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Un an après l’afflux massif des migrants, Lesbos est-elle une destination dangereuse ? Voici le témoignage de Séverine, une habituée de ce coin de paradis

La réputation de Lesbos, une île grecque, souffre de la crise migratoire. Une image négative et irréaliste contre laquelle Séverine se bat. Cette quadragénaire veut mettre en exergue les atouts de cette terre magnifique dans l’espoir d’attirer des touristes et aider la population locale, victime d'une tragédie économique.

"Cette île est un des, si pas l’Endroit le plus enivrant et addictif de notre planète", assure Séverine Matheï. Depuis plus de 15 ans, cette Anversoise francophone qui habite à Bruxelles, dépose régulièrement ses valises à Lesbos. Des saveurs exquises, des paysages magnifiques et des habitants souriants et généreux. Au fil des voyages, elle est littéralement tombée sous le charme de cette terre verdoyante bordée par le bleu de la mer Egée.

Malheureusement, l’image paradisiaque de cette destination est écornée par la crise migratoire."L’île de Lesbos est mise à rude épreuve. En plus de la crise financière qui a éclaté en 2008, les habitants ont été confrontés l'année passée à un afflux massif de réfugiés. Ces événements ont fait fuir tous les touristes. Ceci n’est pourtant nullement justifié", dénonce cette voyageuse de 43 ans, qui a décidé de nous contacter via notre bouton orange Alertez-nous pour témoigner de la situation locale. 

"Les réservations sont en chute libre"

Depuis l’année dernière, plus d’un million de réfugiés en provenance de Turquie ont déferlé sur les îles grecques Lesbos, Kos ou Samos. La plupart d’entre eux sont des Syriens, fuyant les bombes et espérant rallier l’Europe. Les images de ces hommes, femmes et enfants en gilets de sauvetage débarquant après un voyage périlleux sur les plages des îles de la mer Egée ont fait le tour du monde. "Cette exposition médiatique a généré une image assez négative pour la Grèce dans son ensemble", estime Jean Brajon, directeur général d'Heliades, voyagiste français spécialisé dans les destinations helléniques, qui enregistre une baisse de 10% des réservations par rapport à l’été 2015.

La bombe migratoire semble en effet avoir engendré une frilosité chez certains vacanciers. "Les réservations sont en chute libre et, outre les migrants, les seuls "touristes" désormais, ce sont les membres des ONG", confiait en février dernier Aphrodite Vati Mariola, propriétaire d’un hôtel, à nos confrères du journal Libération. Au même moment, comme pour confirmer cette tendance, un internaute posait cette question sur un forum de voyage: "Nous souhaiterions retourner cet été à Lesbos, mais les problèmes liés aux "réfugiés" nous empêchent de préparer sereinement ce séjour. Y aurait-il un risque pour notre sécurité cet été ?"


Faut-il avoir peur d'y aller ? 

La réponse de Séverine est sans appel. Lesbos n’est en rien une destination dangereuse. "Pour avoir séjourné au pire de la crise, quand rien n’était organisé, à 1 km de l'endroit précis où débarquent les réfugiés, je n'ai effectivement à aucun moment constaté que ces arrivées massives empêchaient en quoi que ce soit les touristes de profiter pleinement de leur séjour", affirme la quadragénaire qui déplore cette crainte non-fondée. "J’ai vu moi-même des centaines de réfugiés et cela ne m’effraie pas. C’est vrai que c’est émotionnellement remuant de les voir débarquer sur la plage car certains sont sous le choc. Mais quand ils arrivent, ils sont soulagés d’être là. J’ai parlé avec beaucoup d’entre eux. Ils n’ont aucune raison d’être désagréables ou agressifs. Ils viennent littéralement de sauver leur peau avec l’espoir d’un avenir meilleur", souligne-t-elle.



La route égéenne s’est tarie avec l’accord UE-Turquie

Depuis fin mars dernier, il n’y a pratiquement plus de bateaux pneumatiques bondés qui arrivent à Lesbos. La route égéenne s’est tarie avec l’entrée en vigueur de l’accord entre la Turquie et l’Union européenne. Les flots de réfugiés qui formaient des files humaines le long des routes menant du littoral à la capitale Mytilène ont disparu. "Depuis l’été passé, l’accueil sur les "plages de débarquement" est super bien organisé et puis, suite à l’accord entre la Turquie et l’Europe, il n’y a de toute façon plus d’arrivage. Si certains débarquent encore, ils sont directement pris en charge par les organisations humanitaires sur place qui les acheminent en bus vers la capitale où certains restent bloqués", indique Séverine.

