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Bruxelles entame jeudi un bras de fer avec la coalition populiste au pouvoir en Italie, en réclamant officiellement des "clarifications" sur son budget 2019, qui sort largement des clous européens.
Les autres pays de la zone euro, soumis aux mêmes règles budgétaires, observeront de près les échanges entre Rome et la Commission, mise au défi par le gouvernement italien, formé de la Ligue (extrême droite) et du Mouvement 5 étoiles (M5S, antisystème).
Le commissaire aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, remettra jeudi en mains propres au ministre italien des Finances, Giovanni Tria, une lettre de clarifications, selon l'exécutif européen.
Les deux responsables donneront ensuite une conférence de presse commune à Rome en fin d'après-midi.
"Nous savions que ce budget, pensé pour satisfaire les exigences des citoyens italiens, longtemps ignorées, n'était pas conforme aux attentes de la Commission européenne. Nous nous attendions donc à des observations et des remarques, qui sont sur le point d'arriver et auxquelles nous sommes prêts à répondre", a indiqué le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, sur Facebook.
Evoquant un échange "normal" entre la Commission et les Etats membres, il a souligné que l'Italie ne serait pas la seule à recevoir une lettre, évoquant "probablement l'Espagne, la France, le Portugal". Ce devrait être aussi le cas de la Belgique.
"Ceci ne peut nous préoccuper" parce que ce budget est "bien pensé, bien construit et bien réalisé", a-t-il dit, ajoutant: "le dialogue ne nous effraie pas à condition qu'il soit constructif et utile, et sans préjugés".
La veille, il avait prévenu qu'il n'existait pas de marge pour modifier le budget.
M. Conte, qui a participé jeudi au sommet européen à Bruxelles, a multiplié les rencontres bilatérales. Angela Merkel "a été très intéressée par nos réformes structurelles", a-t-il affirmé.
"J'ai exprimé les préoccupations des Pays-Bas", a pour sa part twitté le Premier ministre néerlandais Mark Rutte après son entretien avec l'Italien, exprimant son "soutien total à la Commission".
Comme l'ensemble des pays de la zone euro, l'Italie a envoyé lundi son projet de budget 2019 à l'exécutif européen.
La trajectoire budgétaire présentée, avec un déficit public à 2,4% du produit intérieur brut (PIB), est très éloignée des 0,8% promis par le précédent gouvernement de centre gauche.
- 'Tactique électorale' -
Rome entend donner un coup de fouet à la croissance via une demande plus forte et davantage d'investissements. Parmi ses mesures phares: un départ en retraite facilité et un revenu de citoyenneté pour les plus modestes.
Mais ce budget inquiète car Rome affiche, après la Grèce, le ratio d'endettement (131% du PIB) le plus élevé de la zone euro.
Sur les marchés, le spread, l'écart très surveillé entre les taux à dix ans allemand et italien, grimpait à 317 points, témoignant d'une certaine nervosité.
Si Rome ne modifie pas son budget, la Commission pourrait, d'ici la fin du mois, le rejeter, un cas de figure qui ne s'est encore jamais produit dans l'histoire de l'Union européenne.
"Si nous acceptions tout ce que (l'Italie) nous propose, nous aurions des contre-réactions virulentes dans d'autres pays de la zone euro", a expliqué mardi le président de la Commission, Jean-Claude Juncker.
Mais le vice-Premier ministre italien Matteo Salvini a martelé que Rome ne modifierait pas sa copie.
"Nous sommes responsables devant 60 millions d'Italiens, pas devant eux. Le budget ne changera pas d'une virgule. Mais qu'ils ne se permettent pas d'envoyer troïka ou commissaires", a-t-il lancé.
Giovanni Tria, un modéré, a lui souligné que "la stratégie expansive" à la base du budget n'était "pas téméraire" et "ne mettait pas en danger la tenue des comptes publics".
"Il y a une espèce de scénarisation par le gouvernement italien d'une confrontation avec Bruxelles qui est à l'évidence une tactique électorale", avant les élections européennes de mai, a estimé Nicolas Véron, économiste aux instituts Bruegel à Bruxelles et Peterson aux Etats-Unis, dans un entretien avec l'AFP.
La coalition est actuellement au plus haut dans les sondages. La Ligue de M. Salvini est créditée de 30,5% à 33,8% des intentions de vote, contre 17% lors des élections de mars, et le M5S de Luigi di Maio de 28% à 30%, contre 32,7% en mars.