginais"

"Nous n’avons pas de frontières, pas de commerce international, nous n’avons rien depuis des années à Gaza." Tahir Abu Awwwad est réfugié palestinien en Belgique. Il a 27 ans et possède un bachelier en finance de l’université de Chypre. Il vit depuis quelques semaines dans le camp de réfugiés "Visages du monde" à Stockem (Arlon), un des 3 plus gros centres de réfugiés en Belgique. "J’ai trouvé en Belgique bien plus que ce que j’imaginais", dit-il.

Fils d’un père professeur d’histoire à l’université de Gaza et d’une mère enseignant l’anglais, Tahir est venu dans l’espoir de trouver ici ce qu’il n’a jamais pu avoir en Palestine, la liberté d’expression, la liberté de mouvement et les " valeurs humaines " dont il a tellement entendu parler aux informations. Bien qu’il réside dans un camp qui ne ressemble en rien au Ritz de Paris, il s’estime néanmoins chanceux. " Ici, je me sens en sécurité. J’ai un endroit où dormir, des repas chauds et une chambre chauffée. Des activités sont organisées pour nous distraire, les enfants peuvent aller à l’école. J’ai trouvé en Belgique bien plus que ce que j’imaginais "

Il ajoute qu’il aurait aimé rester avec sa famille en Palestine mais la situation ne le permettait pas. "  D’où je viens, il n’y a pas d’autres conflits comme celui-là, c’est une occupation d’un nouveau pays sur un autre pays. Israël ne nous accorde aucun droit. Je vivais à Gaza mais je n'étais pas autorisé à en sortir. " Cette situation l’a d’ailleurs toujours empêché  de rendre visite à des membres  de sa propre famille vivant du côté israélien. " Une partie de ma famille vit du côté israélien. Je ne les contacte que par Whatsapp  et  Skype. Je ne les ai d’ailleurs jamais vus en vrai... " Du simple fait d’être né du mauvais côté du mur, Tahir s'est retrouvé enfermé malgré lui. La seule possibilité de quitter la Palestine résidait dans l’obtention d’un visa étudiant qu'il obtiendra. Il étudiera la finance 3 ans à Chypre pour échapper aux murs, aux checkpoints et à son pays : sa prison.


Une route semée d’embûches.

Un peu plus de trois ans se sont écoulés... Tahir entre en Turquie grâce à un visa touristique d'un mois. Il espère secrètement trouver un travail. "  Après avoir été diplômé, je ne pouvais tout simplement pas rentrer chez moi,  j’ai alors contacté des universités en Allemagne et au Pays-Bas.  J’ai trouvé un promoteur pour faire ma thèse mais il fallait des bourses  et des fonds, ça n’a donc pas fonctionné. Je me suis alors tourné vers la Turquie pour y travailler." Au bout de 8 mois dans l'illégalité, Tahir ne voit aucune opportunité en vue. Ce jeune, tout fraîchement diplômé en finance, décide alors qu'il n'a plus rien à perdre à se lancer sur la route des Balkans comme des milliers d'autres avant lui.  "Ma première tentative pour rejoindre l'Europe était en bateau. Pour 1000 dollars, un passeur nous faisait traverser la mer entre la Turquie et la Grèce. Mais avec tous les morts qu'on voyait à la Tv, je n'étais pas rassuré. Je me suis donc renseigner pour y aller à pied via la Bulgarie. Mais c'était trop cher: 2000 dollars. A contre cœur, j'ai pris le bateau." Seize jours s’écouleront au total avant que Tahir n’atteigne la Belgique. L’épreuve aura été difficile pour atteindre son objectif.  Après avoir effectué la périlleuse traversée par la mer pour atteindre les iles Grecques et remonté l’Europe, c’est en Slovénie où les choses se compliquent. " La Slovénie, c’était le pire à traverser : c’est un petit pays qui côtoie l’Autriche et seul un petit nombre de personnes peuvent traverser chaque jour. J’ai transité par 5 camps en 3 jours.  La nourriture manquait avec seulement une tranche de pain et une orange comme repas. Les camps étaient trop petits et bondés. Vous ne saviez pas quand  vous pourriez sortir." Bien qu’il soit arrivé en Belgique sain et sauf, ses passages dans l’est de l’Europe l’ont marqué. " J’ai des amis qui sont actuellement en Hongrie, et ça n’a rien avoir avec ici. "


"Construire des murs ne sert qu’à reporter le problème"

