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Abiy Ahmed avait promis à son arrivée au pouvoir en 2018 de moderniser la très dirigiste économie éthiopienne, minée par le chômage et la pauvreté malgré la croissance.
Trois ans plus tard, alors que le pays s'apprête à voter le 21 juin pour des législatives, la volonté réformatrice du Premier ministre bute sur de multiples urgences, dont le conflit dans la région du Tigré, tandis que s'aggravent les crises de la dette et du change.
"C'est pire aujourd'hui (...) Le pays est exsangue, à deux doigts de faire défaut" sur sa dette extérieure, lâche sous couvert d'anonymat un diplomate européen qui loue pourtant le programme de réformes du gouvernement.
L'accroissement de la dette extérieure (environ 30 milliards de dollars, empruntés notamment à la Chine) a permis de financer, avant l'arrivée de M. Abiy, des infrastructures majeures, comme le train Addis Abeba-Djibouti.
Mais son remboursement - environ deux milliards de dollars dus en 2021 - est un défi immense pour l'Ethiopie qui tente de restructurer cette dette, jusqu'ici sans succès.
Preuve de l'inquiétude, l'agence de notation Moody's a dégradé la note souveraine éthiopienne en mai, la jugeant à "très haut risque". Fitch Ratings l'avait déjà abaissée en février.
"Nous ne sommes pas capables de payer", résume Alemayehu Geda, professeur d'économie à l'université d'Addis Abeba.
Le problème réside moins dans le volume des prêts (la dette externe a baissé de 37,6% à 26,8% du PIB sous M. Abiy) que dans la constante pénurie de dollars, nécessaires à l'Etat pour la rembourser, note l'économiste.
L'Ethiopie importe bien plus qu'elle n'exporte, d'où un déficit structurel de devises.
- "Un cancer" -
Cette crise du change affecte aussi les entreprises, obligées de patienter des mois pour obtenir les dollars nécessaires à leur activité.
Ainsi, l'actuelle pénurie de ciment s'explique notamment par l'impossibilité pour les cimentiers d'importer les pièces de rechange nécessaires à leurs usines devenues "obsolètes", explique Ashenafi Endale, rédacteur en chef du magazine Ethiopian Business Review.
Parallèlement, l'inflation, récemment qualifiée par M. Abiy de "cancer de l'économie", reste forte (13,1%), avec notamment une hausse des prix alimentaires qui affecte le budget des ménages.
"Le niveau de pauvreté s'est aggravé", estime M. Alemayehu, pour qui le Covid a par ailleurs fait basculer à lui seul "3 à 4 millions" de personnes dans la pauvreté.
Dans un discours au Parlement, fin mars, M. Abiy a admis que la volonté du gouvernement avait été freinée par la pandémie.
"Lorsque nous avons conçu notre programme de réformes, il n'y avait pas le Covid-19", a-t-il dit, ajoutant que d'autres crises, dont les "conflits", ont forcé Addis Abeba à "dépenser de grandes quantités d'efforts, de temps et de ressources".
Le gouvernement a lancé il y a sept mois une opération militaire au Tigré (Nord) afin d'en déloger les autorités locales dissidentes. Un conflit qui s'enlise.
Pour Alemayehu Geda, le coût - encore inconnu - de cette guerre sera "énorme". S'y ajoute le soutien à la population du Tigré, où 5,2 millions de personnes ont besoin d'aide alimentaire et 350.000 sont menacées de famine selon l'ONU.
Le Covid a freiné la croissance, passée selon FMI de 9% en 2019 à 6,1% en 2020 et à 2% prévus en 2021.
Si l'agriculture (1/3 du PIB) a bien résisté, d'autres secteurs comme le tourisme ont vu leurs revenus baisser "énormément", note l'économiste.
La croissance est cependant restée positive et le FMI prévoit qu'elle revienne à 8% dès 2022.
- Mentalité -
Le pays est par ailleurs plus ouvert. Moins de 10% des secteurs étaient ouverts aux investisseurs étrangers il y a quelques années et "c'est maintenant l'inverse", note Olivier Poujade, fondateur de East Africa Gate, société de conseil en investissement. Il salue "une mentalité très différente."
Certes, certaines réformes spectaculaires se font encore attendre, comme la privatisation partielle d'Ethiopian Airlines. Mais celle de l'opérateur public Ethio Telecom vient d'être lancée et fin mai une licence télécom a été attribuée à un consortium mené par le kényan Safaricom, mettant fin au monopole d'Etat sur ce secteur-clé.
De son côté, le groupe français Soufflet, l'un des leaders mondiaux du malt - composé essentiel de la bière - vient de lancer une usine à Addis Abeba, sa première implantation en Afrique. La construction, dans l'un des parcs industriels créés par le gouvernement pour attirer les investisseurs, a connu quelques accrocs.
"Le défi important pour nous c'est de gérer le décalage qu'il peut y avoir entre le discours et la réalité", explique son directeur général Christophe Passelande, soulignant cependant l'attrait de ce marché prometteur.
"C'est des potentiels énormes: plus de 110 millions d'habitants, un pouvoir d'achat qui se développe, malgré tout... Quand on est dans les métiers de la consommation, ce sont des perspectives de développement qui sont très importantes."