Partager:
Une nouvelle norme, plus réaliste donc plus sévère, de mesurer la quantité de CO2 rejetée par les voitures, baptisée WLTP (voir plus bas) a été mise en place dans l'Union européenne. Or ces rejets de CO2 servent, depuis longtemps, de base de calcul en Belgique et ailleurs dans le monde pour établir différentes taxes.
Des personnes ont contacté la rédaction de RTL INFO car elles ont entendu des choses inquiétantes en allant à leur garage. "Je dois bientôt changer de voiture de société, et mon concessionnaire me dit que dès 2021, la norme WLTP remplace l'ancienne. Elle est plus stricte, donc pour une même voiture, le rejet de CO2 sera plus grand. Et donc, les taxes vont augmenter, et ce serait même rétroactif", se tracasse Antoine via le bouton orange Alertez-nous. Qu'en est-il vraiment ?
La norme WLTP "remplace" la norme NEDC, mais pas en Belgique où elles coexistent
Depuis le scandale VW, l'entreprise allemande ayant triché sur les calculs de consommation moyenne et de rejet de CO2 de ses voitures, l'Europe veut que les consommateurs ne soient plus bernés par des chiffres incohérents. Elle a donc imaginé une nouvelle manière de calculer rejet de CO2 et consommation moyenne, plus réaliste et fidèle à la réalité.
La Procédure d'essai mondiale harmonisée pour les voitures particulières et véhicules utilitaires légers (en anglais Worldwide harmonized Light vehicles Test Procedures, ou WLTP) a été fixée en 2017, et elle est progressivement imposée par l'Europe à ses états membres.
La WLTP remplace la NEDC (New European Driving Cycle, nouveau cycle de conduite européen), actif de 1973 à 2018, et qui était critiqué pour être peu représentatif de la réalité avec la prise en compte d'une vitesse moyenne des tests de 33 km/h, peu de sollicitation du moteur, une accélération très faible, etc.
La norme WLTP affiche un rejet de CO2 entre 5 et 30% plus élevé que la norme NEDC pour les voitures essence et diesel (ce n'est pas le cas pour les hybrides).
Un calendrier a été établi en Belgique, sous la pression de l'Europe: depuis septembre 2018, les constructeurs doivent effectuer le test WLTP et cette mesure doit être indiquée dans les show-rooms et les publicités. Mais, en parallèle, ils devaient encore, également, calculer une valeur théorique NEDC (estimée à partir des résultats WLTP) jusqu'au 31 décembre 2020, c'est ce qu'on appelle la NEDC 2.0.
La suite, donc ce qui se passe à partir de 2021, aurait dû être tranchée dans le courant de cette année. Mais sans gouvernement, ou alors avec un gouvernement temporaire dédié à la gestion de la crise sanitaire, rien n'a été décidé.
L'administration fiscale a trouvé une parade pour éviter le chaos administratif: continuer à accepter la valeur NEDC sur le certificat de conformité (pour autant qu'en 2021, les constructeurs aient encore l'intention de le faire, ce qui n'est pas assuré, voir plus bas).
Les voitures de société vont-elles coûter beaucoup plus cher aux employés en 2021 ?
Le rejet en CO2 d'une voiture est pris en compte pour le calcul de l'avantage toute nature (ATN) que représente une voiture de société (il s'agit d'une retenue mensuelle sur salaire pour l'employé). Et les conséquences d'une augmentation de la 'valeur CO2' d'un véhicule, causées par l'arrivée de WLTP, sont importantes.
D'abord un peu de théorie: le calcul de l'ATN se base sur la valeur catalogue du véhicule, qui est pondérée par les rejets de CO2. Plus ces rejets augmentent, plus l'ATN augmente, et plus la retenue mensuelle sur salaire augmente (et donc le salaire net de l'employé diminue). Voici un tableau présentant le calcul:
Nous avons fait le calcul pour une voiture essence de 30.000 euros rejetant 100 grammes de CO2 avec l'ancien calcul (NEDC) et dans le pire scénario, 130 grammes avec le nouveau calcul (WLTP). La différence au niveau de l'ATN qui est retenu sur le salaire de l'employé serait d'environ 700 euros par an, soit environ 60 euros par mois.
Il y aurait aussi un impact au niveau de la taxe de mise en circulation mais il serait léger: quelques dizaines d'euros à payer en plus mais une seule fois, lors de l'immatriculation d'un véhicule (la taxe de circulation, celle qu'on paie chaque année, ne prend pas en compte les rejets de CO2). Le porte-parole de la Région wallonne nous a dit que le Parlement ne comptait pas toucher à cette grille, même si le résultat WLTP remplace un jour complètement le NEDC.
Le tour de passe-passe du fédéral
Vu l'absence de gouvernement aux pleins pouvoirs et la crise du coronavirus, la question de savoir ce qu'on allait faire de ce nouveau calcul de rejet de CO2 en 2021 n'a jamais été une priorité. Nous avons soumis au SPF (Service Public Fédéral) Finances les inquiétudes d'Antoine. La réponse que nous avons reçue tient dans un document intitulé "Nouvelles règles de calcul et FAQ" de l'ATN voiture de société.
On y lit ce qui ressemble à un tour de passe-passe, à la page 39. "A partir du 1er janvier 2021, les constructeurs d'automobilespeuvent encore calculer une valeur NEDC" et l'ajouter sur le certificat de conformité européen.
