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A Aix, le jeu de l'amour et du pouvoir revisité chez Mozart

Créé il y a plus de 230 ans, "Les noces de Figaro" de Mozart n'en finit pas d'être relu avec les yeux d'aujourd'hui, avec des questions plus que jamais d'actualité, du harcèlement à la sororité.

C'est avec une nouvelle production de ce célèbre opéra (1786) basé sur "Le Mariage de Figaro" de Beaumarchais que le Festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence inaugurera mercredi sa 73e édition, un an après une annulation due à la pandémie.

La mise en scène a été confiée à la Néerlandaise Lotte de Beer, qui dit s'être inspirée d'un dîner où elle a vu chaque invité discuter du mouvement #MeToo dans une ambiance survoltée et "depuis sa propre bulle". Elle décide alors de concevoir chaque scène de l'opéra selon le point de vue des différents personnages, une sorte de chassé-croisé entre regards masculin et féminin.

Sans être féministe avant l'heure, la comédie met les femmes au centre de l'action: Susanna, la camériste de la comtesse Almaviva, est promise au valet Figaro mais est harcelée par le comte... qui est toutefois jaloux des hommes susceptibles de séduire sa femme, comme le page Cherubino. Solidaires malgré leur différence de classe sociale, Susanna et la comtesse inventent des stratagèmes pour démasquer le comte.

"Ce qui m'intéresse, c'est la pertinence du traitement du personnage en fonction de notre époque. Cet opéra est évidemment du pain bénit pour parler de #MeToo", déclare la soprano Julie Fuchs, qui interprète Susanna et qui était interviewée par l'AFP avant le début des répétitions.

"Ce qu’on vit infuse en nous (...) On a besoin d'oeuvres artistiques qui parlent de ça, parce qu'il faut élever un peu le débat", que la soprano estime "nécessaire et parfois malmené".

Pour elle, le personnage de Susanna est le modèle de la femme qui "ne se laisse pas faire". "C'est elle qui manigance tout, l'air de rien. En plus, sa relation avec la comtesse, cette sororité, cette entraide, c'est hyper moderne", ajoute-t-elle.

- Rapports de force -

Si l'intrigue peut être interprétée comme une revanche des caractères féminins contre le pouvoir masculin, elle est moderne aussi grâce à Cherubino, un personnage d'homme mais traditionnellement interprété par une mezzo-soprano.

"Cherubino, c'est l'adolescence, la découverte de l'amour, du désir, c'est actuel, c'est humain et on passe tous par là, homme ou femme", affirme la Franco-Italienne Lea Desandre, qui interprète le rôle pour la première fois.

"C'est le personnage le plus universel de l'oeuvre car c'est un homme chanté par une femme; ça apporte cette dualité, on peut tous s'y reconnaître", indique la mezzo de 28 ans.

Dans le monde de l'opéra, les artistes semblent de plus en plus sensibles aux questions d'abus de pouvoir et de rapports de force, notamment avec les metteurs en scène, très influents.

"Il y a bien sûr des metteurs en scène qui abusent de leur pouvoir; moi j'ai toujours été face à des metteurs en scène extrêmement respectueux et intelligents", indique Julie Fuchs.

Elle raconte comment une fois, alors qu'elle préparait, enceinte, "Le Couronnement de Poppée" de Monteverdi, le metteur en scène Calixto Bieito lui a demandé si elle accepterait de montrer son ventre à la fin de l'opéra. "Son idée, magnifique, était que Néron avait peur de Poppée, parce qu'elle a la descendance dans son ventre. J'ai dit oui évidemment", dit-elle.

Autre exemple, quand elle interprétait le rôle de Pamina dans "La Flûte enchantée de Mozart" à l'Opéra de Paris. "Il y a une scène de viol et le chanteur m'a demandé +ça te dérange si je t'ouvre les jambes à ce moment-là?+. C'est important de mettre des mots dessus".

De même pour Lea Desandre, à qui une metteuse en scène a demandé une fois d'embrasser un chanteur. "J'ai trouvé que c'était quelque chose de fort; il fallait qu'on m'explique pourquoi; je ne vais pas le faire juste pour plaire au metteur en scène; c'est là notre marge de manoeuvre".

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