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La Cour suprême birmane a rejeté mardi le recours de deux journalistes de Reuters condamnés à sept ans de prison après avoir enquêté sur un massacre de Rohingyas, une décision qui pourrait encore attiser les tensions avec la communauté internationale alors que le travail des deux reporters est récompensé à travers le monde.
"Notre appel a été rejeté", a déclaré à l'AFP Khin Maung Zaw, l'un des avocats des journalistes qui n'étaient pas présents à l'audience.
En prison depuis seize mois, Wa Lone, 33 ans, et Kyaw Soe Oo, 29 ans, peuvent en théorie déposer deux autres recours devant la Cour suprême, plus haute juridiction du pays. Mais il n'est pas certain qu'ils le fassent, préférant peut-être s'en remettre à une éventuelle grâce présidentielle, d'après une source proche du dossier.
Leur enquête leur a valu la semaine dernière le prix Pulitzer, plus haute récompense du journalisme aux Etats-Unis. Ils ont également été distingués par l’Unesco, qui leur attribuera le 2 mai le Prix mondial de la liberté de la presse, et ont été désignés, aux côtés de plusieurs confrères, personnalités de l'année 2018 par le magazine Time.
"Nous espérions tant que nos maris soient libérés", a soupiré Chit Su Win, l'épouse de Kyaw Soe Oo, en retenant ses larmes.
Le responsable des Nations unies en Birmanie, Knut Ostby, s’est de son côté dit déçu: "les Nations unies continueront à réclamer le respect total de la liberté de la presse et des droits de l’homme (…) Wa Lone et Kyaw Soe Oo devraient être autorisés à retourner auprès de leur famille et à continuer d’exercer leur métier de journaliste".
Wa Lone et Kyaw Soe Oo ont été condamnés pour avoir enfreint la loi sur les secrets d'Etat qui date de l'époque coloniale.
Ils sont accusés de s'être procuré des documents classifiés relatifs aux opérations des forces de sécurité birmanes dans l'Etat Rakhine, région du nord-ouest de la Birmanie et théâtre des exactions à l'encontre de la minorité musulmane rohingya.
Au moment de leur arrestation, en décembre 2017, ils enquêtaient sur un massacre de Rohingyas à Inn Din, un village du nord de l'Etat Rakhine.
Depuis, l'armée a reconnu que des exactions avaient bien eu lieu trois mois plus tôt et sept militaires ont été condamnés à dix ans de prison.
- "Machination" -
Les deux reporters ont toujours assuré avoir été trompés. Et l'un des policiers qui a témoigné dans ce dossier a reconnu que le rendez-vous au cours duquel les documents classifiés leur avaient été remis était un "piège" destiné à les empêcher de poursuivre leur travail.
"Wa Lone et Kyaw Soe Oo n'ont commis aucun crime et rien ne vient prouver qu'ils en aient commis un", a souligné mardi Gail Gove, l'un des avocats de Reuters.
"Ils ont été victimes d'une machination de la police destinée à les punir" pour leur enquête, a-t-il ajouté.
Cette affaire continue de soulever un tollé international, l'ambassadeur des Etats-Unis en Birmanie dénonçant "une intolérance grandissante envers la liberté d'expression dans le pays".
"Au cours des dernières semaines, nous avons assisté à une augmentation inquiétante du nombre de personnes arrêtées pour des accusations d’ordre politique, la plupart d’entre elles pour avoir critiqué l’armée", s'est inquiété Nicholas Bequelin, directeur régional d'Anmesty International.
"Le fait qu’ils soient toujours en prison montre à quel point la démocratie birmane sous Aung San Suu Kyi va mal", a renchéri Phil Robertson chez Human Rights Watch.
De nombreux défenseurs des droits de l'homme exhortent la prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, chef de facto du gouvernement birman, à user de son influence pour que les deux journalistes obtiennent une grâce présidentielle.
Mais elle a jusqu'à présent refusé d'intervenir, invoquant l’indépendance de la justice.
Déjà très critiquée pour ses silences sur le drame rohingya, elle a même justifié l'emprisonnement des deux hommes non "pas parce que c'étaient des journalistes" mais "parce qu'ils avaient enfreint" la loi.