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"Il ne valait rien": le fondateur de la revue médicale Prescrire, première lanceuse d'alerte dans l'affaire du Mediator, a dénoncé mercredi à Paris "le bluff" et "l'enfumage" des laboratoires Servier pour promouvoir ce médicament "inefficace" et tenu pour responsable de centaines de morts.
"J'ai une indépendance totale depuis le début de mon existence": dès ses premiers mots, Gilles Bardelay, 72 ans, médecin généraliste retraité, déclenche de petits sourires dans la salle du tribunal correctionnel, qui juge depuis le 23 septembre le groupe Servier et l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
"Personne n'est neutre, mais on choisit son camp: l'intérêt du malade ou l'intérêt exclusif des laboratoires. Je suis dans le camp de la qualité des soins", nuancera plus tard ce "vieux gauchiste", quand il est interrogé par la défense sur son engagement au sein d'un syndicat ayant appelé au "boycott des visiteurs médicaux".
Dès février 1977, Gilles Bardelay et sa femme pharmacienne Danielle mettaient "sur la sellette" un tout nouveau médicament appelé Mediator dans la revue "Pratiques, les cahiers de la médecine utopique", ancêtre de la revue "Prescrire" née en janvier 1981 et diffusée auprès des praticiens.
"C'était quoi le Mediator", un médicament pour traiter le diabète comme le vendait Servier ou un anorexigène, lance le volubile témoin à la chevelure blanche comme neige. "Il suffisait de regarder la chimie, c'est un dérivé de l'amphétamine", mais avec "des indications farfelues", souligne-t-il.
- "Grand illusionniste" -
Le Mediator est mentionné la première fois en 1986 dans la revue Prescrire, et dix ans après le début de sa commercialisation, "il n'y a toujours pas de preuves qu'il est utile dans le traitement du diabète", estime M. Bardelay.
En 1997, la revue médicale évoque pour la première fois les effets indésirables sous anorexigènes et attire l'attention sur le Mediator, vendu comme antidiabétique mais largement prescrit comme coupe-faim. D'autres alertes suivront régulièrement dans les années 2000, jusqu'au retrait du médicament le 30 novembre 2009.
"Toute personne qui voulait vraiment savoir ce qu'était le Mediator pouvait le savoir", en "grattant un peu", affirme Gilles Bardelay, qui ajoute: "Il ne valait rien et faisait prendre des risques".
"Quand un médicament n'est pas indispensable et qu'il commence à faire des effets indésirables, on le retire", martèle l'ancien médecin, critique envers les autorités de santé, les médecins ayant prescrit le Mediator "qui méritent des coups de pied au cul" et virulent contre les laboratoires, qui ont toujours nié que c'était un anorexigène.
Face au tribunal obligé de le recadrer quand il s'égare, Gilles Bardelay décrit "la méthode Servier", faite selon lui de "falsification ou demi-vérité ou mensonge par omission".
Cette méthode, accuse M. Bardelay qui a par le passé dépeint en Servier un "grand illusionniste", c'est "d'essayer d'orienter la pensée du prescripteur par un mirage biologique". "Tous les médicaments de Servier, tous, tous, ne sont jamais positionnés dans leur famille pharmacologique ou chimique", assène-t-il.
Le Mediator, c'est finalement pour ce lanceur d'alerte "un record de longévité, avec du bluff sur les indications thérapeutiques, du bluff sur son utilité", de "l'enfumage".
"Pour nous, il y a d'abord la responsabilité d'une firme pharmaceutique", mais aussi "l'insuffisance, la défaillance de l'Agence du médicament, qui a mis beaucoup de temps à tenir compte de la réalité de son dossier", résume de son côté l'actuel directeur de Prescrire, Bruno Toussaint.
C'est en lisant un article de cette revue que la pneumologue Irène Frachon avait commencé à faire un lien entre le Mediator et des valvulopathies constatées chez des patients du CHU de Brest. Elle avait révélé publiquement le scandale en 2010 et doit être entendue le 16 octobre.
Au total, onze personnes morales et douze personnes physiques doivent comparaître jusqu'à fin avril 2020.
Les laboratoires Servier sont notamment jugés pour "obtention indue d'autorisation de mise sur le marché", "tromperie aggravée", "escroquerie" et "homicides et blessures involontaires", une dernière qualification également retenue contre l'Agence du médicament, poursuivie pour avoir tardé à suspendre le Mediator.