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Autrefois utilisé comme monnaie et symbole de richesse, le riz reste sacré au Japon mais il a perdu de sa superbe: les habitants en consomment de moins en moins et les paysans peinent à vivre de leur métier.
Kazuo Ogura, riziculteur de 66 ans, fait partie des chanceux. Il est à la tête d'une grande exploitation située dans la localité de Kazo, à quelque 50 km au nord de Tokyo. Il s'est associé à deux autres familles et règne sur une surface d'environ 100 hectares... près de 100 fois la taille moyenne.
La recette, dit-il: faire des économies d'échelle pour pouvoir survivre et proposer "de la nourriture de qualité à un prix raisonnable".
Quand tant d'autres agriculteurs voient disparaître leur ferme au moment du départ à la retraite, lui peut compter sur son fils de 38 ans, Yuichi.
Il le regarde avec fierté piloter une machine qui repique le riz, à travers des plantations s'étendant à perte de vue.
"J'étais le seul sur 220 élèves de mon école à m'orienter vers l'agriculture", raconte Yuichi. "Il n'y a pas beaucoup de jeunes intéressés", regrette le trentenaire, alors que la moyenne d'âge des riziculteurs est de 67 ans au Japon.
- Quotas et taxes douanières -
Le secteur est-il condamné à lentement disparaître? Il doit en tout cas se moderniser, argue le gouvernement de Shinzo Abe, qui a engagé une lente et difficile réforme pour le préparer à affronter la concurrence étrangère frappant à la porte.
Il a ainsi décidé d'abolir cette année un système de quotas mis en place dans les années 1970 pour protéger cet ingrédient vénéré au point d'être utilisé dans certains rites shintoïstes.
Jusqu'à présent, l'État subventionnait les riziculteurs qui acceptaient de limiter leur production en-dessous d'un certain seuil, afin d'éviter la surabondance d'offre et donc de stabiliser les prix.
Cette politique de contrôle appelée "gentan" a cependant contribué à faire de la riziculture une profession peu rentable, dont il est impossible de vivre. Parmi les 705.000 riziculteurs de l'archipel, quasiment 8 sur 10 le sont à temps partiel.
M. Abe n'a en revanche pas osé toucher à la délicate question des taxes douanières très élevées sur le riz (plus de 700%). Il a défendu leur maintien dans le cadre des négociations commerciales, qu'il s'agisse du pacte de libre-échange transpacifique signé par 11 pays de la région Asie-Pacifique (TPP) ou encore de l'accord conclu avec l'Union européenne (Jefta).
Mais la donne risque d'être différente face aux États-Unis, et les experts jugent que le Japon pourrait être obligé de faire des concessions sur les produits agricoles pour éviter de dangereuses taxes sur l'automobile.
- "Pas brillant" -
L'agriculture est "à un tournant", selon les propos de Ken Saito, ministre de l'Agriculture jusqu'à un récent remaniement. "Plus que jamais, les agriculteurs doivent se mettre au diapason du marché."
Il existe des centaines de variétés de riz japonais, un riz court, rond et collant une fois cuit. La famille Ogura est spécialisée dans le riz Koshihikari, qu'elle vend 300 yens (2,3 euros) le kilogramme.
Mais la consommation de riz a fondu de moitié ces 50 dernières années au Japon: elle est tombée à 54,6 kg par personne en 2015, à comparer à un pic de 118,3 kg en 1963, d'après les chiffres du ministère de l'Agriculture.
"L'avenir n'est pas brillant", estime Mitsuyoshi Ando, expert du secteur à l'Université de Tokyo. "Il faut que les agriculteurs améliorent leur compétitivité, notamment en produisant à grande échelle", un pari impossible cependant dans les régions montagneuses où ont lieu 40% des récoltes.
Dans tous les cas, "le nombre de ceux qui pourront survivre (en tant que riziculteurs) sera limité car la consommation de riz ne remontera jamais" alors que les goûts s'occidentalisent, prédit-il.
Mais Kazuo Ogura n'est pas de cet avis. "Le Japon est un pays fait pour l'agriculture. Il pleut modérément, les températures changent au gré des différentes saisons", dit-il. Et "la cuisine traditionnelle japonaise est réputée dans le monde entier. Nous pouvons en tirer profit."