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"On fait trop peu pour préparer les détenus à l’après": des experts dénoncent le manque d'aide et de moyens pour la réinsertion des prisonniers

Frederick nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour dénoncer le manque d'aide à sa sortie de prison. Concrètement, qu'est-ce qui est fait dans notre société pour venir en aide aux détenus qui ont fini leur peine? Les spécialistes que nous avons rencontrés sont formels: il n'y a pas assez de moyens pour vraiment aider les détenus à se réinsérer. 

Frederick, ancien détenu et aujourd'hui sous bracelet électronique, déplore un manque de suivi et d'aide pour se réinsérer dans la société. Sorti de prison en février, il nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour nous faire part de ses difficultés: "Ma santé physique et mentale sont touchées, sans compter que le suivi après la libération est nul, même l'aide est totalement nulle", écrit-il. 

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Une réinsertion compliquée après un passage un prison

Aujourd'hui sous bracelet électronique depuis le mois de février, Frederick a réussi à trouver un travail en tant que chauffeur routier. Concrètement, il a le droit de sortir de 8h à 14h, et lorsqu'il travaille, il a droit à 12h. Mais sa réinsertion est parfois compliquée, notamment au niveau social car la prison lui a fait perdre ses repères, mais aussi au niveau financier, nous explique-t-il: "La prison, ça n'aide pas. Ça a été un enfer pour moi! Et c'est très difficile de s'en sortir. On doit retrouver du travail, s'en sortir financièrement... Aujourd'hui, je suis en médiation de dettes. Financièrement, je n'y arrive pas. Les factures continuent d’arriver, le loyer aussi et on ne touche rien, pas d’aide. Je n’ai toujours pas un centime du CPAS. Toujours pas eu mon chômage, je ne reçois rien".

On fait trop peu pour préparer les détenus à l’après

Frederick a eu une peine de 21 mois au total. Il a purgé 8 mois de prison avant d'être relâché et mis sous bracelet eléctronique. Pour lui, la justice met trop facilement les gens en prison, nous explique-t-il: "On va extrêmement vite en prison. Moi j'ai eu une courte peine. On enferme n'importe qui, mais la prison peut détruire encore plus. Ça a été un enfer pour moi. Et en sortant, l'aide n'est pas là", dénonce Frederick. Justement, Alain Grosjean, président de l'asbl "Sortant de prison" explique: "La prison est un moment très traumatisant pour la personne incarcérée, pour différentes raisons: surpopulation, promiscuité, la vétusté des prisons... Ce sont des conditions très difficiles, et on n’en ressort pas du tout indemne. C’est très difficile de reprendre pieds dans la société ensuite". 

Aujourd'hui en Belgique, il y a 12.316 détenus pour un total de 10.743 places, soit un taux de 15% de surpopulation carcérale au niveau national, d'après les derniers chiffres du SPF Justice. Malgré l'ajout de 280 lits d'urgence, au 1er mars 2024, 250 détenus dormaient toujours sur des matelas à même le sol. Un an plus tôt, au 1er mars 2023, on dénombrait 11.402 détenus pour 9.755 places, soit une surpopulation de près de 17%. Notre pays est d'ailleurs le 4e d'Europe où la surpopulation carcérale est la plus importante. 

Alors pour comprendre ce qui est fait réellement pour aider les détenus qui sortent de prison à se réinsérer socialement et professionnellement, nous avons rencontré Me Marc Neve, avocat spécialisé en droit pénal et notamment en droit pénitentiaire, mais aussi président du CCSP (Conseil central de surveillance pénitentiaire). Et Alain Grosjean, président de l'asbl "Sortant de prison" qui vient en aide aux détenus et les accompagne dans leurs démarches. Et tous deux sont formels: il n'y a pas assez de moyens pour vraiment aider les détenus à se réinsérer. Et c'est un problème. 

Un "plan de détention" prévu par la loi pour aider les détenus à se réinsérer: faute de moyens, ce projet n'est pas concrétisé 

La loi du 12 janvier 2005, à propos des droits des détenus, définit le Conseil central de surveillance pénitentiaire (CCSP) comme organe indépendant et impartial de contrôle et d’avis veillant à garantir les droits et la dignité humaine des personnes détenues. Leur rôle est de veiller à ces droits durant la peine de prison. Mais une fois sortis, le CCSP n'a plus de compétences, nous explique Marc Neve. 