Ce jeune Palestinien avoue qu’il s’inquiète quant à l’avenir de l’Europe et des valeurs que nous sommes censés représenter pour lui. Il ne comprend pas pourquoi l’Europe gaspille son temps à ériger des murs à l’est pour freiner l’afflux de migrants.  " Construire des  murs n'apportera aucune solution. Ça ne sert qu’à reporter le problème.  Même si des murs sont érigés, les gens s’assiéront de l’autre côté. Les laisserez-vous mourir ? Non vous ne le ferez pas ! Parce que ce sont vos valeurs et c’est pour cela que je suis venu. Je suis de Palestine et bâtir des murs, c’est un programme d’isolation. Pourquoi faut-il s’isoler du monde ? D’un autre côté, je comprends qu’on puisse avoir peur d’inconnus qui immigrent chez vous mais ceux qui sont venus, ils ont été forcés de le faire. Ce n’est pas quelque chose que nous avons voulu. Ces gens ont dû sacrifier beaucoup de choses pour venir ici. Pourriez-vous imaginer recommencer une nouvelle vie après avoir eu des enfants? Nous n’allons rien vous voler, nous allons le gagner et nous serons bénéfiques  à votre économie. "

 Il ajoute que les Syriens avaient généralement une carrière avant et vivaient comme nous. " Dans ce camp, vous trouverez n’importe quel corps de métier. Je ne pensais pas ça avant. C’est incroyable. " Pour Tahir, il faudrait apprendre à connaître ces gens et non pas les refouler vers la Turquie comme le propose l’union européenne en ce moment.  "  J’ai vécu 8 mois en Turquie, on dit que les Syriens y sont bien, mais ce n’est pas vrai. Si on regarde la situation réelle, on se rend vite compte qu’ils n’ont pas droit au permis de travail, ni au permis de résidence. Comment pouvez- vous aller à l’hôpital lorsque vous êtes malade ? Comment pouvez-vous faire la moindre chose ainsi ? Est-ce que c’est ça la vraie vie ? "  La seule solution selon lui, pour enrayer l’afflux des migrants et empêcher l’édification de barricades aux frontières tout en préservant la libre circulation des biens et des personnes, serait de s’attaquer aux racines du problème, là-bas, au Moyen-Orient. Mais ça requiert beaucoup de courage politique. " Ici en Europe, personne ne sait maîtriser le problème de la crise migratoire. Chaque pays se rejette la faute. Il suffit pourtant de résoudre la guerre. Si on regarde les statistiques, les 3 plus gros pays d’où viennent les immigrés en 2015 et 2016 sont l’Afghanistan, la Syrie et l’Irak. Donc regardez ces pays de plus près, tous sont rongés par la guerre et qui l’a créée ? Posez-vous les bonnes questions ? Qu’ont-ils résolu depuis que ces guerres ont éclaté ? "


S’il est difficile de sortir d’une prison, il est encore plus compliqué d’y rentrer.

Pourtant, Tahir ne provient pas d’une zone de guerre aussi durement touchée que la Syrie mais il ne pourra probablement jamais retourner chez lui. Car s’il est difficile de sortir d’une prison comme la bande de Gaza, il est encore plus compliqué d’y rentrer. "  Le seul moyen de rentrer dans Gaza, c’est par la frontière égyptienne. Mais c’est fermé, et on ne sait même pas pourquoi. En plus, maintenant avec le général Al-sissi qui dirige l’Egypte, les choses ne vont pas en s’arrangeant.  C’est une partie du chaos qui règne sur le Moyen-Orient. C’est un crime que nous n’avons pas commis mais dont nous devons payer le prix, nous, citoyens. Jour après jour, notre famille, nos amis en payent le prix et peut-être nos enfants en payeront le prix. Ce que nous espérons en venant ici, c’est donner à nos enfants, la génération future, une chance de vivre et d’être éduqués sous de bonnes valeurs, en liberté. " Et bien qu’il ait tout laissé derrière lui, Tahir ne regrette pas. Car il a espoir, espoir de se voir octroyer tout simplement des papiers et de vivre au moins une dizaine d’années à  l’abri du chaos.

 
copyright Quentin Vanderstichelen


Tahir a découvert dans ce petit pays quelque chose qui semblait être, avant, une utopie pour lui en Palestine. " Ici en Belgique, Il y a deux cultures, deux peuples, les Wallons et les Flamands qui vivent sous le même pays, le même gouvernement. De mon point de vue, j’espère qu’un jour il en sera pareil chez moi. "

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