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Le Premier ministre irakien Moustafa al-Kazimi, qui vient d'échapper à une "tentative d'assassinat", est un ancien chef du renseignement et habile négociateur à l'avenir politique incertain après les législatives du mois dernier.
Né à Bagdad en 1967, cet homme au teint hâlé et à la chevelure poivre et sel clairsemée s'est illustré à la tête du renseignement qu'il a rejoint en 2016 en pleine guerre contre les jihadistes du groupe Etat islamique (EI).
Là, à ce poste stratégique depuis lequel il a soigneusement évité les projecteurs, il a tissé de nombreux liens avec les dizaines de nations et de services opérant au sein de la coalition anti-EI.
Formé en droit à l'université irakienne, M. Kazimi, musulman chiite, a d'abord été journaliste, militant anti-Saddam Hussein depuis l'Europe où il s'est exilé pour fuir le régime du dictateur.
A sa chute en 2003, il rentre au pays pour fonder l'immense complexe des médias d'Etat, tout en militant à la Iraqi Memory Foundation pour que ne soient pas oubliées les crimes du régime baasiste.
En 2016, c'est à la surprise générale que le Premier ministre d'alors, Haider al-Abadi, nomme cet éditorialiste et avocat des droits de l'Homme pour... diriger les services de renseignement, pourtant souvent dans le viseur des ONG de défense des droits de l'Homme.
Outre la lutte antiterroriste et contre les trafics en tous genres, l'homme développe ses talents de négociateur et de médiateur.
- "Etat souverain" -
"C'est un pragmatique qui entretient des liens avec tous les acteurs majeurs de la scène irakienne et les Américains, et il a récemment réchauffé ses relations avec l'Iran", affirme à l'AFP un politicien proche de lui.
M. Kazimi sait ménager les interlocuteurs ennemis: de retour en grâce à Téhéran, il n'en oublie pas moins ses amitiés anciennes. Lors d'une rarissime visite à Ryad - grand rival régional de l'Iran - de responsables irakiens peu après sa nomination en mai 2020, il a été vu étreignant longuement le prince héritier Mohammed Ben Salmane, un ami personnel.
Fort de relations solides tant à l'Est qu'à l'Ouest, il a tenté au cours des derniers mois de se doter d'une stature internationale.
Bagdad a été le théâtre de réunions à huis clos entre Iraniens et Saoudiens, la visite du pape François en Irak en mars a été unanimement saluée comme un succès et au mois d'août dernier il a organisé une conférence internationale à laquelle a notamment participé le président français Emmanuel Macron.
M. Kazimi "incarne le retour d'un Etat irakien souverain", assure un observateur occidental.
Mais, accusé nommément par les factions pro-Iran les plus radicales d'Irak d'avoir personnellement été complice de l'assassinat du général iranien Qassem Soleimani par les Etats-Unis début janvier 2020 à Bagdad, il a dû rétablir son image auprès de Téhéran.
- "Joueur rusé" -
En interne, il fait face à l'opposition du Hachd al-Chaabi, coalition d'ancien paramilitaires pro-Iran désormais intégrés à l'Etat. Les partisans du Hachd, farouchement anti-américains, exigent le départ immédiat de tous les soldats américains d'Irak et maintiennent une pression constante sur M. Kazimi.
Ils l'accusent de "complicité" dans la "fraude" électorale qui a vu la déroute de leur vitrine politique, l'Alliance de la conquête, lors des législatives du 10 octobre dernier.
Depuis le scrutin, tous les partis négocient en coulisses la formation de "blocs" parlementaires, la formation d'un gouvernement et, in fine, la désignation d'un Premier ministre.
M. Kazimi n'est pas officiellement candidat à sa succession, mais certains responsables politiques le voient comme un recours crédible au cas où aucune autre personnalité n'émergerait des tractations.
Après avoir obtenu en mai 2020 le soutien de la classe politique irakienne, vieillissante et réticente à passer la main, M. Kazimi a tenté de retisser des liens avec une population en colère et qui, durant des mois, a manifesté contre des dirigeants "corrompus" et "incompétents".
Il a aussi tenté de négocier une assistance respiratoire pour un pays au bord de l'asphyxie économique, avec des recettes pétrolières en chute libre et des exemptions américaines des sanctions contre l'Iran de plus en plus courtes.
"C'est un négociateur hors pair et un joueur rusé", affirme Toby Dodge, qui dirige les études sur le Moyen-Orient à la London School of Economics.