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"Mon fils redoublera, tant pis, la santé d'abord !" Dans les quartiers populaires d'Ile-de-France, de nombreux élèves décrocheurs "prioritaires" au retour en classe ne retourneront pas à l'école, se coupant pour certains de toute scolarisation pendant près de six mois.
A la veille de la réouverture de l'école de son enfant à Pavillons-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), la décision de Soumia est mûrement réfléchie, "il ne retournera pas à l'école jusqu'en septembre même s'il a des difficultés" et que sa maîtresse l'a appelé pour le faire revenir.
"Il a été confiné deux mois, je ne vais pas l'envoyer les dernières semaines pour qu'il tombe malade", explique cette mère de trois enfants.
Après deux mois de cours à la maison, son fils en classe de CE2 "n'a pas le niveau. C'était la galère, je ne comprenais pas les devoirs, j'ai fait ce que j'ai pu", explique Soumia qui a prévu du soutien scolaire pour son garçon cet été. Sinon, "mon fils redoublera, tant pis, il ne retourne pas à l'école, la santé d'abord".
Ce choix n'est pas un cas isolé dans les quartiers populaires, constatent les élus et enseignants. "Les inscriptions d'enfants sont plus nombreuses dans les quartiers favorisés que dans les quartiers défavorisés de la ville", indique la maire de Colombes (Hauts-de-Seine) Nicole Goueta.
Pour Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), "la relation avec l'école est compliquée" pour certains parents, à laquelle s'ajoutent "la méconnaissance de la langue française, la peur et l'inquiétude".
"Les messages anxiogènes des médias et de l'ensemble des acteurs" ne favorisent pas le retour à l'école, estime-t-elle.
Dans ses 12 établissements classés réseaux d'éducation prioritaire, les directeurs ont appelé chaque parent dont les enfants sont en difficulté mais ont essuyé une majorité de refus. "Nous n'avons pas atteint les objectifs, les enfants les plus en difficulté ne seront pas remis à l'école", regrette l'édile.
Damien Hareau, directeur d'une école primaire REP+ du Val-Fourré, quartier populaire de Mantes-la-Jolie (Yvelines), se désole du peu d'élèves inscrits, 16 sur 233. "Les familles ont surtout peur, certains parents vont attendre de voir comment ça se passe", explique-t-il.
- "Resocialiser les enfants" -
"Dans les familles des décrocheurs comme dans n'importe quelle famille, restent les inquiétudes par rapport à la crise sanitaire", il ne faut pas poser "un jugement de valeur", dénonce Anne Pieter, co-présidente de la FCPE 93, première fédération de parents d'élèves.
D'après un sondage en ligne réalisé par l'association, auquel ont répondu 5.000 personnes la semaine dernière, seules 26% des familles envisagent de remettre leurs enfants en classe.
"Les enfants qui ont été bouleversés dans leurs apprentissages pendant les deux mois de confinement, vont continuer à l'être parce que pendant six mois ils n'auront eu ni socialisation ni scolarisation", analyse la maire de Chanteloup-les-Vignes.
Et "ce ne sont pas les cinq semaines qui nous séparent des vacances scolaires qui vont résoudre le problème des inégalités scolaires. "L'académie et l'Éducation nationale se rendent compte enfin qu'il y a des inégalités en Seine-Saint-Denis. Il faudrait d'abord penser à ne pas fermer des classes à la rentrée plutôt que mettre les enfants et les enseignants en danger", dénonce la maire PCF d'Aubervilliers Meriem Derkaoui qui refuse de rouvrir ses écoles, estimant que les conditions de sécurité sanitaire ne sont pas réunies et refuse de faire le "tri des élèves".
En revanche, un groupe scolaire est ouvert pour "accueillir les enfants dont les parents ne se sont pas manifestés pendant le confinement", environ 150 enfants ont été identifiés sur 10.000.
Ce sont "des familles qui étaient hébergées dans des hôtels sociaux. Il s'agit pour ces enfants de ne pas aggraver la rupture scolaire".
Depuis la fermeture des établissements scolaires le 16 mars, 4% des élèves sont injoignables, selon le ministère de l'Education.
A Stains (Seine-Saint-Denis), ce chiffre s'élève à "15% sur 4.000 élèves", indique le maire PCF Azzédine Taïbi qui refuse également de rouvrir ses écoles sauf pour ces décrocheurs qui "ne vont pas forcément reprendre l'école". Ces enfants "cumulent pauvreté et détresse sociale", l'école n'étant pas la priorité pour leurs parents.
Pour Anne Pieter, "la question n'est pas ce qu'ils vont apprendre pendant quatre semaines, l'important est de les resocialiser, de voir ses camarades de classe, de faire parler les enfants, les sortir de ce confinement et pour certains des violences intra-familiales".