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Les footballeurs français sont-ils trop précoces?

Des impressionnantes performances de Kylian Mbappé et Ousmane Dembélé aux résultats probants des sélections de jeunes, rarement le football français aura connu autant de talents chez ses jeunes. Mais derrière la vitrine, certains spécialistes mettent en garde contre les risques physiques ou psychologiques de la précocité à outrance.

Leurs inquiétudes ne concernent pas les révélations déjà confirmées, comme Dembélé ou Mbappé, mais les jeunes de 13 à 17 ans qui rêvent de les imiter. A cet âge-là, dans les structures élites du football français, on réalise déjà quatre à cinq entraînements par semaine, en espérant percer.

Manuel Lacroix, un préparateur physique qui a travaillé sur la question à l'Université de Bourgogne, déplore cette "hyperspécialisation" prématurée.


La fragilisation musculaire 

"Il faut respecter les cycles psychologiques et physiques de l'enfant. Beaucoup de joueurs sont très forts à 16 ou 17 ans et après on ne les retrouve plus", regrette-t-il. "La France favorise ça, car les clubs exportent des joueurs et ils ont besoin d'avoir des jeunes à vite montrer. Mais il faut une réflexion sur l'après".

Et ce spécialiste d'identifier deux risques. Physique d'abord: en pratiquant le foot à haute dose et trop tôt, les jeunes joueurs fragilisent des muscles qu'ils sollicitent toujours de la même façon (ischio-jambiers, adducteurs), et le "taux de blessures" devient important.

Mental ensuite: "l'enfant, il faut qu'il prenne du plaisir. Il y a un risque de lassitude, quand on fait du foot depuis l'âge de 12 ou 13 ans. Passée l'excitation des gros contrats, il faudra être fort pour continuer", explique celui qui est désormais préparateur physique dans le milieu du basket, à l'Asvel.

Il préconise donc des semaines d'entraînement moins chargées et une activité sportive beaucoup plus variée. De la gymnastique pour la tonicité, le gainage ou la souplesse, ou comme on le fait au centre de formation de l'Ajax Amsterdam, du judo pour travailler les chutes, l'équilibre et la coordination.


Des sollicitations usantes 

Matthieu Bideau, responsable du recrutement au centre de formation du FC Nantes, loue de son côté certains profils atypiques, qui peuvent apportent davantage de créativité et d'envie. Il insiste sur la fraîcheur mentale de joueurs qui se sont révélés sur le tard comme N'Golo Kanté ou Riyad Mahrez, "qui jouaient encore à 18 ans en DH (division d'honneur, un niveau amateur)".

"Il n'y a pas de parcours idéal", estime-t-il ainsi. Bien sûr, la voie considérée comme royale, c'est "d'être sollicité par les clubs à douze ans, de passer par un pôle espoir, et les équipes de France de jeunes".

Mais être ciblé par des clubs français ou étrangers dès 15 ou 16 ans peut aussi "être usant mentalement. Avec les nouveaux amis qui gravitent autour de vous, la pression, des agents... Ce n'est pas toujours très simple à gérer", insiste-t-il.

Officiellement, en France, un jeune peut signer un premier contrat formel avec un club à partir de l'âge de 13 ans, un "accord de non sollicitation" (ANS), qui lui garantit une place dans le centre de formation et l'empêche d'aller voir ailleurs.


Une génération de sprinteurs

Si un jeune s'annonce prometteur, la bataille peut vite se durcir entre les clubs. Matthieu Bideau parle même de "primes" versées aux parents pour attirer leurs petits. Le club de Nantes n'a jamais offert plus de 9.000 euros, assure-t-il. Mais les plus grands clubs seraient capables de verser "200.000 euros de primes sur 5 ans pour des mômes de 13 ans, oui... 50.000, très, très souvent", affirme-t-il.

Ce responsable a publié un ouvrage très pédagogique - "Je veux devenir footballeur professionnel!" - pour aider les jeunes et leurs familles à éviter les chausse-trappes et trouver le parcours qui leur correspond le mieux.

Son mot d'ordre, "c'est de faire comprendre aux jeunes qu'ils courent un marathon et pas un sprint. Le problème c'est qu'on a affaire à une génération de sprinteurs..."

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