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Est-ce que porter un kilt est inscrit dans les gènes des descendants d'Ecossais?
Par simple curiosité ou pour répondre à des questionnements identitaires, des millions d'Américains sont partis à la recherche des origines de leurs ancêtres à l'aide de tests génétiques vendus en ligne qui, selon plusieurs experts, risquent de renforcer une lecture raciale de la société.
Moyennant une petite centaine de dollars et quelques gouttes de salive, plusieurs sociétés proposent de décrypter le génome de leur client et, en le comparant avec d'autres profils ADN, disent s'il est à 80% d'origine ouest-africaine, 10% du Sud de l'Europe et 10% Amérindien par exemple.
Dans un pays construit par plusieurs vagues de migration, et féru de généalogie, l'offre suscite un véritable engouement. Les principales entreprises du secteur Ancestry et 23andMe revendiquent avoir testé respectivement 10 et 5 millions de personnes.
"Je connais mon arbre généalogique mais il pouvait y avoir un ancêtre venu d'un autre pays sans que je le sache", explique à l'AFP Beverly Shea, une retraitée de 67 ans, qui a réalisé un test "par curiosité". Las, "les résultats sont très ennuyeux, je suis exactement ce que je pensais: irlandaise, anglaise, écossaise, galloise...", plaisante-t-elle.
Pour ses promoteurs, cette technologie rappelle que chaque individu est un mélange et promeut la tolérance. "La diversité humaine est magnifique, nous la célébrons et la valorisons", assure 23andMe sur son site internet.
Pour preuve, l'entreprise publie une vidéo de deux clients, un Noir descendant d'esclave et un Blanc issu d'une famille esclavagiste, ayant découvert grâce à ses services un ancêtre commun, sur la tombe duquel ils se rendent ensemble dans un esprit de "réconciliation".
Dans cette logique, certains présentent les tests ADN comme un moyen de détruire les préjugés des racistes, en leur révélant le mélange de leurs origines.
Une étude menée par l'université de Californie a toutefois montré que les suprématistes blancs, confrontés à la découverte d'ancêtres noirs, mettaient en place des mécanismes de contournement.
Les sociologues Joan Donovan et Aaron Panofsky se sont intéressés aux messages postés sur le site suprématiste Stormfront par des membres ayant reçu ce qu'ils appelaient "de mauvaises nouvelles" lors de leurs tests ADN.
En discutant sur le forum, ils parvenaient à remettre en cause les résultats ou à les réinterpréter. Au final, "rien ne laisse penser qu'ils ont changé d'idéologie" à cause de ces tests, écrivent les chercheurs.
- "Lederhosen" -
Plus globalement, Timothy Caulfield, spécialiste de droit de la santé à l'université d'Alberta au Canada, estime que les sociétés de généalogie "vendent un message marketing aux accents racistes".
"Ces services vendent l'idée que les différences biologiques ont un sens, qu'à un niveau fondamental, votre biologie définit ce que vous êtes", dit-il à l'AFP.
Dans une publicité, un homme raconte qu'il portait le "Lederhosen" (culotte en cuir bavaroise) parce qu'il pensait descendre d'immigrés allemands et qu'il s'est converti au kilt après avoir découvert des ancêtres écossais.
"Veux-t-on vraiment vivre dans un monde où nous serions définis par nos gènes?", s'interroge le chercheur.
Pour lui, il ne faut pas "exagérer le problème, la plupart des gens font ces tests parce que c'est drôle et cela ne change pas leur vision du monde. Mais cela émerge au mauvais moment, quand les gens cherchent des raisons pour trouver que les autres groupes sont différents d'eux."
De même l'anthropologue John Edward Terrell s'est ému dans la revue Sapiens que ces services ravivent le concept de "race" sous une forme moderne. "Les races humaines sont une invention humaine. Remplacer le vieux terme race par les mots "ancêtres" ou "héritage" peut sembler être un progrès mais ça ne l'est pas", a-t-il jugé.
Les Amérindiens n'en sont pas dupes. Ils viennent de rabrouer avec vigueur une sénatrice démocrate qui a publié les résultats de tests ADN lui attribuant un lointain ancêtre amérindien.
La sénatrice démocrate Elizabeth Warren a "tort" et elle "déshonore" les Nations améridiennes, a estimé Chuck Hoskin Jr, un haut responsable Cherokee.
"Elle a légitimé l'idée que l'héritage améridien est lié à l'ADN. L'héritage n'est pas biologique", a également rétorqué Brandon Scott, éditeur du journal Cherokee Phoenix. "Il dépend du rôle que vous jouez dans votre tribu".