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Des barmen, une danseuse, un sculpteur: privée de sa main d’œuvre étrangère habituelle avec la fermeture des frontières, une petite exploitation installée au pied du Mont Ventoux a recruté des saisonniers aux profils inhabituels. Une expérience concluante pourtant exceptionnelle dans cette région agricole.
Avec l'épidémie de coronavirus, la famille espagnole qui chaque année vient s'occuper des vignes ainsi que des cultures de tomates, courgettes ou autres haricots à la ferme du Sublon dans le Vaucluse, n'a pas pu franchir la frontière.
Alors Rémi Chauvet, qui s'occupe avec son père Jean-Louis de l'exploitation familiale installée à la sortie du village de Malaucène, a sauté le pas pour recruter en France.
"On n'avait pas d'autre choix donc on a recruté dans notre entourage et diffusé une annonce sur Facebook", explique Rémi. Sa publication partagée plus de 2.000 fois a suscité une poignée d'appels.
Depuis la fin mars, une dizaine de travailleurs se sont ainsi relayés pour aider cette famille d'agriculteurs qui a accueilli "sans a priori" ces néo-ruraux comme Clarisse Brillouet, danseuse à Paris, interdite de spectacle à cause de l'épidémie de coronavirus.
"Au début, je disais que j'étais danseuse puis j'ai senti que l'image de l'artiste ne jouait peut-être pas en ma faveur, alors j'ai plutôt mis en avant mes études d'agronomie", reconnaît le sourire en coin, Clarisse.
"Passionnée" par le milieu de l'agriculture, la svelte jeune femme a postulé sans succès sur différentes plateformes de recherche d'emploi avant de trouver sa place à la ferme du Sublon.
"Etre danseuse m'aide au sens où j'ai le goût de l'effort et j'ai développé une certaine musculature notamment du dos", explique-t-elle.
Cédric Barnier et son associé, propriétaires d'un bar-brasserie dans ce village d'habitude fréquenté par des cyclistes internationaux amateurs de l'ascension du Ventoux, ont troqué leurs décapsuleurs contre des sécateurs pour un salaire payé au Smic, bienvenu avec la fermeture de leur établissement.
"Quand vous rentrez le soir à la maison, vous vous levez les trois premiers jours en découvrant de nouveaux muscles", lance amusé Cédric pourtant habitué à enchaîner des journées longues parfois de 14 heures.
"Ca reste un travail assez pénible. Vous avez le soleil qui vous tape dessus toute la journée...", raconte le barman.
- "Pas la condition physique" -
Dans le Vaucluse, troisième département français employeur de main-d’œuvre agricole avec quelque 30.300 salariés, pour beaucoup venant de l'étranger (Espagnols, Equatoriens, Marocains, Polonais), le bilan de la plateforme "des bras pour ton assiette" lancée mi-mars par le ministère de l'Agriculture pour compenser l'absence des saisonniers d'autres pays, est décevant.
Quelque 5.400 profils de candidats ont été créés pour seulement 50 missions réalisées, selon l'Association départementale pour l'emploi agricole (ADPEA).
"Pour certains, ils n'avaient pas du tout appréhendé le travail en agriculture. Certains n'avaient pas la condition physique pour pouvoir assumer le poste au quotidien sur une période un peu longue", explique Christelle Barthelemy, chargée de mission en ressources humaines à l'ADPEA.
Nombre d'agriculteurs ont aussi préféré attendre les ouvertures des frontières et certains travailleurs ont pu entrer d'Espagne bien avant l'heure, confirment plusieurs sources sous couvert d'anonymat.
"Je comprends que les agriculteurs aient certaines réticences, beaucoup de gens se font une fausse idée de ce travail et pour eux c'est une épine dans le pied", partage Clarisse. Un homme de 55 ans sculpteur de profession a abandonné au bout de quelques jours trouvant le travail trop difficile.
"A chaque fois qu'on fait une bourde, ce sont des euros qui partent, surtout que certains agriculteurs ne se payent rien. Un plan de tomates en moins, c'est une perte énorme", souligne la danseuse.
Rémi Chauvet le reconnaît, ces nouveaux saisonniers sont "moins efficaces, mais très motivés".
En septembre, les Chauvet espèrent toutefois pouvoir à nouveau compter sur la famille espagnole notamment pour les vendanges.
"Cette année, on s'en est sorti. Mais il ne faudra pas que ça se reproduise toute les années", admet Jean-Louis Chauvet qui pointe "le problème" de la formation qu'il a fallu répéter auprès de chaque nouvel arrivant.