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Vêtu de blanc, il traverse la scène les bras au ciel, jubilant déjà du spectacle endiablé que s'apprête à donner sa troupe: Zé Celso, figure historique du théâtre au Brésil, croit toujours, à 82 ans, aux saines vertus de l'insurrection.
Celui qui a fondé il y a 61 ans Teatro Oficina, compagnie iconique de la contre-culture des années sombres de la dictature militaire (1964-1985), tient le cap malgré les années. Tout comme sa troupe, résiliente dans les tempêtes.
Pour présenter à Rio "Roda Viva", pièce écrite en 1968 par un très jeune Chico Buarque où se mêlent danse, chant, musique, théâtre et vidéo, les quelque 60 artistes ont dû trouver des autobus pour les transporter gratuitement depuis leur base de Sao Paulo, des amis pour les héberger et le public pour du "crowdfunding".
Depuis les débuts "on a eu 1.000 problèmes, mais l'important c'est de résister", dit José Celso Martinez Corrêa, alias Zé Celso, dans une interview à l'AFP. "J'ai l'insurrection dans la peau".
En 1968, "la milice du Commando de la chasse aux communistes a mené une opération policière" contre "Roda Viva", "elle a envahi le théâtre, détruit tout ce qu'elle a pu, et est allée jusqu'aux loges pour battre les comédiennes", se souvient le metteur en scène.
Aujourd'hui, "on n'a aucun soutien du gouvernement, notre situation financière est précaire, et on lutte depuis 40 ans" contre un projet immobilier.
Silvio Santos, patron de la télévision SBT, menace d'étouffer avec de grands immeubles le site protégé occupé par le théâtre, dans le mythique espace de l'architecte Lina Bo Bardi.
"J'ai 82 ans, j'ai été torturé sous la dictature militaire puis exilé", dit Zé, "mais ce que nous vivons actuellement est bien pire: je n'ai jamais vu autant d'ignorance et de haine".
Teatro Oficina a été épargné par la censure et les pressions qui frappent la culture depuis l'arrivée au pouvoir en janvier du gouvernement d'extrême droite de Jair Bolsonaro. "Roda Viva" vient de tenir l'affiche près d'un an à Sao Paulo.
- Bolsonaro en Hitler -
"En réaction (à Bolsonaro), la culture est très forte", dit Zé Celso, "les théâtres sont pleins, les artistes vibrants. Toute la culture est insurgée au Brésil!"
"Roda Viva" est une "tragi-comédie orgiaque", burlesque, anarchiste, acide et sarcastique, qui conte sur un rythme frénétique les aventures du chanteur populaire Benedito Silva.
Benedito devient Ben Silver, un héros pop, avant de se métamorphoser en Benedito Lampiao -- nom d'un insurgé mythique de l'Histoire brésilienne -- sous le diktat du show business.
Totalement ancré dans l'actualité politique, "Roda Viva" version 2019 dénonce avec férocité un Bolsonaro à la mèche et à la moustache hitlériennes, qui déclare sa flamme à Donald Trump, et dont les apparitions sur de grands écrans vidéo provoquent les huées du public.
Un public qui est prié par les artistes, de manière parfois pressante, de participer et d'applaudir l'ex-président de gauche Lula. Les danseurs escaladent les rangées de sièges, l'excentrique Zé Celso s'allonge sur les genoux de trois spectateurs. Et à la fin, artistes et spectateurs dansent tous ensemble sur scène.
Pour Zé "tout est sexuel" et les scènes de viol ou d'orgie sont crues. Ce sont des acteurs totalement nus qui parcourent à un moment les travées.
- Farce amère -
Sur le fond, tout y passe: les incendies en Amazonie, les soupçons de corruption de Flavio Bolsonaro, fils du président, les mantras de son "gourou" Olavo de Carvalho, l'invasion des terres indigènes, les sermons d'évangéliques hystériques.
La libéralisation du port d'armes est une farce amère, TV Globo et TV Record font du lavage de cerveaux et la ministre de l'Agriculture Tereza Cristina pulvérise le public de "pesticide".
Les artistes déclament la rhétorique bolsonariste: "120% du monde dit du bien du Brésil" ou "les incendies en Amazonie font partie de la culture".
"La charge politique de la pièce est très forte", confirme Zé Celso, tout en réfutant tout "manichéisme".
"J'ai la foi dans la force humaine qui va se mobiliser et commencer à apparaître dans les rues. J'ai l'impression que c'est pour bientôt", dit l'homme de théâtre à la fin de l'entretien.
Sur cette prédiction, il se lève sans prévenir et lance un tonitruant: "Merde!".
La pièce va commencer.