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En Bolivie, en quête d'air dans une ville asphyxiée par le Covid

Une alarme perce la monotonie des bips des respirateurs. Les yeux masqués par deux pansements de gaze, l'homme allongé sur son lit d'hôpital, inconscient, n'entend pas le bruit assourdissant qui, à tout moment, pourrait annoncer sa mort.

"Faible pression d'oxygène", indiquent des lettres rouges sur un écran. "Là où il est écrit 25, il devrait être écrit 75" pour que l'oxygène soit suffisant, explique le Dr Daniel Quispia, 36 ans, seul médecin en charge des patients en réanimation à l'Hôpital del Sur de Cochabamba (centre) dans la ville éponyme, au centre de la Bolivie.

Cette ville de 650.000 habitants, nichée à 2.600 mètres d'altitude, est dramatiquement frappée depuis fin mars par une troisième vague de la pandémie de Covid-19.

Le 9 juin, 3.839 nouveaux cas ont été recensés dans le pays de 11,8 millions d'habitants, un record. Ces derniers mois, la ville a recensé une moyenne de 850 cas quotidiens, soit près du triple de la première vague en 2020.

Le Dr Quispia appuie sur les boutons du respirateur. Après quelques minutes, l'alarme s'arrête et le médecin respire avec son patient. Son service a six lits, mais n'accueille que trois malades faute d'oxygène.

"C'est hors de contrôle", se plaint le médecin. Dans la ville, la consommation quotidienne d'oxygène médical est passée d'une tonne avant cette dernière vague, à entre trois et quatre, selon des sources officielles.

- "Coeur de pierre" -

Des sirènes hurlent. La police d'Arbieto, une ville proche de Cochabamba, arrive pour disperser une foule massée autour d'un employé de l'usine de remplissage d'oxygène Valle Alto.

"C'est urgent !", s'excuse une femme qui tente de dépasser la file d'attente. "Nous sommes tous venus pour la même raison !", répond quelqu'un dans la foule. Une autre accuse un homme d'être venu pour "faire du business" dans une allusion aux revendeurs illégaux qui achètent de l'oxygène pour le revendre sur internet au prix fort.

La plupart ont un proche atteint du coronavirus qui a été refusé dans des hôpitaux surpeuplés ou qui, même hospitalisé, doit acheter son oxygène.

Beaucoup font la queue depuis l'aube pour obtenir un rendez-vous, qui leur sera donné probablement dans quatre jours. Plus d'un repartira les mains vides, et devra chercher ailleurs.

"Il faut un cœur de pierre", constate le responsable de l'usine, Amilcar Huanca Mamani.

Des habitants campent à l'entrée, dans des véhicules ou sous des tentes. "Mon rendez-vous est à 15 heures", explique Pedro Huaichu, un retraité qui cherche de l'oxygène pour sa femme. Il est midi et ceux qui avaient été convoqués à 10h30 attendent toujours.

- Morts dans la rue -

Le portable du Dr Anibal Cruz, secrétaire à la Santé de Cochabamba, ne cesse de sonner. Cet ex-ministre de la Santé tente de rester serein face à la phrase qui bourdonne constamment à son oreille : "Dr, c'est une urgence, nous n'avons plus d'oxygène !".

Il s'interroge pour savoir s'il faut à nouveau activer "l'alerte rouge" dans les hôpitaux, ce qui signifie que le personnel doit tenter de maintenir les patients en vie grâce à une sorte de soufflet, jusqu'à l'arrivée de plus d'oxygène.

Cela a déjà permis d'éviter des dizaines de décès.

"La conscience de la maladie a été perdue", les gestes barrières négligés, estime le Dr Cruz. Et la vaccination progresse lentement : moins de 15 % des Boliviens ont reçu une dose de vaccin.

"Ici se termine la prison qu'était la vie...", affiche un panneau apposé sur le portail du cimetière général de Cochabamba.

La crémation est obligatoire en cas de suspicion de décès dus au Covid-19, sauf pour les propriétaires de caveaux privés. "Pour eux, nous recommandons que la niche funéraire ne soit plus jamais ouverte", explique à l'AFP Lilian Scott, administratrice du cimetière.

Il y a peu, il fallait attendre quatre jours pour incinérer un corps.

Sans parler du problème des personnes décédées chez elles ou dans la rue. Entre janvier et début juin, il y a eu dans tout le pays "l'enlèvement et l'identification de 2.094 cadavres de personnes décédées sur la voie publique et dans des habitations", selon l'Institut médico-légal de Bolivie.

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