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Andrei Kourkov: il est "immoral" de défendre le russe en Ukraine

L'Ukrainien Andreï Kourkov, l'un des plus populaires écrivains de langue russe en Europe, soutient l'ukrainisation de son pays et estime qu'il est "immoral" de défendre le russe dans le contexte de guerre avec Moscou.

Ce polyglotte, qui parle au quotidien le russe comme bon nombre d'Ukrainiens, approuve la loi qui oblige tous les médias enregistrés en Ukraine à publier en ukrainien et la disparition de la langue et la littérature russe des programmes scolaires.

Et ce au moment où, en Russie, l'argument de la "discrimination" des russophones est utilisé par Vladimir Poutine comme un prétexte pour envahir l'Ukraine.

"Dans le contexte de nos relations actuelles avec la Russie, il est immoral de parler de la place privilégiée de la langue russe", lance Andreï Kourkov, 60 ans, dans un entretien à l'AFP, en russe.

L'auteur, dont les romans sont traduits en plus de 30 langues et font partie du top 10 des best-sellers européens, parle couramment l'ukrainien sans accent et a même écrit en ukrainien. Mais il ne considère que le russe comme sa langue natale.

- Finie la mentalité soviétique -

L'ONG Human Rights Watch se demande si la loi ukrainienne donne "des garanties suffisantes" pour le russe, et la Commission de Venise, le principal organe consultatif du Conseil de l'Europe, s'inquiète de la sauvegarde des droits des minorités face à la promotion de la langue ukrainienne.

"La politique linguistique ferme se justifie. Personne ne m'interdit de parler le russe. Cela ne me crée pas de problèmes", déclare l'écrivain.

Les traductions en ukrainien de ses romans ne sont pas très littéraires, mais cela ne le "dérange pas": les livres se vendent mieux en ukrainien et c'est une garantie qu'ils arriveront dans les bibliothèques auxquelles l'Etat n'octroie pas de budget pour l'achat d'oeuvres en russe.

Il trouve aussi naturel qu'on n'apprenne plus le russe dans les écoles et que "la prochaine génération d'Ukrainiens seront bilingues, mais ne sauront pas écrire en russe".

"La langue russe est un élément politique. Et ce n'est pas de la faute de l'Ukraine, c'est de la faute de la Russie", dit-il.

"La russification de l'Ukraine a duré pendant 70 ans. On assiste au retour de l'ukrainien sur ses territoires, un processus qui peut prendre 50 à 100 ans", estime l'écrivain.

Le retour de la langue entraîne pour lui le retour à la "mentalité individualiste ukrainienne" qui prend ses racines au 16ème siècle chez les Cosaques zaporogues, dotés d'un gouvernement parlementaire et qui ont défié aussi bien les tsars russes que les khans de Crimée.

"La mentalité collective" apportée par l'Empire russe et l'Union soviétique "n'est pas propre" aux Ukrainiens, estime l'écrivain.

"Les Russes aiment le tsar, le système à un parti unique comme à l'époque soviétique ou avec Russie unie (le parti russe au pouvoir, ndlr) actuellement. En Ukraine, il y a 400 partis politiques enregistrés. Chaque Ukrainien veut fonder son propre parti, parce qu'il n'est pas d'accord avec les autres".

- "Ni psychose, ni panique" -

Andreï Kourkov écrit actuellement un troisième volet de sa saga policière historique sur la vie à Kiev en 1919, période pendant laquelle l'Ukraine fut un Etat indépendant pendant quelques mois après la révolution bolchévique.

Aujourd'hui à Kiev, il ne croit pas que "l'indépendance puisse prendre fin". "La guerre peut avoir lieu, mais pas la perte totale de l'indépendance".

Son dernier roman paru en français, "Les abeilles grises" parle du conflit dans l'Est de l'Ukraine qui dure depuis 2014 entre Kiev et les séparatistes prorusses soutenus par Moscou. Il raconte l'histoire d'un apiculteur piégé dans la zone grise, d'où il veut évacuer ses abeilles.

Face à la menace d'une invasion russe, "il n'y a ni psychose, ni panique, tout le monde vit tranquillement, il y a une sorte de protection psychologique", analyse Andreï Kourkov.

"Le vrai choc, c'était en mars 2014, quand toute l'Ukraine a observé la séance du Parlement russe qui votait massivement l'autorisation pour l'armée russe de faire la guerre sur des territoires étrangers', dit-il. "Aujourd'hui, les gens se sont habitués au fait que la guerre continue".

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