On va donc continuer à avoir deux valeurs, deux quantités de CO2 (WLTP et NEDC) rejetées par une même voiture, et indiquées sur son certificat.
C'est sur base de ce certificat que la DIV (Immatriculation des Véhicules) enregistre dans ses bases de données la quantité de CO2 que rejette une voiture. "Dans l’état actuel de la législation, l’avantage de toute nature imposable doit être déterminé en tenant compte du taux d’émission CO2 du véhicule, tel qu’il est disponible auprès de la DIV." dit le SPF Finances.
Mais quelle valeur la DIV va-t-elle prendre ? WLTP ou NEDC ? La réponse est surréaliste : "Le texte légal ne précise pas clairement si l’on doit prendre la valeur NEDC ou plutôt la valeur WLTP", précise le SPF Finances.
Sous-entendez: il serait temps de clarifier la situation car c'est une histoire belge, ce calcul WLTP. En l'état actuel des choses, cette nouvelle norme est complètement inutile depuis sa mise en place il y a 3 ans, vu que le calcul NEDC coexiste et que la DIV va le "choisir".
En réalité, c'est au moment de la demande d'immatriculation que vous (ou plus souvent votre assureur, en ligne) allez choisir et indiquer le calcul de rejet de CO2 qui vous avantage le plus dans la case (contour orange) du formulaire :
D'après la Febiac, "cette adaptation du calcul de la fiscalité des voitures de société aurait dû être avalisé par le gouvernement fédéral mais en l’absence de celui-ci, il a été validé par l’Administration au début de l’été", nous précise Christophe Dubon, du service de communication de la Fédération belge de l'Industrie de l'Automobile et du Cycle. La Febiac rassure davantage Antoine en mettant de côté une quelconque rétroactivité des mesures: "Ce nouveau régime ne concernera que les voitures de société nouvellement immatriculées et n’impactera donc pas les voitures qui sont actuellement en circulation".
Que dit le nouveau ministre de cette situation ubuesque ?
Nous avons contacté le nouveau ministre des Finances, Vincent Van Peteghem, qui vient de s'installer et ne connait pas le dossier. Sa porte-parole nous a renvoyé vers le cabinet du SPF Finances, qui a fini par nous répondre que "l'administration est en train d'étudier la question". Même genre de réaction du côté d'Ecolo, qui a rejoint le gouvernement fédéral (Georges Gilkinet est ministre de la mobilité). En lisant entre les lignes, on comprend que ça va peut-être finalement changer dans les semaines/mois à venir, mais il sera vite trop tard, vous allez le comprendre.
Ce que l'administration est en train d'étudier c'est, on l'imagine, une réécriture des calculs des ATN, pour limiter l'impact financier de la hausse brutal des rejets de CO2. Prenons le cas de la France: depuis quelques mois, il n'y a que la norme WLTP qui est prise en compte (voir les explications de L'Argus). Le gouvernement français avait auparavant légèrement revu sa grille de 'malus' afin de ne pas trop alourdir la facture pour le citoyen.
"L'Europe a bien précisé aux états membres qu'ils devaient trouver une solution pour que l'impact financier ne repose pas sur le client final. Car le but du WLTP, finalement, c'est bien d'avoir des valeurs qui sont plus proches de la réalité", nous apprend Ann Van Espen, de LeasePlan, une des entreprises de leasing (intermédiaire entre une entreprise et un employé dans le cadre de l'octroi d'une voiture de société) active en Belgique.
Prenons le scénario le plus probable: le nouveau ministre des Finances ne résout pas l'équation dans les prochaines semaines et confirme ce que le SPF nous a expliqué ci-dessus (double norme acceptée en 2021). Si l'idée semble saugrenue mais efficace, dans la pratique, rien n'est moins sûr. Il pourrait y avoir un fameux couac, et il est situé au niveau des... usines fabriquant les voitures.
Aujourd'hui, nous ne savons pas encore si en 2021 on aura les deux mesures
De son côté, Audi Belgique espère...
En effet, c'est sur elles que tout repose au final, car elles livrent les voitures avec leur certificat de conformité. Nous avons donné la parole aux constructeurs, mais seule la marque Audi a bien voulu nous répondre, et elle fait partie des grands fournisseurs de voitures de société en Belgique.
Vous allez l'entendre, c'est la grande inconnue chez la filiale locale de ce grand groupe international, qui n'a pas spécialement envie d'adapter ses procédures d'homologation prévues en 2021 pour le petit marché belge.
"Aujourd'hui, nous ne savons pas encore si en 2021 on aura les deux mesures (WLTP obligatoire et NEDC optionnel), nous n'avons pas encore reçu la confirmation de l'usine", nous a expliqué Sofie Luyckx, porte-parole d'Audi en Belgique. "Nous faisons de notre mieux pour obtenir la meilleure solution pour nos clients, évidemment, mais ça dépend de la maison-mère", donc du siège d'Audi en Allemagne.
Nul doute que la direction belge fait le pressing pour se faire entendre, au risque de pousser tous les employés et les sociétés de leasing vers d'autres marques qui parviendraient, elles, à obtenir les deux valeurs sur le certificat de conformité européen…
Nul doute également que toutes les filiales belges des grands constructeurs sont dans le même cas qu'Audi.
Conclusion, sivous devez choisir une voiture de société dans les prochains mois, essayez de le faire le plus tôt possible, avant 2021, car l'avenir est un peu flou.