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"C'est terrible l'isolement": les résidents d'un Ehpad en Seine-Saint-Denis, auparavant confinés dans leurs chambres, profitent d'une liberté retrouvée mais encore restreinte, sous la "vigilance" des soignants qui se méfient d'une deuxième vague épidémique.
"Donnez-moi le nom d'un animal qui commence par la lettre J !", lance aux cinq participants d'un atelier mémoire Essy Heurteux, animatrice aux tresses brunes qui encadrent son visage masqué.
Loto, jeux de société et promenade dans le jardin: la plupart des activités de l'Ehpad Camille-Saint-Saëns - 93 résidents - à Aulnay-sous-Bois ont repris après la réalisation de tests massifs fin avril. Ils ont permis de dépister cinq résidents positifs au coronavirus dont deux asymptomatiques, tous hospitalisés par précaution.
Ici, "on se sent en sécurité, c'est pas partout comme ça", assure Robert Hignard, depuis cinq ans dans ce lieu "bien tenu".
Cet Ehpad est l'un des 69 établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes gérés par le groupe privé SOS, à but non lucratif.
Un seul décès lié au covid-19 y a été enregistré, en février, bien avant la fermeture des portes mi-mars. La résidente, présentant des comorbidités, avait été immédiatement isolée, évitant une contamination généralisée.
Ce bilan est très loin de l'hécatombe qui a frappé plusieurs Ehpad notamment dans le Grand Est, les Hauts-de-France et l'Ile-de-France. Depuis le début de l'épidémie, qui a fait près de 26.000 morts en France, un décès sur deux concerne un résident d'Ehpad, selon Santé Publique France.
A Camille-Saint-Saëns, réactivité et coordination ont permis d'éviter le pire. "Ça a été compliqué les premières semaines, le changement de fonctionnement", mais "tout le monde a joué le jeu", se félicite le directeur Franck Ntadi, rodé à la gestion de crise.
Pour les résidents, le confinement, synonyme d'interdiction de visites et d'annulation des activités, s'est parfois révélé être une épreuve.
"On n'a plus goût à rien, on se sent carrément coupé du monde", confie Elisabeth Viollat, coquette septuagénaire. Amie de la résidente décédée, elle fut elle-même suspectée et mise à l'isolement strict début mars.
Seule dans sa chambre richement décorée - dessins, photos et collection de boules à neige - cette lectrice assidue sombrait progressivement. "On m'enterre vivante ici, c'est que je me disais dans ma tête", raconte-t-elle. Quand les résultats du test sont revenus négatifs, "ça m'a soulagée, je me suis mise à pleurer".
Depuis que le confinement s'est assoupli entre les murs de l'Ehpad, "Babeth" a repris ses bonnes habitudes, sans se départir de son flacon de gel hydro-alcoolique.
- "Responsables" -
Malgré la crise, tout a été fait pour "essayer de maintenir le lien", si essentiel pour les aînés, souligne Aminata Souré, l'infirmière coordinatrice, louant "une équipe soudée", dévouée.
Même stabilisée, la situation est toutefois loin d'être revenue à la normale: les repas sont toujours apportés dans les chambres, les animations se font en nombre réduit, en respectant la distanciation sociale.
"La pression s'est un peu relâchée, mais la vigilance est toujours là", souligne M. Ntadi, qui veille au port du masque pour tout le personnel.
Des protocoles renforcés sont également toujours en vigueur pour les 24 résidents les plus fragiles, placés en unités protégées. "Ils déambulent donc c'est dur de les garder en chambre et s'il y a un cas, c'est la +cata+", prévient Mme Souré.
Quant aux visites, elles se déroulent les après-midi selon un planning, et sans contact physique: sous un parasol, une table installée à l'extérieur du bâtiment attend les familles, qui passent une trentaine de minutes avec leurs proches, assis de l'autre côté de la vitre laissée ouverte.
"Il va falloir étudier comment gérer leur réintroduction dans l'établissement" parce ce qu'"on ne sait pas les habitudes de confinement des familles", et donc si leur venue présente un risque, explique M. Ntadi, qui rêve d'organiser "un bon barbecue" dès que la situation le permettra.
Le gouvernement a exclu jeudi tout "assouplissement supplémentaire" avant début juin, mais a promis une prime aux personnels de ce secteur durement éprouvé.
Du haut de ses 73 ans, Elisabeth Viollat demande "que les gens soient responsables quand ils vont sortir. On ne va plus vivre comme avant, mais il faut être confiant, positif."