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En Suisse, l'attachement pour les armes, façonné par sa tradition d'une armée de miliciens gardant leur fusil chez eux, se vit au grand jour, loin des débats suscités par les récents massacres aux Etats-Unis ou en Nouvelle-Zélande.
Alors que dans ce pays, on s'apprête à interdire les fusils d'assaut, à la suite du carnage des mosquées de Christchurch, une réforme approuvée jusque dans les rangs des propriétaires d'armes, en Suisse, les fusillades, très rares, n'ont pas fait évoluer le débat sur le contrôle des armes.
L'intérêt pour les calibres de toutes sortes a même connu un certain regain ces dernières années.
"Jusqu'en 2006, environ 500 permis étaient distribués chaque année" dans le canton de Lucerne mais cette année "nous avons dépassé les 2.000", explique ainsi le chef du bureau des armes de la police locale, Josef Rust, installé fin mars avec son équipe pour les trois jours de la "45e Bourse internationale aux armes de Lucerne", l'une des plus grandes de Suisse.
"L'augmentation est massive dans toute la Suisse", souligne-t-il, ajoutant: "nous avons aussi des demandes de personnes très âgées qui veulent se protéger. Elles invoquent l'immigration, la menace terroriste et l'augmentation de la criminalité".
Son stand délivre des permis d'acquisition à ceux qui présentent un casier judiciaire vide et leur carte d'identité, lors de cet évènement qui attire chaque printemps quelque 10.000 passionnés.
En l'absence de registre fédéral, il est difficile de savoir combien d'armes circulent en Suisse. En outre, une personne peut demander plusieurs permis qui, chacun, permet d'acquérir trois armes.
Barbara Kottler, tireuse sportive de 56 ans qui déambule entre les stands de la foire, ne s'inquiète pas de ces règles libérales.
"Les tireurs sportifs sont des gens très pacifiques", dit-elle. "Ceux qui font des problèmes, ce sont d'autres personnes, qui acquièrent les armes illégalement".
Un total de 38.000 permis d'acquisitions ont été délivrés en 2017, contre 25.000 en 2013, selon un récent décompte établi par le journal NZZ.
"Il y a cinq ans, nous proposions des cours de tir une à deux fois par mois, aujourd'hui toutes les semaines", en partie grâce à la féminisation de la clientèle, témoigne de son côté Jean-Paul Schild, vendeur d'armes en Argovie.
Selon le centre de recherches genevois Small Arms Survey, il y avait en 2017 plus de 2,3 millions d'armes entre les mains de civils, soit près de trois pour 10 habitants, ce qui classe la Suisse (8,5 millions d'habitants) au 16e rang pour le nombre d'armes par habitant.
- Tradition devenue hobby -
Garder son arme de service dans l'armoire familiale fait partie de la doctrine de défense suisse. En 2011, les Suisses ont même dit non à un référendum qui voulait interdire cette tradition. Et les soldats peuvent acquérir leur arme à l'issue du service militaire, qui dure trois semaines par an de 18 à 30 ans.
La passion pour les fusils et pistolets commence très jeune, comme lors de la fête du Knabenschiessen (littéralement tir des garçons), mise en avant sur un site de Suisse Tourisme, et qui voit chaque année converger à Zurich pendant un week-end des milliers de jeunes de 12 à 16 ans pour se mesurer sur l'arme qui sera la leur à l'armée: le fusil d'assaut.
Fin 2015, le gouvernement a même abaissé de 17 à 15 ans l'âge auquel les adolescents peuvent participer à un cours, sans que cela suscite de malaise au sein de la population.
Markus Thommen, collectionneur d'armes zurichois de 61 ans, explique que son "premier contact" avec un fusil fut avec son père, qu'il aidait à "nettoyer" son arme. Les Suisses savent que les armes "ne sont pas faites pour attaquer, mais pour défendre le pays", dit-il.
Fête fédérale de tir, compétitions populaires, cours de tirs sportifs... les occasions sont nombreuses pour s'exercer. L'offre s'accroît, comme à Genève, où vient de s'ouvrir le stand de tir souterrain le plus grand du pays.
En mai, un référendum, découlant de nouvelles mesures antiterroristes de l'UE, vise cependant à durcir en Suisse les conditions d'acquisition et de détention de certaines armes, notamment les semi-automatiques munies d'un chargeur de grande capacité.
Les autorités disent que la loi "préservera la tradition suisse du tir", mais les amateurs d'armes et l'UDC, parti de droite populiste qui recueille le plus de suffrages dans le pays, dénoncent un "diktat de l'UE".
Le gouvernement a averti: ne pas reprendre la législation européenne mettra "automatiquement fin à la participation suisse à l'espace Schengen et Dublin", "à moins que tous les Etats de l'UE et la Commission européenne acceptent de fermer les yeux".