Normalement, le temps de détention devrait servir à préparer la sortie

Cette loi prévoit justement un "plan de détention" qui a pour but de planifier la sortie, et donc la réinsertion d'un détenu dans la société. "C'est un projet que le détenu est censé élaborer en concertation avec la direction de la prison pour voir comment va s’envisager sa peine, et sa sortie. C'est un accompagnement du détenu dans ses projets, voir quel apprentissage envisager, quelles formations, etc. Mais ce plan de détention n’est pas encore concrétisé parce qu’on n’a pas les moyens… Et c’est tout à fait regrettable", explique Marc Neve.

Et pour cause, les prisons belges vont mal: surpopulation carcérale, manque de personnel, manque de moyens financiers... A la prison de Haren, pourtant ouverte récemment, il manque 200 gardiens, et les sections sont déja surpeuplées. Un tel projet ne peut donc pas être concrétisé, faute de moyens. "Demander à un détenu comment il va se réintégrer alors qu’il n’y a pas été préparé, c’est impossible à concevoir! D’où l’importance de mettre en œuvre ces plans de détention, c’est ce qu’il manque cruellement", ajoute l'avocat spécialisé en droit pénitentiaire et président du CCSP. 

"On fait trop peu pour préparer les détenus à l’après, il y a trop peu de moyens pour faire un accompagnement correct et utile. Normalement, le temps de détention devrait servir à préparer la sortie. Dans la grande majorité des cas, les détenus finissent toujours par sortir, que ce soit une courte ou une longue peine. Et c'est ce que prévoit le "plan de détention" qui n'est pas appliqué faute de moyens", surenchérit Alain Grosjean.

Il existe d’autres possibilités qui doivent être préférées à la prison pour les courtes peines

Pas de réinsertion = plus de récidive: en Belgique, on estime qu'il y a 60% de taux de récidive

Pour Marc Neve, la réinsertion des détenus est donc inexistante dans notre pays: "Aujourd’hui, ça n’existe pas. Ce sont les associatons extérieures à la prison qui viennent aider et proposer des formations et un accompagnement, mais ça dépend des prisons. Et ces associations extérieures n’ont pas toujours les moyens d’aider les détenus qui leur demandent. Il y a cruellement un manque de moyens pour concrétiser l’aide à la réinsertion", déplore-t-il. 

Aller en prison n'est pourtant pas sans conséquences sur les détenus, tant physiquement que psychologiquement: "Quand on est incarcéré, on est coupé de la société. Souvent, les contacts qu’on avait avant, s’étiolent, on perd son travail, son logement… et on perd surtout certains repères sociaux qui font que quand on sort de prison, on est complètement perdu. Et on ajoute à ça la stigmatisation: quand on a l’étiquette "sortant de prison", c’est encore plus compliqué", précise Alain Grosjean. 

Le risque de récidive augmente plus l’incarcération est longue

L'ancien détenu se retrouve souvent dans une situation qu'il ne peut plus gérer: "Si vous n’êtes plus en contact avec votre famille, vous êtes vraiment livré à vous-même. Et la conséquence est très simple: quand vous vous retrouvez seul et sans rien, et avec très peu de moyen, c’est la récidive", ajoute-t-il. En Belgique, on compte 60% de taux de récidive, d'après l’Institut National de Criminalistique et de Criminologie (INCC), une branche du SPF Justice. Concrètement, cela signifie que 3 personnes sur 5 recommenceront ce pour quoi elles ont été condamnées. "Et c’est énorme, ça explique beaucoup de choses"

D'autant que, comme l'explique Marc Neve, la prison peut être "contre-productive" et avoir l'effet inverse: "Un détenu qui arrive en prison pour un fait pas tellement grave, peut se faire influencer par ses codétenus. Ça leur donne des idées, et une fois sorti, ils passeront à l'acte. Il y a une aggravation de la situation plus la détention est longue. Le risque de récidive augmente d’ailleurs aussi plus l’incarcération est longue", pointe-t-il.  

