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Leurs bébés dans les bras, Sandrine et Michaela*, détenues aux Baumettes à Marseille, ruminent en scrutant le ciel bleu, seule vue depuis la cour de promenade enserrée par de hauts murs. "Ca fait mal au coeur ce soleil, on se dit que les petits seraient mieux dehors", lâche Sandrine.
Cinq jeunes mamans et une femme enceinte sont incarcérées, avec leurs bébés de 15 jours à 13 mois, dans le quartier mère-enfant.
Ici les portes des cellules sont ouvertes plus souvent que dans le reste de la prison, pour le bien-être des bébés. "Ca détend énormément l'atmosphère", observe Lionel Rochon, responsable du quartier femmes qui compte actuellement 180 détenues.
De 9h à 11h, et de 14h à 17h, les mères peuvent promener leurs enfants dans un large couloir, prendre l'air dans la petite cour où trône un toboggan ou se retrouver dans un "salon" meublé de deux canapés et de quelques jeux. Tout est propre et aseptisé dans ce bâtiment inauguré il y a un an.
Dans la cuisine commune, Michaela, une Italienne, a calé sur sa hanche sa petite Julia, 6 mois, qui mordille un hochet en plastique. Elle lui prépare une soupe "meilleure que les petits pots industriels", puis rejoint ses "copines".
Les bébés ne croisent jamais d'autres détenus que les mères. Lorsqu'ils doivent être déplacés pour un parloir ou une visite médicale, la prison est figée, tous les mouvements sont bloqués.
"On n'est pas mal ici, il faut dire la vérité", estime Sandrine, 36 ans, incarcérée avec son bébé de 10 mois. La jeune femme blonde et maigre, le visage mangé par de grandes lunettes, tient parfaitement rangée sa cellule de 16m2. Sur les étagères sont alignés layette, peluches, couches, petits pots, lait en poudre...
Les vêtements et les jouets proviennent de dons, le reste est payé par la prison. Sandrine est la seule à ne pas avoir accouché alors qu'elle était détenue: elle a demandé à ce que son petit Théo la rejoigne en prison, un droit dont bénéficient toutes les mères de bébés de moins de 18 mois en France.
- Théo "a peur des portes" -
"La police est arrivée chez moi un matin de février et m'a embarquée, je n'ai même pas pu dire au-revoir à mon fils", se souvient-elle. Trois ans auparavant, elle avait été condamnée à 18 mois de prison ferme et 18 mois avec sursis.
Resté avec son père, Théo vomit et enchaîne les crises de larmes pendant deux semaines. "C'est impressionnant comme il a somatisé, le papa ne savait plus quoi faire", raconte Florence Duborper, directrice du Relais Enfants-parents, une association qui aide à maintenir le lien entre les détenus et leur famille.
Depuis qu'il a retrouvé sa mère, Théo va mieux mais "il a peur des portes, c'est pas son univers". "Parfois les surveillantes crient, par méchanceté, en ouvrant la cellule à 14h, ça le fait sursauter car c'est l'heure de la sieste", raconte la mère.
Théo passe régulièrement plusieurs nuits chez lui, avec son père. Il doit bientôt entrer à la crèche du quartier, qui réserve quelques places aux bébés de la nurserie des Baumettes.
- "Immense culpabilité" -
Ces "sorties" sont le seul moyen pour les mères de s’inscrire à une activité de la prison. Comme elles ne peuvent laisser leur enfant à un tiers pour assister à des cours ou travailler en prison, les mères détenues obtiennent de ce fait très peu de remises de peine. "Une injustice", dénonce Michaela en grillant une cigarette dans la cour.
Ses grands yeux marron se voilent lorsqu'elle exprime son "immense culpabilité": "Je souffre pour ma fille, de lui infliger ça, mais le pire c'est pour son grand frère qui a 12 ans. Julia le voit tous les 15 jours au parloir mais elle a peur de lui".
Sa fille qui ne côtoie que des femmes, pleure quand elle entend la voix de Lionel Rochon, un des seuls hommes en contact avec les détenues - seuls les gradés peuvent travailler au quartier femmes.
"Ma tâche est difficile car je dois veiller à la sécurité des bébés, mais quand les portes sont fermées je ne sais pas ce qui se passe en cellule", décrit-il. Récemment, une détenue très violente s'est vu enlever son nourrisson. "Il a été placé mais il était déjà traumatisé par sa mère, il était mutique", décrit M. Rochon.
Pour Florence Duborper, "il n'y a pas de bonne solution pour les bébés de détenues, mais la plupart du temps maintenir le lien mère-enfant semble le plus important". "Etre incarcérée sans son enfant, pour beaucoup de mères c'est un arrachement, une douleur physique", assure-t-elle.
"Quand les bébés commencent à parler et à se déplacer, à taper aux portes, la détention devient plus difficile et les mères cherchent à les faire sortir", dit-elle.
Michaela ne lâche jamais sa petite Julia, même pour une heure. Mais chaque soir, c'est "l'angoisse" d'être enfermée seule en cellule avec son bébé jusqu'à 9h. "On panique vite dès qu'une fièvre monte, car c'est presque impossible de faire venir un médecin ici".
Dans un coin, une jeune Roumaine déprime, son enfant serré contre elle. Elle pense à la sortie du bébé, dans quelques mois. "Si je dois rester en prison sans lui, c'est pas la peine, je préfère mourir", lâche-t-elle.
jp/cr/nm
* pour des raisons de sécurité, tous les prénoms ont été modifiés