Pendant des mois, des milliers de réfugiés traversaient chaque jour les quelques kilomètres de mer séparant Lesbos de la côte turque. Aujourd’hui, d’après le journal Marianne, il reste encore 4.000 à 5.000 migrants sur l’île. La plupart d’entre eux se trouvent dans les camps situés à Mytilène et dans le village de Moria à proximité."Ils y ont été enfermés dans des conditions pas vraiment humaines, mais aujourd’hui ils sont libres", indique Séverine. Ces migrants dont la plupart sont en attente d’être renvoyés en Turquie, faute de pouvoir bénéficier du droit d’asile, se mêlent donc désormais aux habitants la journée avant de revenir dans les camps pour y passer la nuit.

"Une générosité authentique et abondante"

"Certains ont demandé aux locaux s’ils pouvaient recharger leur smartphone chez eux, en proposant de l’argent pour l’électricité. Mais ils ont répondu qu’ils n’avaient pas besoin d’être payés", se souvient Séverine, présente à quatre reprises sur l’île l’année dernière. L’Anversoise tient à souligner " l’authentique et l’abondante générosité " de la population qui a accueilli ces naufragés. "Bien qu'étant déjà dans une situation critique de par la crise financière, cela ne les a pas empêchés de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour accueillir, soigner, nourrir, héberger, vêtir,... les réfugiés qui débarquaient quotidiennement en bas de chez eux", assure-t-elle.



"C’est effrayant, on ne sait pas comment ils vont passer l’hiver"

Aujourd’hui, l’intense vague migratoire a donc pris fin à Lesbos. Mais l’impact se fait toujours ressentir. "Malheureusement, le mal a été fait et encore aujourd'hui on trouve dans la presse des photos de l'année passée", épingle la quadragénaire. Résultat: les touristes auraient déserté l’île et les Lesbiens se retrouvent privés de cette ressource financière importante. "Les hôtels, les rues, les cafés sont désespérément vides. Les établissements ferment les uns après les autres. La population est anéantie. Elle se trouve dans une misère sans nom. L'été passé déjà, rien que dans le village de Molyvos qui compte 2.000 personnes, 20 familles n'étaient plus en mesure de payer leur facture d'électricité. D'autres n'ont plus de quoi se vêtir", soutient l’Anversoise."C’est effrayant, on ne sait pas comment ils vont passer l’hiver ", ajoute-t-elle.


"Ce n’est pas un Prix Nobel qui va leur permettre de manger" 

Pour Séverine, la venue très médiatisée sur l’île du pape, du secrétaire général de l’ONU Ban Ki-Moon ou encore de l’actrice Angelina Jolie ne contribue en rien à aider les Lesbiens. Bien au contraire. "Cela met en exergue une situation difficile, une sorte de chaos alors que les arrivées de migrants, c’est pratiquement fini. C’est contreproductif. Et ce n’est pas un Prix Nobel qui va leur permettre de manger", lance notre amoureuse de Lesbos. Les habitants de l’île ont en effet été nominés pour le Nobel de la paix pour leur aide aux réfugiés.

Afin de les soutenir, à son niveau, elle préfère plutôt tourner la page de cette crise migratoire et évoquer les nombreux atouts de cette terre gorgée de soleil et recouverte d’oliviers. Séverine a ainsi pris la plume pour rédiger un témoignage positif qu’elle a publié sur son site internet."Je souhaite partager toutes les richesses de cette île exceptionnelle et ce qu’elle peut apporter à tout un chacun, avec l'espoir que cela motivera certaines personnes à s'y rendre", explique-t-elle. Séverine promet à ceux qui posent leurs valises à Lesbos un séjour inoubliable qui les poussera à revenir.



"Lesbos, une destination moins demandée"

Son ambition est ainsi de faire davantage connaître cet endroit aux Belges qui choisissent habituellement d’autres îles grecques pour s’évader. "La Grèce et ses îles se trouvent toujours dans le top 5 des destinations favorites des Belges pour les vacances en avion sur la Méditerranée. Les îles comme Kos, Rhodes, Santorin ou la Crète sont les plus populaires. En comparaison, la demande pour Lesbos est limitée", indique le porte-parole de Thomas Cook.

Totalement enivrée par la beauté de Lesbos et ses habitants, Séverine envisage à présent de franchir un pas. Elle réfléchit à acheter une maison sur place."Cela fait près de 16 ans que cette île ne me lâche pas. Les habitants m’ont tellement donné que j’ai envie de les aider à mon tour", confie-t-elle.

Julie Duynstee

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