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Guillaume Pepy, qui quitte la SNCF jeudi soir, s'était imposé depuis près de 12 ans à la tête du groupe public en incarnant le meilleur comme le pire, au point qu'il a été difficile de lui trouver un remplaçant.
Ce sexagénaire longiligne est monté au front pendant des années, pour déplorer un accident, s'excuser après des incidents, ou promouvoir des nouvelles cartes de réduction. Il a fini par personnifier cette SNCF qu'il dirigeait depuis 2008 après en avoir été le numéro deux.
Le grand patron du rail français a traversé de nombreuses crises. Il a connu un nombre incalculable de grèves, des fermetures de gares inopinées, des amas de neige sur les voies, des pannes de trains au milieu du tunnel sous la Manche, l'accident de Brétigny-sur-Orge (7 morts en 2013) et celui d'une rame d'essai à Eckwersheim (11 morts en 2015)... Et aussi des pannes retentissantes comme celles qui ont paralysé trois fois la gare Montparnasse, à Paris, en 2017 et 2018.
Et comme cadeau de départ, les employés du centre de maintenance des TGV de Châtillon (Hauts-de-Seine) ont fortement perturbé la circulation des trains sur la façade atlantique en pleines vacances de la Toussaint.
Élus et passagers l'ont vite voué aux gémonies. Il a aussi hérissé nombre de syndicats. Toujours courtois, il a survécu à tout, assumant les défaillances de l'entreprise, encaissant les critiques et les remontées de bretelles ministérielles.
Son successeur Jean-Pierre Farandou, qui était PDG de Keolis (filiale de transports publics de la SNCF), voit en lui une énergie inépuisable, une vivacité hors norme, une grande agilité qui lui permet de "sortir du cadre facilement" et un sens du contact inné.
"Je l'ai vu traverser des foules de syndicalistes en colère. Il faut y aller, quand même", admire-t-il.
Excellent communicant --ses détracteurs diront manipulateur--, Guillaume Pepy prend beaucoup de notes. Il se nourrit sans cesse de choses nouvelles, emmagasine les photos sur son smartphone, compare, questionne inlassablement ses interlocuteurs, et n'hésite pas à mettre les pieds dans le plat quand une réunion est trop convenue.
- Avenant et direct -
Il a réponse à tout, même s'il n'est pas toujours précis dans les chiffres qu'il avance. Et il assume une bonne dose de mauvaise foi.
"Il toujours très avenant, il est toujours très direct, on a l'impression qu'il vous considère", remarque Bruno Gazeau, le président de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (Fnaut), qui relativise: "En fait, il fait tellement de choses qu'il oublie tout de suite ce qu'il a promis..."
Né le 26 mai 1958, Guillaume Pepy est diplômé de Sciences Po et de l'ENA. Entré au Conseil d’État en 1984, il débute sa carrière dans des cabinets ministériels socialistes, dont celui de Martine Aubry.
Il rejoint la SNCF pour la première fois en 1988 pour diriger le cabinet du président Jacques Fournier, et revient en 1993 comme directeur de l'économie, de la stratégie et des investissements, puis --après un détour par la Sofres-- en 1997 à la tête des "grandes lignes".
En 1998, il devient directeur général délégué de toutes les activités voyageurs, puis numéro deux du groupe en 2003.
Sa fidélité et sa parfaite connaissance de la SNCF seront finalement récompensées en février 2008 avec sa nomination à la tête de l'entreprise.
Malgré une longue grève des cheminots, ce patron de gauche devenu macroniste a tenu le cap l'an dernier, aidant à l'adoption d'une réforme ferroviaire qu'il appelait de ses vœux. Il avait failli partir en 2016 quand le gouvernement l'avait lâché alors qu'il tentait de réformer l'organisation du temps de travail.
Malgré son grand attachement à la SNCF, Guillaume Pepy a toujours reconnu n'avoir pas fait "cheminot première langue". Il l'a transformée en un groupe diversifié aux 33,3 milliards d'euros de chiffre d'affaires, largement ouvert sur d'autres modes de mobilité et sur l'international.
Mais cette diversification n'est pas du goût de tous. Certains syndicats lui reprochent d'avoir délaissé les bases du métier ferroviaire et dénoncent sa "logique business", la compression des budgets et les recours à la sous-traitance.
Guillaume Pepy doit rester conseiller de M. Farandou jusqu'à la fin de l'année, puis faire "un break substantiel". Il n'a pas dit ce qu'il comptait faire ensuite.