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Praticien dans un hôpital de la région parisienne, en première ligne pour traiter la déferlante de malades du coronavirus, un anesthésiste-réanimateur livre tous les jours pour l'AFP, sous couvert d'anonymat, le résumé de sa journée en pleine crise sanitaire.
- Lundi 20 avril -
"Des lits de réanimation Covid devaient être fermés ce week-end mais l'accalmie que nous avons connue la semaine dernière a vite cessé. L'activité de réanimation non Covid reprend rapidement et il y a toujours en parallèle des entrées sur les unités Covid. Nous restons donc avec tous nos lits de réanimation, soit une vingtaine de plus qu'en temps normal. Bref, ce n'est pas terminé.
Nous commençons d'ailleurs à oublier ce qu'était le fonctionnement normal de notre service. Et c'est peut-être mieux comme cela. Nous entendons tous les jours depuis le mois de mars, sans jamais vraiment y croire, que cela va durer, qu'il faudra savoir réinventer le fonctionnement de l'hôpital, qu'il faudra peut-être même apprendre à vivre avec le Covid. Tout cela est difficile à intégrer.
Au-delà de la peur que cela suscite pour les médecins et personnels paramédicaux, le déconfinement résonne pour l'instant uniquement comme la possibilité de partir de Paris, quelques heures, quelques jours, loin de tout ça. Nous savons que ça ne sera très probablement pas possible, mais nous nous autorisons à en rêver. Pour l'instant seulement...Parce qu'il y aura encore plus de travail dès le confinement terminé.
La vie d'avant Covid, tout le monde en rêve. Aussi bien à la maison qu'au travail. A l'hôpital, nous commençons à nous dire que ça n'arrivera pas. On parle beaucoup de +l'après Covid+. Mais tout le monde sait très pertinemment que cela n'a probablement pas beaucoup de sens. Cet objectif est très (trop ?) lointain.
Le Covid a été et continue d'être un véritable ouragan. Et comme dans toute catastrophe naturelle, il y a beaucoup de drames et quelques signes d'espoir, beaucoup de décès de gens qui n'ont rien demandé et quelques bonnes surprises qui permettent de redonner le moral, beaucoup de bonnes volontés et belles initiatives pour aider, soigner, sauver et parfois quelques attitudes déconcertantes, beaucoup de théories et peu de certitudes. Il faut surtout ensuite énormément de temps pour reconstruire. Nous ne sommes pas encore arrivé au temps de la reconstruction, loin de là.
J'ai décidé de mettre de côté tous mes questionnements sur le sens de mon métier et de mon implication professionnelle dans un service public hospitalier en souffrance. On a besoin de nous. On travaille. Machinalement parfois. On réfléchira à tout ça plus tard.
Il y a deux images à retenir pour l'instant. La première, c'est le tout premier patient Covid qui est arrivé en réanimation dans mon hôpital. Il nous a fait prendre conscience immédiatement et brutalement de la gravité de la situation. En pleine face... La deuxième, c'est le premier patient qui est sorti vivant de notre service. Il nous permet de nous rappeler pourquoi nous faisons tout ça."