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Exilés en Ukraine, les craintes et le combat de journalistes bélarusses

Leur site n'existe plus, leurs collègues sont en prison, mais leur combat continue. Depuis leur exil en Ukraine, d'anciens journalistes du principal média indépendant du Bélarus, TUT.BY, ont lancé un nouveau projet.

Anna Kaltyguina, 41 ans, rédactrice en chef par intérim de Zerkalo.io ("Miroir") est installée à Kiev. Si elle est là, c'est qu'un petit matin de mai, les forces de l'ordre bélarusses ont débarqué en nombre, multipliant les perquisitions et les arrestations chez ses collègues, démolissant TUT.BY, plateforme consultée alors par 60% des internautes de cette ex-république soviétique.

Du jour au lendemain, le site créé il y a 20 ans sur le modèle de Yahoo n'existe plus, illustration de l'ampleur de la répression ayant jugulé le mouvement de contestation historique provoqué par la réélection décriée en août dernier de l'autoritaire président Alexandre Loukachenko, au pouvoir depuis 1994.

Sur les quelque 260 collaborateurs que comptait l'entreprise, douze sont en prison, à commencer par la rédactrice en chef, Marina Zolotova, pour une sombre affaire de fraude fiscale.

Anna Kaltyguina peine à retenir ses larmes lorsqu'elle pense à ses collègues. Mais elle se dit déterminée à poursuivre son travail.

"Notre mission principale est de tout faire pour qu'émerge un nouveau Bélarus et notre mission, d'un point de vue personnel, est de réussir à faire sortir nos collègues" de prison dit-elle.

"On ne veut pas avoir honte devant eux, on veut qu'ils voient qu'on n'a pas capitulé", ajoute la jeune femme qui après les descentes de police a fui le Bélarus, écoutant les conseils de son mari qui lui disait de partir "le plus vite possible".

Elle qui compare le régime de Loukachenko à celui de la Corée du Nord a donc lancé avec d'autres exilés de TUT.BY le site Zerkalo.io en juillet.

Une trentaine de personnes dont 12 journalistes travaillent bénévolement, dispersés entre l'Ukraine et plusieurs pays de l'UE.

La plupart ne dévoilent ni leur identité ni leur pays d'accueil. La mort suspecte par pendaison d'un militant bélarusse à Kiev en a inquiété certains, tout comme le détournement d'un avion de ligne par Minsk, qui s'est soldé par l'arrestation d'un journaliste d'opposition à bord.

Mais c'est avant tout pour le sort de proches, d'anciens collègues, restés au pays que l'on s'inquiète.

- "Extrémistes" -

"Pour diverses raisons -- l'argent, la famille -- ils n'ont pas pu partir, beaucoup sont restés", raconte Alexandra Pouchkina, responsable de la communication de 30 ans, installée en Lituanie.

"Ceux à qui j'ai parlé n'ont pas reçu de menaces, mais on ne peut pas dire qu'ils se sentent en sécurité", poursuit la jeune femme, pendentif rouge-blanc, emblème de l'opposition bélarusse, autour du cou.

Elle admet d'ailleurs que le lancement de Zerkalo représente "un risque" pour eux.

Mme Kaltyguina ne croit en revanche pas que le KGB viendra la chercher en Ukraine. "Mais on fait preuve de bon sens: on évite les évènements publics un peu douteux, on ne diffuse pas nos adresses, on prévient les collègues de nos déplacements", dit-elle.

Les autorités bélarusses ont par contre déjà bloqué le site de Zerkalo dans le pays, accessible uniquement par VPN, et classé le 13 août ses contenus "extrémistes", tout comme les comptes associés à TUT.BY.

Le site n'emploie personne au pays, compliquant la couverture de l'actualité.

"On avait très peur de ne pas réussir à écrire sur le Bélarus sans y être", admet volontiers Mme Kaltyguina.

Mais finalement, la rédaction y parvient grâce aux lecteurs fournissant informations et contenus visuels. Une collaboration qui "fait chaud au coeur", dit-elle.

Ainsi, Anna Kaltyguina raconte avoir lancé un appel à témoigner sur les conditions de détention dans l'une des prisons de Minsk, la redoutable Okrestina.

En quelques heures "j'avais reçu des dizaines de messages".

Cette popularité malgré l'exil rend Alexandra Pouchkina optimiste pour l'avenir: "J'espère que d'ici un ou deux mois nous serons parmi les trois sites (bélarusses) les plus fréquentés".

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