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Au Nicaragua, malgré le Covid-19, le gouvernement pousse à célébrer Pâques dans la rue

Sans protections, ils s'agglutinent, courent et crient costumés. Des centaines de Nicaraguayens traînent dans les rues de Masatepe des "Judas" enchaînés, une tradition de la Semaine Sainte encouragée par le gouvernement de Daniel Ortega malgré la décision de l'église de suspendre les célébrations pour contenir la propagation du Covid-19.

"Cette pandémie est dangereuse mais nous faisons ça par tradition", malgré le refus de l'église de participer, déclare à l'AFP Pedro Moraga durant la procession connue sous le nom de "Judea de Masatepe", ville située au sud de la capitale Managua.

Un autre fidèle, Elian Velazquez, dit participer à ce défilé qui commémore la crucifixion du Christ pour que la tradition "ne se perde pas".

Chaque Vendredi Saint, des centaines de Nicaraguayens défilent dans des costumes colorés, certains capturant des "Judas" pour les traîner ensuite enchaînés dans les rues.

Un peu plus loin, un homme grimé en Jésus porte une énorme croix, entouré de ses bourreaux.

D'autres habitants préfèrent rester confinés chez eux et observent de loin la célébration par crainte du nouveau coronavirus, qui a fait à ce jour plus de 107.000 morts dans le monde depuis son apparition en décembre en Chine, selon un bilan établi par l'AFP à partir de sources officielles.

Ils se méfient également des chiffres officiels du gouvernement nicaraguayen, qui ne fait état que de neuf cas dont un mort.

Pour le père Edwin Roman de l'église de San Miguel de Masaya, le gouvernement encourage ces activités "pour faire savoir que tout est normal" dans le pays, déclare-t-il à l'AFP.

Outre la procession, les autorités nicaraguayennes défient la crise sanitaire mondiale et les recommandations de l'Organisation mondiale de la santé pour limiter la propagation du nouveau coronavirus en soutenant la tenue, ces dernières semaines, de concours de beauté, de gastronomie, de concerts et autres foires.

- "Foi imprudente" -

"Le manque de distanciation sociale nous inquiète ainsi que l'appel à participer à des réunions. La (capacité à réaliser des) tests, la traçabilité des contacts et le signalement des cas nous inquiète" aussi, a déclaré mardi Carissa Etienne, directrice de l'Organisation panaméricaine de la santé, à propos de la situation au Nicaragua, rappelant à l'ordre les autorités.

Mais la vice-présidente et première dame Rosario Murillo a assuré lors de son intervention quotidienne dans les médias d'Etat que le Nicaragua "vit des jours tranquilles" et célèbre "le sacrifice de Jésus-Christ qui a lutté pour la justice".

"Une authentique piété populaire ne doit pas ignorer le sens commun, la prudence et la raison", a prévenu l'archevêque de Managua, le cardinal Leopoldo Brenes, en annonçant la fermeture des églises. "Nous ne devons pas nous exposer à la contagion et défier la pandémie avec une foi imprudente et irrationnelle".

Ces positions radicalement opposées sur le Covid-19 soulignent les tensions entre le gouvernement de Daniel Ortega, à la tête du pays depuis 2007, et l'église catholique dans la foulée de la vague de manifestations antigouvernementales de 2018.

Le Nicaragua connaît depuis une grave crise politique.

Les opposants accusent l'ex-guérillero sandiniste d'avoir instauré une dictature, réclamant son départ et celui de son épouse. Le chef de l'Etat dénonce de son côté une tentative de putsch de l'opposition avec le soutien de l'Eglise et de Washington. La crise a fait plus de 328 morts et des centaines d'opposants ont été emprisonnés.

"Ils (le gouvernement) tiennent ce discours religieux non pas par respect pour le peuple mais pour utiliser cette fibre là dans le but de s'accrocher au pouvoir", a déclaré Abelardo Mata, secrétaire de la conférence épiscopale très critique du pouvoir en place, à l'AFP.

Mais le "vrai croyant connait ces astuces politiques et n'approuve pas ces abus du pouvoir", a-t-il ajouté.

Reste que Daniel Ortega n'est pas apparu en public depuis un mois.

"Ortega est paralysé, réfugié chez lui, par son inaptitude et son mépris de la vie des gens en encourageant les grandes manifestations", a tweeté l'analyste Oscar Vargas.

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