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Deux responsables du quotidien pro-démocratie Apple Daily, très critique à l'égard de Pékin, ont comparu samedi devant un tribunal de Hong Kong, au lendemain de leur inculpation pour collusion dans le cadre d'une loi sur la sécurité nationale.
Le rédacteur en chef Ryan Law et le directeur général Cheung Kim-hung sont poursuivis pour "collusion avec un pays étranger ou avec des éléments externes en vue de mettre en danger la sécurité nationale".
La police avait annoncé vendredi dans un bref communiqué l'inculpation de deux personnes âgées de 47 et 59 ans, sans préciser d'identités. Le journal avait indiqué qu'il s'agissait de ces deux hommes.
C'est la première fois que des opinions politiques publiées par un organe de presse de Hong Kong entrainent des poursuites en vertu de cette loi controversée imposée par la Chine en 2020 pour tenter d'éteindre la dissidence dans l'ancienne colonie britannique.
Le journal et son propriétaire Jimmy Lai, actuellement emprisonné, aiguillonnent Pékin depuis longtemps en soutenant de manière indéfectible le mouvement pro-démocratie et en critiquant vertement les dirigeants chinois.
Plus de 500 policiers ont fait une descente jeudi dans les locaux du quotidien et ont emporté des ordinateurs, des disques durs et des carnets de notes de journalistes.
Cinq dirigeants ont été arrêtés. Deux ont été inculpés tandis que les trois autres ont été libérés sous conditions dans l'attente d'investigations supplémentaires.
Plusieurs dizaines de personnes se sont rendues au tribunal samedi matin pour tenter d'assister à l'audience et d'apporter leur soutien aux deux responsables, parmi eux d'anciens et d'actuels employés du journal.
Selon une employée qui s'est simplement identifiée par Chang, de nombreux employés de l'Apple Daily, dont elle-même, considèrent "chaque jour comme si c'était notre dernier" à travailler au journal.
- Coup de semonce -
"Au début, les autorités ont indiqué que la loi sur la sécurité nationale ne viserait qu'un petit nombre de personnes", a-t-elle déclaré à l'AFP. "Mais ce qu'il s'est passé nous montre que c'était n'importe quoi".
Une journaliste qui n'a donné que le prénom Theresa considère que les problèmes légaux du journal représentent un coup de semonce: "Je pense que ce qui arrive à l'Apple Daily aujourd'hui peut au final arriver à tout autre média de la ville".
De nombreux médias internationaux ont installé leur quartier général pour l'Asie à Hong Kong, attirés par une réglementation favorable aux entreprises et par des dispositions sur la liberté d'expression inscrites dans la Constitution.
Mais beaucoup s'interrogent désormais sur le maintien de cette présence et élaborent des plans d'urgence tandis que Pékin resserre sa main-mise sur Hong Kong par une vaste répression de la dissidence.
Les médias locaux vivent des heures encore plus sombres. Des associations de journalistes affirment que les reporters doivent de plus en plus s'auto-censurer.
Hong Kong glisse progressivement vers le bas du classement annuel de l'ONG Reporters sans Frontières sur la liberté de la presse, passant de la 18e place en 2002 à la 80e cette année. La Chine continentale est 177e, sur 180 pays classés.
Les autorités de Hong Kong et de Pékin ont assuré que les arrestations ne constituaient pas une attaque contre les médias. Mais le ministre hongkongais de la Sécurité John Lee a qualifié cette semaine l'Apple Daily de "syndicat criminel".
La survie du journal est incertaine. Jimmy Lai, son richissime propriétaire âgé de 73 ans, a été condamné à plusieurs peines de prison pour son implication dans des manifestations pro-démocratie en 2019.
Il a également été inculpé en vertu de la loi sur la sécurité nationale et ses actifs à Hong Kong ont été gelés. Les autorités ont fait de même jeudi avec 2,3 millions de dollars d'actifs de l'Apple Daily.
Selon la police, des poursuites --toujours dans le cadre de cette législation-- sont également prévues à l'encontre de trois sociétés détenues par le journal, qui pourrait être mis à l'amende ou interdit.
Mark Simon, un conseiller de M. Lai vivant à l'étranger, a indiqué que le journal allait avoir des difficultés à payer ses quelque 700 employés.
"L'argent n'est pas un problème, mais les ordres draconiens de Pékin via la NSL (loi de sécurité nationale, NDLR) sont le problème", a-t-il affirmé à l'AFP.