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Faire dialoguer la préhistoire et l'art moderne: une exposition ambitieuse au Centre Pompidou montre comment l'abstraction a puisé son inspiration dans ces périodes englouties, amenant les artistes à interroger la cohérence et la pérennité mêmes de la civilisation.
"La prise de conscience de l'existence de la préhistoire, qui est née dans la première moitié du 19e siècle, a été concomitante de l'émergence de l'art moderne", observe Cécile Debray, une des commissaires de l'exposition "Préhistoire, une énigme moderne", qui porte le sous-titre significatif: "les icônes préhistoriques et modernes. Une histoire de regards et de fascination".
Dès la première salle de cette exposition à la scénographie très soignée, le ton est donné: le crâne de l'homme de Cro-Magnon est confronté à une peinture de Paul Klee montrant une horloge, intitulée simplement le Temps.
Une immense fresque murale, "Grands éléphants, autre animaux et figures humaines", retrouvée par l'ethnologue allemand Leo Frobenius à Mutoko en Rhodésie en 1929, représente une extraordinaire foule d'hommes et d'animaux mêlés.
Du Mammouth de la Madeleine et de la Vénus de Lespugue à Dove Allouche en passant par Max Ernst et Brassaï, cette exposition originale met en lumière le lien qui unit la préhistoire à l’art moderne et contemporain.
Parmi les centaines d'oeuvres présentées, elle expose beaucoup de prêts exceptionnels de nombreux musées, notamment du Musée de l'homme et du Musée d'archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.
Paul Cézanne, ami du géologue Antoine-Fortuné Marion, manifestait dans sa peinture son intérêt pour les strates géologiques de la montagne Sainte-Victoire. A sa suite, innombrables ont été les artistes que les vestiges de la préhistoire dans leur univers a hantés: Arp, Chirico, Ernst, Giacometti, Klee, Picasso, Beuys, Klein sont quelques uns des artistes exposés. Et parmi les contemporains, Dove Allouche, Miquel Barceló, Tacita Dean, Marguerite Humeau, Pierre Huyghe, Giuseppe Penone.
-"disparition de l'homme"-
"Une inquiétude sur la possibilité de la disparition de l'homme" s'est manifestée parmi les artistes, notamment après le cataclysme de la première guerre mondiale, observe Rémi Labrusse, professeur d'histoire de l'art, commissaire et auteur de l'ouvrage Préhistoire, l'envers du temps (Editions Hazan).
Si les dinosaures ont disparu un jour, l'homme n'est-il pas appelé à disparaître? Telle est l'interrogation, fil conducteur à l'exposition. Toute classification classique, rassurante, est remise en cause.
Pour Rémi Labrusse, les artistes "ont été, à côté des savants, les auteurs de cette idée de préhistoire" qui va imprégner tout l'inconscient collectif. Les artistes ont projeté dans ces périodes opaques leurs peurs, leurs désirs, y puisant leurs inspirations. Avec des oeuvres en rupture avec les représentations bibliques d'un monde ordonné par un créateur qui avait prévalu aux siècles précédents.
On assiste dès le XIXème siècle, de la part des artistes modernes, à "une volonté d'autonomisation par rapport à l'histoire" classique, à mesure qu'ils découvrent cette "préhistoire", qui, un siècle plus tôt, était totalement absente des représentations, note Rémi Labrusse.
L'exposition, qui résulte d'un travail de recherches de cinq ans, montre comment la symbolique de la préhistoire, avec toutes ses hypothèses, a envahi avec ses fantasmes la culture populaire au XXe siècle:
Dès 1914, dans le premier dessin animé de l'histoire, le dessinateur américain Winsor McCay met en scène le diplodocus Gertie. Les musées d'histoire naturelle multiplient les reconstitutions de scènes préhistoriques. Les romans préhistoriques et les films (The lost word en 1925 ou King-Kong en 1933) puisent dans la mythologie des origines.
Aujourd'hui, la science-fiction mêlant préhistoire et plongée dans le futur a un succès immense, et les grottes et cavernes, témoins de l'art pariétal, porteurs d'énigmes, sont devenus des must touristiques.
Centre Pompidou - jusqu'au 16 septembre