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Réchauffement, montée des eaux, catastrophes annoncées, collapsologie. L'avalanche de nouvelles angoissantes liées au climat déclenche de plus en plus souvent une "éco-anxiété", qui peut toutefois se révéler un moteur d'action, selon des spécialistes.
Exemple sans doute le plus flagrant, Greta Thunberg, symbole d'une jeunesse engagée et qui explique avoir traversé à 11 ans une période de dépression qui avait "beaucoup à voir avec la situation de l'environnement", avant de décider de "faire quelque chose de bien de [sa] vie au lieu de rester assise à [se] désespérer".
L'angoisse liée au changement climatique n'est pas quelque chose de nouveau. Dès 2005, le philosophe et activiste australien Glenn Albrecht forge le concept de "solastalgie", la douleur de l'absence de réconfort. Puis viennent "l'éco-anxiété", et même le "deuil écologique", étudié chez certaines populations particulièrement exposées, des Inuits aux fermiers australiens. L'American Psychological Association dispose d'un groupe de travail spécial sur les questions environnementales et les études se multiplient dans les revues spécialisées.
Et plus la thématique du réchauffement monte dans le débat global, plus "l'éco-anxiété" s'invite chez les psys.
"C'est un sujet un peu épidémique. Et il y a un impact fort, un effet à la fois individuel et social", analyse Antoine Pelissolo, chef du service psychiatrie à l'hôpital Henri Mondor à Créteil, qui entend de plus en plus ces préoccupations en consultation.
Avec comme particularités fortes, un ancrage dans le réel doublé d'une part d'inconnu. "On a conscience de quelque chose qui va arriver" mais sans échelle temporelle très claire dans un domaine où "tout évolue très vite", les connaissances comme les effets perceptibles du changement climatique.
Il entend souvent "du désespoir au début: qu'est ce que je peux faire?" Et "une forme de culpabilité" souvent aussi. D'autant qu'il y a dans le débat public "des discours volontairement dramatisants". Mais la prise de conscience même de l'angoisse peut être un déclic. "Il y a le temps du choc, puis peut venir le temps de la construction".
- Qu'est-ce qu'on fait ? -
"L'éco-anxiété" peut ainsi se transformer en moteur. "C'est normal, c'est sain" de s'inquiéter pour l'avenir de la planète, relève ainsi dans une vidéo postée en janvier Ali Mattu, psychiatre et enseignant à l'université de Columbia (New York). "Ce qu'il faut savoir, c'est : +qu'est-ce qu'on fait?+ Nous voulons que les gens s'inquiètent, pour qu'ils se préparent et agissent", poursuit le praticien, qui anime la chaîne YouTube "Psych Show".
"Si vous regardez les faits scientifiques, vous allez avoir peur. On ne veut pas que les gens pensent que c'est un trouble mental, en fait c'est l'inverse, c'est une réaction saine," abonde Caroline Hickman, psychothérapeute et chercheuse à l'université de Bath (Grande-Bretagne), membre du réseau "Climate psychology alliance". "Je m'inquièterais plutôt pour les gens qui ne se sentent pas angoissés".
Justine Davasse, très consciente des enjeux, "faisait tout bien". Étudiante à Orléans, la jeune femme s'était lancée dans une démarche zéro déchet, "convaincue qu'à l'échelle individuelle on pouvait changer quelque chose". Et puis, au bout de quelques années, elle a ressenti "une fatigue, une désillusion". "Je suis bien gentille avec mon zéro déchet, mais est-ce que ça ferme des usines qui polluent?"
Une crise d'éco-anxiété, sur laquelle elle n'a pu mettre un nom qu'un peu plus tard, lors d'un voyage dans les pays nordiques. Et à l'automne 2018, elle a créé un groupe Facebook, "Transition écologique et éco-anxiété", fort aujourd'hui de plus de 750 membres.
"Il faut un espace pour en parler, on se dit : +Tiens, je ne suis pas seul+. Les gens sont souvent curieux de voir comment ça se manifeste chez d'autres, c'est très sain d'échanger". Aujourd'hui, son éco-anxiété semble "globalement apaisée". Et la jeune trentenaire est consultante en entreprise... sur le zéro déchet.