La prison, pas toujours la solution? 

Pour Alain Grosjean, qui le constate sur le terrain, la prison n'est pas LA solution ultime à appliquer à tous les coups, ni pour toutes les peines: "La prison n’est pas une punition adaptée à tout le monde. Il faut protéger la société de certaines personnes, c’est certain, mais c’est loin d’être la majorité des personnes qui sont incarcérées. Moi j’estime que 80% des personnes qui se retrouvent en prison ne devraient pas y être et devraient pouvoir bénéficier de mesures alternatives, d’un accompagnement dans leur parcours, et de comprendre ce qui a amené à cet acte. Mettre des moyens en œuvre dans l’accompagnement tout en reconnaissant, et c’est nécessaire, qu’il ne faut pas laisser les actes délictueux impunis"

On vient de voter un nouveau code pénal qui dit que la prison est la dernière des solutions

Il explique que la punition doit être constructive, or ce n'est pas toujours le cas de la prison: "Il faut permettre à la personne, et ce serait tout bénéfice pour la société, de reprendre pied dans la société, de prendre conscience de son acte et voir comment elle pourrait rendre à la société les dégâts qu’elle a pu faire. La punition doit être constructive". 

Marc Neve partage également de cet avis: "Il y a un éventail d’autres peines possibles: vous pouvez imposer des conditions, c’est-à-dire suivre un traitement, ou vous abstenir de fréquenter telle ou telle personne, il peut y avoir des conditions plus ou moins strictes. Il y a aussi les peines de travail: exécuter un travail au profit de la collectivité, c’est important. Puis il y a le bracelet électronique. Il existe d’autres possibilités qui doivent être préférées à la prison pour les courtes peines". 

Par courte peine, on entend les peines de prison de moins de 3 ans. Dans le passé, les détenus qui devaient purger une peine inférieure à 3 ans la prestaient sous le régime du bracelet électronique et n’encombraient donc pas les prisons. Mais depuis le 1er septembre 2023, les peines comprises entre 6 mois et 3 ans doivent être purgées en prison. À l'époque, les directeurs de prison avaient fait part de leurs inquiétudes en matière de surpopulation carcérale. 

Pour les courtes peines, mieux vaut privilégier les peines alternatives

"Pour les purger, pourquoi choisir la prison? On vient de voter un nouveau code pénal qui dit que la prison est la dernière des solutions, alors que les courtes peines doivent maintenant être purgées en prison... C’est un paradoxe", dénonce Marc Neve. Il ajoute: "Une peine de prison de quelque mois, ça signifie quoi? Vous perdez votre emploi, peut être votre logement aussi. Au niveau de la famille, si vous êtes incarcéré loin, ça peut être une séparation aussi. Pour l’environnement social et professionnel, c’est une rupture. Et pourquoi ne pas privilégier d’autres moyens que la prison? Quand on parle de courtes peines". 

Au lieu de "corriger" un individu, la prison va plutôt accentuer voire favoriser son insertion dans une culture déviante, d'après plusieurs études scientifiques sur le sujet. La prison ne remplit donc pas toujours son rôle de réhabilitation, au contraire, elle peut mettre le détenu dans un certain engrenage, mais aussi le "casser" psychologiquement. C'est pourquoi il faut privilégier les peines alternatives pour les courtes peines (entre 6 mois et 3 ans), d'après Marc Neve et Alain Grosjean, mais aussi de nombreuses études ou encore d'après le Conseil de l'Europe. D'autant que le lien entre prison et récidive a déjà été prouvé à maintes reprises par de nombreuses études. 

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Commentaires

3 commentaires

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  • Toute la question étant de déterminer qui est ou non réintégrable à la société... Sachant qu'une personne peut drastiquement changer en quelques années, ce n'est pas une décision à prendre à la légère.

    Thierry Frayer
  • Avant tout, il faut isoler les multirécidivistes et les cas dangereux, non réinsérables . Perdre du temps à tenter de les raisonner et les remettre en liberté, c'est mettre la société en danger.

    roger rabbit
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  • pour moi on en fait trop peu pour empêcher les futurs taulards d'arriver en taule !!

    paul leboulanger
     Répondre