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La température a vite grimpé mardi soir sur le 43e Printemps de Bourges qui s'est ouvert avec les mots cultes de Serge Gainsbourg, la voix mythique d'Alain Bashung et les chorégraphies sexuées de Jean-Claude Gallotta, au coeur de "L'homme à la tête de chou".
Une fois n'est pas coutume, c'est un spectacle de danse contemporaine qui a lancé le festival berruyer, offrant un moment rock-voltige tantôt exaltant, envoutant, dérangeant même à l'heure Me Too, et forcément émouvant.
Car "L'homme à la tête de chou", première des sept créations que propose cette année le PdB, est en réalité une re-création pour Gallotta qui avait imaginé et bâti cette pièce en 2008 avec Bashung, sans pouvoir la mener totalement à bout après la mort du chanteur qui devait en assurer l'interprétation sur scène "et était même prêt à danser" sur ses chorégraphies.
Dix ans plus tard, comme pour inviter le fantôme de Bashung à s'asseoir dessus, une chaise à roulette vide trône sur la scène sans décor de l'Auditorium. Vite douze danseurs, pour moitié femmes et hommes, courent, volent, s'enlacent, se repoussent, se rattrapent, exécutant les douze tableaux réinventés par Gallotta.
Douze tableaux pour les douze titres qui composent "L'homme à la tête de chou", l'album-concept sorti en 1976 par Serge Gainsbourg, qui lui avait été inspiré par la sculpture éponyme achetée à la sculptrice Claude Lalanne, décédée, ironie du destin, il y a six jours à peine.
L'histoire conte l'aventure sensuelle et sans suite d'un quadragénaire travaillant dans un journal à scandales (une feuille de chou) avec Marilou, une jeune fille délurée, shampouineuse de son état, qui le rendra fou d'amour et de jalousie. Au bout de la descente aux enfers du narrateur frustré et humilié, dont les oreilles (gainsbourgeoises) se transforment en feuilles de chou, un rendez-vous avec la mort et la folie.
- Chaise tombée, chaise redressée -
Du disque qui dure 31 minutes et 24 secondes, Jean-Claude Gallotta en fait un spectacle d'une heure et quart, porté par les arrangements étirés et les réorchestrations de Denis Clavaizolle, qui avait collaboré avec Bashung à l'époque. Au diapason, les danseurs s'emploient à proposer plusieurs climax en suivant scrupuleusement le scénario sordide de Gainsbourg.
"Flash forward" en est un premier: Marilou, ici totalement dénudée, court, saute, va et vient entre les reins de deux amants totalement encagoulés. "Une guitare rock à deux jacks" déclame Bashung d'une voix fantomatique qui a rarement paru aussi blessée, vivante donc, pour exprimer la vision terrible qui meurtrit le narrateur, rentré à l'improviste chez la jeune femme.
"Variations sur Marilou", qui trahit le fantasme désespéré du narrateur rêvant de Marilou, voit chacune de ses six incarnations venir danser sensuellement autour de la chaise vide retombée sur le dossier. Jusqu'à ce que celle-ci se redresse enfin au contact de la dernière danseuse, tandis que Bashung susurre: "Tout en jouant avec le zip/De ses Levi's/Je lis le vice/Et je pense à Caroll Lewis".
Si Gallotta rend hommage à sa façon à Bashung en osant l'érotisme de l'instant, il ne transige pas plus au moment de mettre en scène la mort de Marilou. Un "meurtre à l'extincteur" assez éprouvant où la victime de nouveau nue, culotte baissée aux mollets, passe de mains en bras d'hommes sans ménagement. Cette scène, même si elle trahit la folie meurtrière d'un amant, peut heurter à une époque où la maltraitance faite contre les femmes ne faiblit pas.
Néanmoins, le public n'a pas exprimé de réserve au moment d'ovationner la troupe de Gallotta, qui donnera mercredi une seconde représentation de cette création, suivie à partir de jeudi par six autres dont celle très attendue, consacrée à Jacques Higelin disparu l'an passé, avec ses trois enfants Izia, Arthur H et Kên, ainsi que ses amis (Camille, Jeanne Added, Jeanne Cherhal, Mathieu Amalric...).