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Une ballerine star du Bolchoï a claqué la porte de la prestigieuse troupe russe après avoir dénoncé la guerre en Ukraine, un grand saut qui évoque les défections de légendes du ballet vers l’Ouest à l’époque soviétique.
Une des danseuses russes les plus talentueuses et admirées de sa génération, Olga Smirnova, 30 ans, avait vivement dénoncé début mars l'invasion russe en Ukraine, estimant qu'"on ne pouvait pas rester indifférent à cette catastrophe mondiale".
C'est le Dutch National Ballet qui a annoncé mercredi dans un communiqué que cette "prima ballerina" rejoignait la troupe basée à Amsterdam, devenant la première danseuse russe à franchir ce pas depuis le début de la guerre.
"Smirnova a été très claire dans sa récente dénonciation de l'invasion russe de l'Ukraine, ce qui rend intenable son travail dans son pays natal", indique le communiqué.
"Je dois être honnête et dire que je suis contre la guerre de toute mon âme. (...) Je n'ai jamais cru que je pourrais avoir honte de la Russie (...) mais aujourd'hui je sens qu'il y a un avant et un après", avait écrit Smirnova sur le réseau social Telegram.
Citée par le Dutch National Ballet, la danseuse, dont le grand-père est ukrainien, a précisé qu'elle pensait quitter le Bolchoï depuis un moment mais que "les circonstances actuelles avaient accéléré ce processus".
Le directeur du Dutch National Ballet, Ted Brandsen, s'est félicité de cette décision, qualifiant Olga Smirnova de "danseuse exceptionnelle". "C'est un privilège de l'avoir comme danseuse dans notre compagnie aux Pays-Bas, même si les circonstances qui sont à l'origine de cette décision sont très tristes", a-t-il précisé dans le même communiqué.
Formée à l'Académie de ballet Vaganova, vivier de la troupe du Mariinsky, la Saint-Pétersbourgeoise avait été embauchée très jeune par le Bolchoï, où elle a brillé dans les principaux rôles du répertoire.
- Echos de Guerre froide -
Depuis le début de l'invasion russe, plusieurs danseurs étrangers avaient annoncé leur départ des ballets russes, en solidarité avec les victimes du conflit en Ukraine, mais Smirnova est la première danseuse russe à franchir ce pas publiquement.
Le soliste brésilien Victor Caixeta, qui était une étoile montante du Mariinsky de Saint-Pétersbourg, va également rejoindre le Dutch National Ballet.
Fierté de la Russie et célèbre dans le monde entier, le Bolchoï compte parmi sa troupe les meilleurs danseurs de ballet au monde, tout comme son rival le Mariinsky.
L'annonce de Smirnova a des échos de Guerre froide: en 1961, le légendaire danseur Rudolf Noureev entre dans l'Histoire en faisant défection de l'URSS à l'aéroport du Bourget, un pas ultra-médiatisé qui avait été interprété comme une victoire de l'Ouest. En 1974, le tout aussi légendaire Mikhaïl Barychnikov fait défection au Canada, quatre ans après celle d'une autre danseuse star, Natalia Makarova.
L'invasion de l'Ukraine a eu un impact cataclysmique sur des artistes et compagnies russes, faisant surgir la menace d'un isolement culturel, du jamais vu même au plus fort de la Guerre froide.
En moins de deux semaines, une tournée du Bolchoï à Londres, prévue cet été, a été annulée.
Deux grands noms ont vu les portes des salles occidentales se fermer en raison de leur sympathie supposée pour Vladimir Poutine: le chef d'orchestre star Valéry Gergiev, déprogrammé un peu partout dans le monde et la soprano internationale Anna Netrebko qui a préféré se retirer provisoirement de la scène.
Et le chef d'orchestre russe Tugan Sokhiev a quitté ses fonctions de directeur musical du Bolchoï et de l'Orchestre National du Capitole de Toulouse, se disant sous pression pour prendre position sur les événements en Ukraine.
Des salles sont allées encore plus loin, avec l'opéra "Boris Goudonov" (1869) de Moussorgski annulé par l'Opéra national de Pologne ou encore l'orchestre philharmonique de Zagreb retirant deux œuvres de Tchaïkovski d'un concert.
Plusieurs voix, notamment en France, ont appelé à éviter les amalgames et à ne pas boycotter les artistes russes dans leur ensemble.